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Manifestation en Nouvelle-Zélande contre l’ouverture aux transgenres des épreuves féminines, et en particulier celle de l’haltérophile néo-zélandaise Laurel Hubbard, aux Jeux olympiques de Tokyo de 2020. © Ehimetalor Unuabona/Alamy Stock Photo

Sportives trans­genres : un vrai par­cours d’obstacles

Alors que le sport se veut être syno­nyme d’inclusion, la par­ti­ci­pa­tion de nombre de femmes trans­genres aux com­pé­ti­tions reste contro­ver­sée en rai­son d’un avan­tage phy­sique supposé.

« Faire du sport en France quand on est une femme trans­genre, ça reste tou­jours un com­bat. » Lucie1, 20 ans, sait de quoi elle parle. L’an der­nier, cette étu­diante en langues de 19 ans a dû arrê­ter le foot­ball qu’elle pra­ti­quait en club depuis l’enfance. Un moment qui coïn­cide avec la tran­si­tion hor­mo­nale qu’a enta­mée la jeune femme, née dans un corps de gar­çon. « Mon club m’a pro­po­sé de m’inscrire dans la caté­go­rie du genre assi­gné à ma nais­sance, mais je ne le sou­haite pas. Pour moi, cela revien­drait à accep­ter une trans­pho­bie ordi­naire », affirme Lucie à Causette. Pour pou­voir chaus­ser de nou­veau ses cram­pons et taper le bal­lon avec des filles cette fois, l’étudiante doit désor­mais attendre l’obtention de ses papiers d’identité, qui men­tion­ne­ront son genre fémi­nin. « Je pour­rai m’inscrire pour la ren­trée si tout se passe bien au niveau admi­nis­tra­tif », assure-​t-​elle, tout en nous confiant « être stres­sée à l’idée de devoir se chan­ger dans les ves­tiaires des filles ».

Le par­cours de Lucie, Alexia Cérénys le connaît bien. La pre­mière Française joueuse de rug­by trans­genre en pre­mière divi­sion – et la seule connue à ce jour – a vécu le même, quelques années plus tôt. La jeune femme de 36 ans, qui dit être « un dino­saure de la tran­si­tion », jouait déjà au rug­by à haut niveau avant d’entamer cette tran­si­tion en 2012. Mais elle par­ta­geait alors le ter­rain avec les gar­çons. Pour jouer avec les filles, Alexia a dû renon­cer au bal­lon ovale jusqu’à ce que sa nou­velle iden­ti­té soit offi­ciel­le­ment enté­ri­née, en 2016. « J’avais une grande appré­hen­sion du ves­tiaire fémi­nin, mais pas du ter­rain, confie-​t-​elle à Causette. J’avais peur du regard. Je me deman­dais ce que les filles allaient dire quand elles allaient voir mon corps. Au début, j’arrivais déjà en tenue, mais à un moment, quand on est très sale, il faut bien y aller ! (rire) » Finalement, aucun regard ne fut hostile.

Polémiques média­tiques

En France, bien qu’il soit impos­sible de quan­ti­fier le nombre de per­sonnes concer­nées, la ques­tion de leur inclu­sion au sein des clubs et des fédé­ra­tions prend de l’ampleur, que ce soit dans les com­pé­ti­tions spor­tives ou dans les pra­tiques dites de loi­sir. Si la visi­bi­li­té des femmes trans gagne du ter­rain, elle fait néan­moins cou­ler beau­coup d’encre, et ce, bien au-​delà de nos fron­tières. Car dans le sport, le prin­cipe de non-​mixité demeure la règle d’or.

À Tokyo, en août 2021, tous les yeux se sont ain­si tour­nés vers Laurel Hubbard. L’haltérophile néo-​zélandaise de 43 ans était la pre­mière ath­lète trans à par­ti­ci­per aux Jeux olym­piques. Bien que théo­ri­que­ment, depuis les Jeux d’Athènes de 2004, les ath­lètes trans­genres soient autorisé·es à prendre part aux épreuves, en pra­tique, aucun pays n’avait jusqu’ici envoyé de compétiteur·rices. Plus récem­ment, en décembre 2021, la nageuse trans­genre amé­ri­caine, Lia Thomas, rem­por­tait trois épreuves d’un cham­pion­nat uni­ver­si­taire, pul­vé­ri­sant de fait trois records natio­naux. Il n’en fal­lait pas plus pour don­ner du grain à moudre à la polé­mique sur la par­ti­ci­pa­tion des ath­lètes transgenres.

Voici la ques­tion qui cris­tal­lise le débat : les femmes trans­genres seraient-​elles avan­ta­gées dans les com­pé­ti­tions spor­tives et, avec leur inclu­sion, en serait-​il fini du sport fémi­nin ? Dans l’imaginaire col­lec­tif, la réponse est oui. L’argument prin­ci­pal vou­drait qu’ayant connu la puber­té mas­cu­line, les femmes trans conservent natu­rel­le­ment des capa­ci­tés mus­cu­laires supé­rieures à celles des femmes cis­genres. « Le fait qu’elles aient été socia­li­sées et entraî­nées comme des hommes avant leur tran­si­tion ferait qu’elles sont tou­jours des hommes, indique le socio­logue Arnaud Alessandrin, auteur de Sociologie des tran­si­den­ti­tés2. Ce serait éga­le­ment déloyal selon l’idée pré­con­çue que des “hommes” gagnent encore contre de “vraies femmes”. »

De l’autre côté, les hommes trans sont beau­coup moins sujets à la contro­verse. Malgré une prise d’hormones, les hommes trans seraient tou­jours consi­dé­rés comme « désa­van­ta­gés » par un corps qua­li­fié de fémi­nin à la nais­sance. « On ne s’intéresse jamais aux hommes trans­genres, car ils sont peu à gagner des com­pé­ti­tions, par contre on s’intéresse de près à la poi­gnée de femmes trans qui gagnent, en com­pa­rai­son des mil­liers qui perdent », sou­ligne le socio­logue. Ainsi, la nageuse Lia Thomas fait des vagues dans les médias lorsqu’elle bat des records, mais quand, dès le len­de­main, elle arrive bonne cin­quième à une autre course… en France, calme plat, per­sonne ne reprend l’info.

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Alexia Cérénys (au centre), la pre­mière joueuse de rug­by trans en France, évo­lue aujourd’hui avec Lons
(Pau, Pyrénées-​Atlantiques) en pre­mière divi­sion. Ici, lors d’un match contre le Stade fran­çais, début 2022. © Coudert/​Sportsvision/​SIPA

Que dit la science à ce pro­pos ? Pour l’instant, pas grand-​chose. « Il n’y a presque aucune étude qui porte sur les capa­ci­tés phy­siques des spor­tives trans­genres, sur­tout sur les effets du trai­te­ment hor­mo­nal », affirme Joanna Harper à Causette. Cette scien­ti­fique et mara­tho­nienne amé­ri­caine a publié en 2015 une étude sur les per­for­mances spor­tives de huit femmes trans­genres cou­reuses de fond, à par­tir de sa propre expé­rience. Elle avait consta­té qu’après sa tran­si­tion hor­mo­nale en 2004, son temps de course avait dimi­nué. Son étude démontre que si ces femmes res­taient très per­for­mantes dans leur nou­velle caté­go­rie de genre, elles n’étaient pas au-​dessus du lot, et, à une excep­tion près, qu’après leur tran­si­tion elles cou­raient moins vite. Néanmoins, Joanna Harper tient à nuan­cer : « Les conclu­sions de mon étude ne s’appliquent qu’à la course de fond et à aucun autre sport. »

Handicap du stress dû à l’appartenance à une minorité

Pour la mara­tho­nienne, « il n’est cepen­dant pas dérai­son­nable de s’inquiéter de la par­ti­ci­pa­tion des femmes trans à des sports fémi­nins ». D’après elle, les femmes trans gardent en effet cer­tains avan­tages phy­siques asso­ciés à la puber­té mas­cu­line comme la taille ou la force, « ce qui reste un avan­tage dans de nom­breux sports. Mais pas dans tous », nuance-​t-​elle. « Il est rai­son­nable d’imposer des res­tric­tions, mais pas de les ban­nir du sport fémi­nin, tranche Joanna Harper. Rien n’indique pour l’instant qu’elles sont sur le point d’en prendre le contrôle. »

Pour Arnaud Alessandrin, les choses sont claires : au contraire, les ath­lètes trans sont défa­vo­ri­sées. « La méde­cine a mon­tré que les muscles fondent avec le trai­te­ment hor­mo­nal, argue le socio­logue. Il faut aus­si par­ler de la dif­fi­cul­té pour les femmes trans à trou­ver des spon­sors ain­si que des fédé­ra­tions accueillantes. Il y a éga­le­ment le stress que subissent les mino­ri­tés : les dis­cri­mi­na­tions trans­phobes réelles ou sup­po­sées qui ont des consé­quences sur les per­for­mances des athlètes. »

Alexia Cérénys et Lucie, inter­ro­gées par Causette, parlent toutes deux d’une baisse de leurs per­for­mances. « J’ai moins de souffle, d’endurance et d’énergie », explique Lucie. Quant à Alexia Cérénys, spor­tive pro, elle atteste avoir « per­du énor­mé­ment de force » et « avoir eu beau­coup de dif­fi­cul­tés à retrou­ver son niveau ». Et que dit la régle­men­ta­tion ? Cela dépend des ins­tances et des fédé­ra­tions. Jusqu’en 1996, les spor­tives consi­dé­rées comme « sus­pectes » étaient sou­mises à des tests de fémi­ni­té pour prou­ver qu’elles n’étaient pas de sexe mas­cu­lin. En l’absence de consen­sus scien­ti­fique, le Comité inter­na­tio­nal olym­pique invite depuis le 16 novembre 2021 à éta­blir par fédé­ra­tion « des cri­tères ­d’admissibilité basés sur ce que signi­fie un avan­tage déloyal ».

Fédés en ordre dispersé

Si quelques fédés fran­çaises ont ­com­men­cé depuis à bali­ser la pra­tique d’un point de vue hor­mo­nal, cha­cune peut adop­ter son propre règle­ment, et ­l’intégration des femmes trans se fait donc au cas par cas. Ainsi la Fédération fran­çaise de rug­by est ­deve­nue, en mai 2021, la pre­mière – et la seule – à inclure les ath­lètes trans­genres, sans dis­tinc­tion, dans son règle­ment. Les spor­tives trans peuvent par­ti­ci­per aux com­pé­ti­tions à par­tir du moment où elles ont ini­tié leur chan­ge­ment d’état civil, suivent un trai­te­ment hor­mo­nal de douze mois et jus­ti­fient d’un seuil de tes­to­sté­rone ne dépas­sant pas 5 nanomoles/​litre. Quant aux hommes trans, ils ne subissent aucune restriction.

À l’inverse, cer­taines fédé­ra­tions rétro­pé­dalent : en 2020, la Fédération inter­na­tio­nale de rug­by a « recom­man­dé » que les ath­lètes femmes trans ne dis­putent pas ses cham­pion­nats inter­na­tio­naux fémi­nins, en rai­son des sup­po­sées ­dif­fé­rences phy­siques. La Floride a rejoint en juin 2021 la ving­taine d’États amé­ri­cains qui inter­disent les com­pé­ti­tions fémi­nines sco­laires aux jeunes femmes trans­genres. Preuves, s’il en fal­lait, que l’intégration des femmes trans s’apparente davan­tage à une course d’obstacles qu’à un foo­ting du dimanche.

  1. Le pré­nom a été modi­fié[]
  2. Sociologie des tran­si­den­ti­tés, d’Arnaud Alessandrin. Éd. Le Cavalier bleu, 2018.[]
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