Claire Vallée, des racines et des herbes

À 42 ans, elle est la pre­mière cheffe végane étoi­lée au monde. Malgré le suc­cès de son res­tau­rant, les confi­ne­ments et l’exigence du métier l’ont contrainte à le fer­mer tem­po­rai­re­ment. En atten­dant, Claire Vallée voyage, défend le bien-​être ani­mal, les pro­duits locaux et publie un beau livre de recettes inti­tu­lé Origine non animale.

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Claire Vallée © Alyson Bercuingt pour Causette

Claire Vallée sirote tran­quille­ment son orange pres­sée et nous accueille avec un large sou­rire. Elle reste franche et directe, son étoile au pres­ti­gieux guide Michelin obte­nue en jan­vier 2021 ne lui a pas fait prendre la grosse tête. Pas plus que l’étoile verte décro­chée cette année. Des récom­penses qui saluent l’audace de sa cui­sine végé­tale et sa démarche éco­res­pon­sable. C’est dans son res­tau­rant, ONA (Origine non ani­male), ouvert en 2016 à Arès (Gironde), près du bas­sin d’Arcachon, qu’elle a don­né leurs lettres de noblesse aux mets végé­taux, deve­nant ain­si la toute pre­mière cheffe végane étoi­lée au monde ! Une dis­tinc­tion qui lui a valu des dizaines d’interviews, a sus­ci­té l’intérêt du New York Times et de revues culi­naires japo­naises. « Ce fut un choc fabu­leux… mais aus­si un vrai tour­billon média­tique ! J’étais très sol­li­ci­tée et en même temps, il fal­lait que j’assure en cui­sine ! » se rap­pelle encore la cheffe.

Des four­neaux à la plonge

Au mois de jan­vier pour­tant, six ans après l’ouverture d’ONA, elle a dû se résoudre, la mort dans l’âme, à fer­mer tem­po­rai­re­ment son res­tau­rant. Après l’épreuve du confi­ne­ment, elle n’a pas trou­vé de per­son­nel qua­li­fié à embau­cher à cause d’un manque de loge­ments abor­dables sur la baie d’Arcachon. Pour sou­la­ger son équipe, la cheffe aidait même à la plonge ! Servir dans un étoi­lé réclame l’excellence, et tra­vailler avec une bri­gade en sous-​effectif n’était plus tenable : « On réduit les horaires. On aug­mente les salaires. Mais la haute gas­tro­no­mie a du mal à recru­ter. Comment va-​t-​on faire ? s’inquiète-t-elle. On a besoin de jeunes qui soient enga­gés et moti­vés ! La res­tau­ra­tion est un métier dur, rigou­reux, avec une forte charge émo­tion­nelle, du stress, mais c’est un des plus beaux métiers du monde parce que vous avez un retour direct de la part de votre client. Vous ren­con­trez les pro­duc­teurs… c’est pas­sion­nant ! » Sans per­son­nel qua­li­fié suf­fi­sant pour répondre à ses exi­gences et à sa quête de per­fec­tion, Claire Vallée a dû renon­cer et fer­mer, tem­po­rai­re­ment on l’espère, son res­tau­rant en pleine ascension.

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« Déforestation » (bet­te­raves confites, crumble char­bon
et sésame noir, cendre comes­tible). « Ce plat aura été l’un des plus
enga­gés du menu “Il était une forêt”. »

L’écrin de trente cou­verts, ouvert en octobre 2016, avait pour­tant fait car­ton plein dès le pre­mier jour ! Les client·es, pas tous et toutes végan·es, venaient de tous hori­zons. Les menus végé­taux de Claire étaient concoc­tés au rythme des sai­sons, en cir­cuit court. Elle s’approvisionnait chez son amie Carole Czaika, gérante du pre­mier maga­sin de fruits et légumes bio à Arès. « On a les mêmes pré­oc­cu­pa­tions : l’écologie, la valo­ri­sa­tion des cultures locales, la défense des agri­cul­teurs bio, dont le tra­vail est de plus en plus dif­fi­cile… Claire est quelqu’un qui a un grand cœur et elle ne déroge pas à ses convic­tions ! » nous confie Carole. Sur la ter­rasse d’ONA, un her­bier ras­sem­blait plus d’une cen­taine de plantes, que la cheffe entre­te­nait grâce aux conseils d’un pépi­nié­riste bio, Cyril Perpina. C’est lui qui lui a fait décou­vrir l’œillet réglisse ou la plante camem­bert. « Quand je l’ai vue débar­quer la pre­mière fois chez moi, avec sa vieille voi­ture, et qu’elle m’a dit qu’elle vou­lait créer un res­to végan à Arès, je n’en reve­nais pas ! se sou­vient le pépi­nié­riste. C’est quelqu’un qui a une viva­ci­té d’esprit incroyable et qui ne compte pas ses heures de tra­vail. Elle sait tel­le­ment ce qu’elle veut ! J’était sûr qu’elle réussirait ! »

Autodidacte

La cui­sine de Claire Vallée est miton­née sans lai­tages, sans chair ani­male, sans œuf, sans pro­duits déri­vés ou tes­tés sur les ani­maux. « Je ne sup­porte plus l’élevage indus­triel et la mal­trai­tance ani­male, l’agriculture inten­sive qui détruit notre pla­nète. Pour moi, offrir une nour­ri­ture saine, sans viande, c’est être res­pon­sable, explique-​t-​elle. Il y a un tel lob­by des indus­triels de la viande et des pro­duits lai­tiers ! On pense que man­ger végan crée des carences, c’est faux ! Il suf­fit de man­ger des huîtres, des algues, des coquillages… et des len­tilles pour rem­pla­cer la viande. C’est une ali­men­ta­tion fon­dée sur la san­té, les épices aus­si font du bien au corps et à l’esprit. Il faut juste savoir com­ment équi­li­brer les plats et on obtient de mer­veilleuses saveurs ! »

Le par­cours de cette cheffe auto­di­dacte est bluf­fant. Rien ne la pré­dis­po­sait à être une magi­cienne du végé­tal. Elle naît à Nancy en 1980 et, dès son plus jeune âge, elle veut être archéo­logue. Elle obtien­dra même son doc­to­rat. C’est un séjour en Suisse qui va bou­le­ver­ser sa vie : « À 26 ans, pour finan­cer mes études, j’ai tra­vaillé une sai­son dans la cui­sine d’un hôtel à Crans-​Montana comme cheffe de rang, raconte-​t-​elle. Et puis, on m’a pro­po­sé de pas­ser en cui­sine en tant que pâtis­sière ! J’avais le goût… mais pas la tech­nique. À force de volon­té et d’endurance, ça a mar­ché ! » Très vite, elle devient cheffe et tra­vaille dans plu­sieurs res­tau­rants tra­di­tion­nels en Suisse. 

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Claire Vallée © Alyson Bercuingt pour Causette

Mais Claire a la bou­geotte. En 2014, elle part en Thaïlande pour cui­si­ner sur un cata­ma­ran de luxe. Elle y reste un an. C’est là qu’elle devient végé­ta­rienne. « Là-​bas, il n’y a pas de pro­duits lai­tiers et peu de viande et de pois­son, explique-​t-​elle. On y fait la part belle au tofu, au sei­tan, aux herbes et aux racines. » De retour en France, elle cherche un emploi et répond à une offre de chef·fe au res­tau­rant tra­di­tion­nel Saint-​Éloi, à Arès. Mais très vite, elle ne sup­porte plus de cui­si­ner les pro­téines ani­males. « J’avais envie de don­ner un lieu à cette créa­ti­vi­té qui débor­dait en moi. J’ai démis­sion­né et j’ai déci­dé de créer mon res­tau­rant de gas­tro­no­mie végé­tale dans une ancienne piz­ze­ria. » Un pari fou dans une région qui porte haut les cou­leurs du foie gras et du canard confit. « Eh oui, c’est un ter­ri­toire de chas­seurs… En plus, en étant une femme, sans asso­cié et sans argent, ce n’était pas gagné. Mais j’aime les chal­lenges ! » raconte-​t-​elle en riant. Finalement, elle décroche deux prêts d’honneur consa­crés aux entre­prises remar­quables et le sou­tien d’une banque éthique et soli­daire. Elle fait aus­si appel au crowd­fun­ding : « J’ai pu col­lec­ter 10 000 euros grâce à 126 contri­bu­teurs ! Et pour les tra­vaux, j’ai lan­cé l’idée d’un chan­tier par­ti­ci­pa­tif. Près de 80 béné­voles se sont relayés : amis, futurs clients, com­mer­çants locaux, jar­di­niers et même des arti­sans pro­fes­sion­nels sont venus m’aider ! Le soir, il y avait de grandes tablées. C’était l’auberge espa­gnole. C’était chouette de voir autant de soli­da­ri­té. » Son meilleur ami, Boris Chapuzet, se sou­vient lui aus­si de cette période avec enthou­siasme : « Claire a un atout : elle sait ras­sem­bler les gens autour d’elle. J’ai aidé pour la pein­ture, l’électricité… Ce qu’elle a fait, peu de per­sonnes en sont capables. Au début, elle est pas­sée par des périodes de doutes, des phases d’euphorie… Elle a la sen­si­bi­li­té des grands chefs. » 

Sa pas­sion pour l’archéologie ne vient pas de nulle part, la jeune femme aime le contact avec la terre. Cette insa­tiable explo­ra­trice du ter­roir asso­cie tou­jours de façon inat­ten­due dans sa cui­sine légumes, agrumes, aro­mates, fleurs… et joue sur les dif­fé­rents types de cuisson.

La cui­sine, une œuvre d’art

La globe-​trotteuse invite à un dépay­se­ment culi­naire et puise aus­si son ins­pi­ra­tion dans ses nom­breux voyages en Asie, en Inde notam­ment… Son esprit curieux, son goût pour l’innovation lui ont été trans­mis par sa mère et par son grand-​père pater­nel, peintres tous les deux. « Il y a une infi­nie palette de tex­tures et de cou­leurs, la belle assiette se mange d’abord avec les yeux ! » s’enthousiasme la cheffe. L’amour des bons pro­duits lui vient aus­si de son enfance dans la Drôme pro­ven­çale : « Dans ma famille, ce sont de fins gour­mets. Je cui­si­nais un peu avec mon père et mes grands-​parents. Ils mijo­taient des petits plats en toute simplicité. »

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« Le prin­temps ». « L'asperge épouse la sua­vi­té de la fraise,
et le pam­ple­mousse, par son aci­di­té natu­relle, équi­libre
la com­po­si­tion. Le mimo­sa apporte, quant à lui, cette touche flo­rale
qui carac­té­rise si bien mon uni­vers culinaire. »

Claire entre­tient une pas­sion dévo­rante pour son métier. Pas de place pour une vie de famille. C’est un choix qui lui convient pour l’instant. Rien ne vaut ses balades et ses cueillettes en forêt accom­pa­gnée de Shanti, son Jack Russell. En juin der­nier, après avoir confié son chien à son ami Boris, elle a lar­gué les amarres tout l’été. Trois mois pour se res­sour­cer, enri­chir sa palette de nou­velles saveurs, à New York, au Mexique… à la ren­contre d’autres chef·fes et d’autres cultures, pour per­fec­tion­ner sa cui­sine. Elle déplore les pré­ju­gés qui per­sistent en France : « Ici, le végan a mau­vaise répu­ta­tion et on est en retard ! On reste des dino­saures de la cui­sine, avec notre obses­sion pour le beurre, la crème et les pro­duits ani­ma­liers. À l’étranger, il y a des alter­na­tives végé­ta­riennes ou végé­ta­liennes par­tout », soupire-t-elle.

Ambassadrice du végétal

Heureusement, avec elle, le monde culi­naire a trou­vé une épa­tante ambas­sa­drice. Claire Vallée est enga­gée auprès de Chefs for Impact, une asso­cia­tion à but non lucra­tif qui réunit des chef·fes éco­res­pon­sables du monde entier. Elle pro­meut une cui­sine saine et équi­li­brée, à base de légumes bio, lors d’événements culi­naires, dans les écoles, ou au cours de mani­fes­ta­tions vini­coles, en orga­ni­sant des ren­contres et des cours de cui­sine. À l’heure où nous écri­vons ces lignes, la réou­ver­ture du res­tau­rant ONA n’est pas pré­vue… Mais avant de par­tir à l’étranger, Claire a mis la touche finale à un ouvrage dont elle est très fière : son tout pre­mier livre de cui­sine 100 % végé­tale1, qui sort ce mois-​ci. Il regroupe les recettes qu’elle a expé­ri­men­tées et ser­vies aux client·es d’ONA. « J’y ai mis tout mon cœur et peut-​être deviendra-​t-​il un best-​seller ! » dit-​elle en riant. Elle l’a inti­tu­lé Origine non ani­male, un clin d’œil à son res­tau­rant porte-​bonheur. Dans ce livre de près de 290 pages, illus­tré d’alléchantes pho­tos, elle dévoile quatre-​vingts recettes végé­tales en expli­quant les bases (fer­men­ta­tion, extrac­tion…) et en détaillant les pro­duits uti­li­sés (oléa­gi­neux, tex­tu­rants, sucres, poivres…). Ballottine de blettes à la ricot­ta végé­tale, carotte gla­cée à la pas­sion, finan­cier aux amandes et sor­bet ber­ga­mote sont, par exemple, à décou­vrir… et à tes­ter ! « Je sou­haite éveiller les consciences sur une autre façon de se nour­rir. La gas­tro­no­mie végé­tale est pour moi une phi­lo­so­phie de vie qui prône la tolé­rance, la soli­da­ri­té, le res­pect… Sa richesse est infi­nie », conclut-​elle. Alors, à vos four­neaux maintenant !

  1. Origine non ani­male, de Claire Vallée. Éditions du Chêne, 288 pages, 49 euros. Sortie le 5 octobre.[]
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