On les accuse d’« écoterrorisme ». Eux se définissent comme un mouvement « anticivilisationnel », chaud pour « saboter » notre « civilisation » (mais, on vous rassure, sans s’en prendre aux individus). On vous présente le groupe Deep Green Resistance, qui débarque en France.
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L’effondrement ? « Hautement souhaitable » ; « Comment j’ai hâte ! » Tel est le type de réactions qu’inspire la chute de la civilisation aux activistes de Deep Green Resistance. C’est peu dire que le mouvement porte un message non conventionnel. Les intimes le surnomment « DGR ». Ce groupe écolo, né aux États-Unis il y a dix ans, entend révolutionner la lutte pour la planète. En France, on les croise aux manifs et autres événements militants « depuis début 2020 », précise-t-on du côté d’Extinction Rebellion, autre garnement de l’activisme écolo. Il est difficile d’estimer combien de membres en font partie. Mais plus que leur nombre, leur existence même bouscule le militantisme vert.
La deep ecology
« Ça commence à faire du bruit dans le milieu, glisse notre source – anonyme –, on les voit faire leur recrutement. On se dit “Wow, les saboteurs se mettent en place !” » Car, en plus des idéaux pour le moins radicaux de Deep Green Resistance, c’est de ça qu’il s’agit : de violence matérielle. Dans le monde écolo – où l’heure est plutôt au plaidoyer via des ONG pacifistes ou, comme chez Extinction Rebellion, à la désobéissance civile (un activisme choc mais non violent) –, le combo est une claque.
« Bonne chance pour vous entretenir avec eux ! » De sa carrière, Sylvie Ollitrault, politiste au CNRS, spécialiste des radicalités militantes et des luttes écolos, n’a vu qu’une doctorante réussir à faire parler un·e membre de Deep Green Resistance. « Les sympathisants de la deep ecology se veulent en rupture avec la civilisation. » Entre eux, les militant·es DGR se surnomment d’ailleurs « anticiv’ » (anticivilisation). Comme son nom l’indique et comme Sylvie Ollitrault le souligne, DGR puise sa source d’inspiration dans la deep ecology, une école de pensée née en 1973 de l’esprit d’Arne Næss, philosophe norvégien. On pourrait traduire son nom par « écologie profonde ». Profonde, car liée aux sources primaires de notre humanité. « Pour eux, clarifie Sylvie Ollitrault, le sauvage est positif. Le non-humain a autant de valeur que l’humain. »
Après de nombreux échanges par mails, Ana Minski, « membre responsable » de DGR, a finalement accepté de nous répondre. Elle vit à la campagne, « sans moyen de locomotion motorisé » et partage ses journées entre écriture, peinture et création d’un jardin forêt. Elle précise la visée de DGR : « [Notre] analyse fait le lien entre la destruction des milieux écologiques et les oppressions sociales : capitalistes, étatiques, technologiques, patriarcales. » D’où la volonté de s’extraire de tout le toutim. « Nos objectifs sont de participer à la création de nouvelles cultures plus égalitaires et biocentrées – toutes les espèces ayant une valeur intrinsèque –, qui respecteraient et s’adapteraient mieux à leurs milieux écologiques. » En gros, des petits villages autonomes, avec leur propre politique. Cet amour de la nature « originelle » va jusqu’à leur faire rejeter l’idée même de genre. L’organisation a adopté des points de vue Terf (trans-exclusionary radical feminist), excluant les personnes trans des combats féministes. Du point de vue « deep », vouloir adopter un genre différent de son sexe, c’est en effet admettre qu’il existe une dualité genrée, là où DGR souhaite justement « abolir » cette distinction.
Des cibles stratégiques
Mais l’innovation numéro une de Deep Green Resistance, c’est leur méthode. Elle consiste à faire « tout ce qui est en [leur] pouvoir pour bloquer, arrêter, saboter la mégamachine dont nous sommes devenus les rouages », résume Derrick Jensen, visage numéro un de DGR aux États-Unis, cofondateur du mouvement, en introduction de Deep Green Resistance. Un mouvement pour sauver la planète (éditions Libre, 2019). Concrètement, cela peut consister, par exemple, à faire sauter des pylônes pour mettre une ville en black-out ou créer une « e‑bomb » (un gros virus numérique) comme un Mister Robot, qui voudrait faire sauter le système bancaire mondial. Pas uniquement pour le symbole – contrairement au Black blocs qui s’en prennent aux vitrines de banques –, mais toujours contre des « infrastructures stratégiques » afin de bloquer les activités du capitalisme. « Apporter un sac en tissu au magasin, même si vous vous y rendez à pied, chaussés de vos tongs écoresponsables, n’arrêtera pas l’exploitation des sables bitumineux [type d’hydrocarbure dont l’extraction est très polluante, ndlr] », justifie Lierre Keith, autre cofondatrice de DGR, dans le même ouvrage.
Pour les membres de DGR, l’objectif ultime est la « guerre écologique décisive ». Ses phases sont développées sur leur site Web, comme une recette de cuisine. « Ils sont prêts à faire pression sur des institutions comme des labos, confirme Sylvie Ollitrault, leur mode opératoire ressemble aux anti-IVG. Du coup, on les classe parfois comme proches des écoterroristes. » Pas de limite dans la lutte, sauf une : la violence contre les humains. Elle est interdite. Pour l’action clandestine – à visage caché –, le débat est ouvert. Ana Minski dit l’organisation 100 % contre. Mais Kevin Haddock, « premier membre de DGR France » (qui a lui aussi accepté de nous répondre), y voit une « efficacité » nécessaire. « En tout cas, la méthode peut séduire les jeunes pour qui l’écologie est trop institutionnelle, diagnostique Sylvie Ollitrault, et ça inquiète les écolos, car tout leur discours est construit sur l’idée de citoyenneté. » Chez Extinction Rebellion, confirme notre source anonyme, « on est beaucoup à trouver ça génial ». De l’action non violente à l’explosion de pylônes, la frontière est mince : notre militante envisage d’ailleurs de rejoindre DGR.