Ils et elles sont quelques centaines en France à porter ce mystérieux titre qui en jette : « maître composteur·euse ». Céline en fait partie. Elle nous raconte sa mission.
« J’ai eu un parcours rempli de rebonds. J’ai d’abord travaillé dans la restauration, quatre ans pour des chaînes, puis quatre ans pour un restaurant gastronomique. J’étais témoin des déchets de préparation et des restes. La suite est un concours de circonstances : le restaurant a fermé et j’ai eu l’opportunité d’intégrer un syndicat de collecte des ordures ménagères en tant qu’agent de prévention, un rôle proche de celui d’animatrice de tri sélectif. C’est là que j’ai mis le nez dans les biodéchets. J’ai réalisé qu’ils composaient à 30 % les sacs noirs [sacs contenant les ordures ménagères résiduelles non recyclables, ndlr] et qu’il y avait tout à faire ! À partir de là, c’est un peu comme Obélix, quand on tombe dedans…
J’ai commencé à sensibiliser les citoyens, le public scolaire, les associations et les agents d’établissements (collèges, Ehpad…) sur le compostage, pour lequel il y a beaucoup d’idées préconçues à combattre, sur les odeurs, les rats… J’ai toujours aimé transmettre, et ce volet social, qui n’existe que pour les biodéchets et pas pour le plastique ni le verre, m’a toujours plu.
Puis j’ai eu connaissance du parcours de formation de maître composteur, aujourd’hui reconnu par l’Agence de transition écologique (Ademe). Je me suis formée en 2010 comme guide composteur, puis comme maître composteur en 2012, avec un complément en 2015 : la formation a duré quinze journées au total, au centre de formation Au ras du sol (à Vélines, en Dordogne), que j’ai ensuite intégré en 2018 comme salariée. J’y suis aujourd’hui coanimatrice du Réseau Compost citoyen Nouvelle-Aquitaine et je forme à mon tour des maîtres composteurs.
Quand on me demande quel est mon métier, je ne réponds jamais “maître composteur” parce que beaucoup ne comprennent pas le terme. Pour bien l’expliquer, il faut savoir qu’il existe dans le compostage trois rôles distincts, et complémentaires, auxquels on peut choisir de se former : référent de site, guide composteur et maître composteur. On peut d’abord être référent de site. C’est celui qui s’assure que le compost a ce qu’il faut pour maturer : un mélange de matière azotée – dite verte, qui vient de nos déchets alimentaires – et de matière carbonée, dite brune, c’est-à-dire du broyat (de feuilles, de branches) qu’il faut stocker, parce qu’on n’en a pas toute l’année. Ce référent de site travaille avec les guides composteurs, qui sont des opérationnels, avec une vision plus générale : ils se sont formés au compostage partagé (en pied d’immeuble), donc savent s’adresser à la population, peuvent sonder le territoire, identifier les fournisseurs de matière brune, etc. Puis vient le maître composteur, qui est un organisationnel. Il réalise un diagnostic de territoire à une échelle plus large (un département), est en lien avec les élus et valorise le volet social, économique ou environnemental du compostage.
Moi, j’ai commencé par être guide composteur. À cette époque, j’avais créé une plateforme pédagogique de compostage à Montpon-Ménestérol, en Dordogne, sur un site de maraîchage : Les Jardins du cœur. Quand je suis devenue maître composteur, j’ai changé d’échelle. Il a fallu que je rencontre ceux qu’on appelle les “gros producteurs”, qui produisent plus de 10 tonnes de biodéchets à l’année et doivent, depuis 2016, les trier : collèges, lycées, maisons de retraite, centres hospitaliers… La formation m’a permis de leur proposer des réponses adaptées. Ce qui tombe bien, car j’aime apporter des solutions aux gens qui ont plein de problèmes ! Au quotidien, on fait des visites d’établissements, on échange avec les gestionnaires, les techniciens… J’ai rencontré en cuisine des gens passionnés, mais qui produisent du gaspillage alimentaire. Il faut leur expliquer qu’on est là pour les accompagner, pas pour montrer du doigt ce qui est jeté.
Aujourd’hui, mon rôle est de mettre en lien tous les acteurs de la région qui s’intéressent à cette thématique, de la Corrèze au Pays basque, qu’ils soient producteurs de biodéchets ou utilisateurs, comme le sont les maraîchers, les paysagistes, les agriculteurs… et de montrer que les déchets des uns peuvent être les ressources des autres. Et ça, c’est extraordinaire ! De se dire que cette matière dont tout le monde veut se débarrasser, qui est aujourd’hui en majorité incinérée, certains la recherchent, car les nutriments des biodéchets nourrissent leurs sols. C’est un peu comme un jeu de piste dont on aurait accumulé les clés depuis dix ans : maintenant qu’on en a fait un gros trésor, on peut les distribuer à tout le monde.
À partir du 31 décembre 2023, toute personne aura l’obligation de séparer les biodéchets de son sac noir. C’est une avancée énorme parce que les collectivités vont devoir installer des centaines de sites de compostage pour répondre aux besoins. Mais on n’est pas dans le monde des Bisounours, il y a du boulot. Quand on sait que le tri sélectif est en place depuis plus de vingt ans… Mais c’est comme la ceinture de sécurité, devenue une évidence. L’objectif est que les gens n’aient même plus l’idée de jeter leurs épluchures dans le sac noir. Et qu’ainsi cette matière reparte dans nos sols, que l’on a épuisés pendant des décennies. Nous, les maîtres composteurs, on est comme tous ces micro-organismes qui participent à la vie du sol. On est quatre cents à cinq cents à avoir été formés en France. Il en faudrait beaucoup plus. Mais ça s’est drôlement accéléré depuis deux ou trois ans, avec l’arrivée en formation de plus en plus de personnes en reconversion professionnelle. Nous allons envahir le monde ! De mon côté, je vais maintenant travailler sur des solutions pour traiter des volumes de 50 tonnes et plus. Encore une autre échelle. Le milieu des biodéchets évolue tellement vite… Mon parcours est loin d’être fini. »