Une commission d’enquête parlementaire sur les fédérations sportives a rendu aujourd’hui ses conclusions dans un rapport à charge, notamment contre la ministre Oudéa-Castéra et sur la question des violences sexuelles.
À la suite des affaires révélées dans les médias (comme celle concernant la patineuse Sarah Abitbol, en 2020), cette commission créée à l’initiative du groupe écologiste-Nupes à l’Assemblée nationale a enquêté durant six mois sur les défaillances du milieu sportif, depuis juin 2023, et auditionné quelque 193 personnes. Elle a rendu un rapport accablant, mardi 23 janvier, épinglant tous les échelons, des acteurs sportifs locaux aux plus hautes instances comme le ministère des Sports. À six mois des Jeux olympiques, la commission déplore également un “État qui a failli dans l’exercice de sa mission de garant de l’intérêt général, de protection de l’éthique et des pratiquants”, peut-on lire dans le texte. Voici ce qu’il faut en retenir.
1. La ministre Oudéa-Castéra épinglée dans le rapport
L’actuelle ministre de l’Éducation a été longuement entendue par la commission, qui l’a notamment interrogée sur son salaire annuel de 500 000 euros en tant que directrice de la Fédération française de tennis en 2021–2022. Le rapport l’accuse également de manquements dans la gestion des cas de violences sexistes et sexuelles lors de son mandat de ministre des Sports.
2. Les violences sexistes et sexuelles, problème central dans le sport
Sur les trois axes d’investigation de la commission d’enquête (violences, discriminations, atteintes à la probité), l’un s’est imposé : “Indéniablement et rapidement, les violences sexistes et sexuelles sont devenues le centre de gravité de notre travail,” note le rapport, qui ajoute : “La rapporteure et la présidente ont été confrontées à une avalanche de témoignages de victimes et de lanceurs d’alerte, dénonçant des abus, des violences, des discriminations, des dysfonctionnements.” La commission dit également avoir été entravée et empêchée de travailler, y compris par le ministère des Sports : “La rapporteure souhaite d’emblée dénoncer avec la plus grande fermeté les difficultés qu’elle a rencontrées pour accéder à un certain nombre de documents demandés au ministère des Sports.”
3. "Omerta à tous les étages"
Alors que Laura Flessel, ancienne ministre des Sports, déclarait en 2017 qu’il n’y avait “pas d’omerta” autour de la question des violences sexuelles dans le sport, la commission a trouvé, au contraire, que l’omerta était plus forte dans le sport que dans d’autres milieux. Le rapport parle ainsi d’“omerta à tous les étages” et d’un “long déni”. “Les éléments portés à la connaissance de la commission d’enquête révèlent un si long silence et une inertie coupables de l’ensemble de ceux qui étaient responsables de protéger ces enfants, ces femmes, ces hommes.” Le texte évoque “un système qui protège les agresseurs et sanctionne les victimes”.
4. Les mineur·es en milieu sportif plus exposé·es aux violences sexuelles
Le rapport rappelle qu’un enfant sur sept subit des violences dans le milieu sportif avant sa majorité (selon un rapport du Conseil de l’Europe) et que, parmi les 5,5 millions de femmes et d’hommes adultes qui ont été victimes de violences sexuelles dans leur enfance, 150 000 l’ont été dans le milieu sportif (selon les chiffres de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église). Selon la cellule créée par le ministère des Sports, Signal-sports, qui a reçu en quatre ans 1 800 signalements, 78 % des victimes étaient mineures au moment des faits. Enfin, selon la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), le milieu sportif présente certaines particularités : “Après un témoignage, dans le monde sportif plus qu’ailleurs, la plupart des enfants se heurtent au néant.”
5. Le milieu du patinage artistique pointé du doigt
À la suite de l’affaire Sarah Abitbol – qui a dénoncé en 2020 les violences sexuelles perpétrées par son entraîneur, Gilles Beyer, dans les années 1990 (mis en examen, celui-ci est décédé en 2023) –, la commission s’est intéressée au milieu du patinage artistique. Elle évoque, encore plus que dans d’autres disciplines sportives, une “culture du viol dans le patinage” et rapporte certains propos tenus par des cadres du milieu sportif : “Quelle patineuse n’est pas amoureuse de son entraîneur ?” D’autres paroles blâment les tenues jugées affriolantes des patineuses : “Il y a une volonté de séduction des patineuses, cela m’a toujours étonné, nos disciplines sont-elles génératrices de situations qui généreraient ces comportements ? Les tenues sont surprenantes dans le cadre de performances sportives […].”
6. Signal-sports, une plateforme inutile
La plateforme de signalement créée par le ministère des Sports en 2020, Signal-sports, a également été épinglée par la commission : en effet, selon l’enquête, il apparaît que cet outil reste très méconnu dans le milieu sportif et donc peu utilisé. La commission dit également s’être vu refuser l’accès aux données de la plateforme, en dépit de demandes répétées. Elle pointe aussi ses dysfonctionnements : celle-ci aurait en effet été conçue de manière incompréhensible, rendant très difficile aux usager·ères le signalement d’abus et de violences. Enfin, il s’avère également que seules trois personnes y travaillent à temps plein, un investissement jugé insuffisant pour traiter le nombre de signalements, selon le rapport.
7. 62 recommandations formulées
La commission a émis, dans son rapport, soixante-deux recommandations et préconise l’utilisation de nouveaux outils, comme la création d’une autorité administrative indépendante, extérieure au mouvement sportif, chargée de l’éthique et de l’intégrité du sport. Mais aussi la mise en place d’un observatoire national des discriminations dans le sport et d’une commission antidiscrimination et égalité dans chaque fédération. Le rapport demande également que soit menée une vaste enquête dans l’ensemble des fédérations sur les violences sexuelles et sexistes et le respect de l’obligation, inscrite dans la loi, de formation en matière de violences sexistes et sexuelles pour toutes les personnes obtenant des diplômes d’État délivrés dans le champ de la jeunesse et des sports. Enfin, la rapporteure de la commission ajoute : “Je partage la nécessité absolue de rendre les violences sexuelles sur mineurs imprescriptibles et de reconnaître l’amnésie traumatique dans le cadre de la prescription pénale.”
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