Publiée en mars aux éditions Les Échappés, la bande dessinée de Mélanie Déchalotte et Pierrick Juin, compères à Charlie Hebdo, décortique les immenses défaillances et manquements de notre système de contrôle sanitaire, des instances de vigie jusqu'aux ministères dans la récente affaire dite des bébés sans bras. Glaçant et révulsant.
Entre 2009 et 2014, dans plusieurs endroits en France, des enfants naissent atteints d'une Agénésie transverse du membre supérieur (ATMS) : 8 dans l'Ain, 3 en Loire-Atlantique, 4 dans le Morbihan et 3 dans les Bouches-du-Rhône. A chaque fois, les familles vivent dans les mêmes localités ou dans des communes voisines les unes des autres. Une incidence bien trop élevée pour relever du hasard génétique.
Le fil rouge de Bébés sans bras, un déni sanitaire, c'est le combat d'Emmanuelle Amar, épidémiologiste et directrice du Registre des malformations en Rhône-Alpes (Remera), une association indépendante, pour accompagner les familles d'enfants nés sans bras dans ces clusters pour comprendre ce qui leur est arrivé et obtenir justice. L'enquête en bande dessinée signée par deux collègues de Charlie Hebdo, la journaliste Mélanie Déchalotte et le dessinateur Perrick Juin, remonte le fil de ce scandale sanitaire pour l'heure toujours impuni - les deux plaintes des seules deux familles qui sont allées jusque là ont été classées sans suite, en mars et décembre 2022.
Eau contaminée ? Épandage de pesticides dans les régions agricoles de ces clusters ? Et si oui, quels pesticides ? Des autorisés, ou des produits de contrebande importés illégalement de Chine ? Et quid d'un potentiel effet cocktail ? Mais encore, pourquoi un agriculteur voisin d'une famille touchée dans l'Ain a vu, la même année que la naissance du bébé sans bras, certains de ses veaux naître sans queue ? Et que nous ont appris les précédents à l'étranger, en Angleterre ou en Russie ? Technique, foisonnante, l'enquête de Déchalotte et Juin soulève les dessous peu reluisants d'une agriculture intensive française qui ne s'est toujours pas désintoxifiée de produits phytosanitaires ô combien mortifères.
Mais c'est probablement les parties de l'enquête consacrées à la chaîne de défaillances et de compromissions des autorités de santé, censées servir de garde-fou à une agriculture déraisonnée, tout comme du gouvernement français, qui laissent rageur·euses. Rageant, en effet, que la lanceuse d'alerte Emmanuelle Amar ait dû se résoudre en 2019 à porter plainte en diffamation contre... une directrice de recherche à l'Inserm qui assimilé publiquement son travail à « la plus grande tradition "complotiste" ».
Face à la force démesurée mise en oeuvre pour faire taire le scandale sanitaire, certains parents confient aux auteur·rice de l'ouvrage leur résignation : « On essaie de vivre normalement. Notre souci, c'est plutôt de savoir comment Alice peut faire du vélo et avoir une prothèse adaptée... On n'a pas le temps, pas l'argent et pas l'énergie pour porter plainte. » A la lecture de Bébés sans bras, un déni sanitaire, on sait précisément qui s'en frotte les mains.
Bébés sans bras, un déni sanitaire, de Mélanie Déchalotte et Juin, éditions Les Échappés.