Alors que le sport se veut être synonyme d’inclusion, la participation de nombre de femmes transgenres aux compétitions reste controversée en raison d’un avantage physique supposé.
« Faire du sport en France quand on est une femme transgenre, ça reste toujours un combat. » Lucie1, 20 ans, sait de quoi elle parle. L’an dernier, cette étudiante en langues de 19 ans a dû arrêter le football qu’elle pratiquait en club depuis l’enfance. Un moment qui coïncide avec la transition hormonale qu’a entamée la jeune femme, née dans un corps de garçon. « Mon club m’a proposé de m’inscrire dans la catégorie du genre assigné à ma naissance, mais je ne le souhaite pas. Pour moi, cela reviendrait à accepter une transphobie ordinaire », affirme Lucie à Causette. Pour pouvoir chausser de nouveau ses crampons et taper le ballon avec des filles cette fois, l’étudiante doit désormais attendre l’obtention de ses papiers d’identité, qui mentionneront son genre féminin. « Je pourrai m’inscrire pour la rentrée si tout se passe bien au niveau administratif », assure-t-elle, tout en nous confiant « être stressée à l’idée de devoir se changer dans les vestiaires des filles ».
Le parcours de Lucie, Alexia Cérénys le connaît bien. La première Française joueuse de rugby transgenre en première division – et la seule connue à ce jour – a vécu le même, quelques années plus tôt. La jeune femme de 36 ans, qui dit être « un dinosaure de la transition », jouait déjà au rugby à haut niveau avant d’entamer cette transition en 2012. Mais elle partageait alors le terrain avec les garçons. Pour jouer avec les filles, Alexia a dû renoncer au ballon ovale jusqu’à ce que sa nouvelle identité soit officiellement entérinée, en 2016. « J’avais une grande appréhension du vestiaire féminin, mais pas du terrain, confie-t-elle à Causette. J’avais peur du regard. Je me demandais ce que les filles allaient dire quand elles allaient voir mon corps. Au début, j’arrivais déjà en tenue, mais à un moment, quand on est très sale, il faut bien y aller ! (rire) » Finalement, aucun regard ne fut hostile.
Polémiques médiatiques
En France, bien qu’il soit impossible de quantifier le nombre de personnes concernées, la question de leur inclusion au sein des clubs et des fédérations prend de l’ampleur, que ce soit dans les compétitions sportives ou dans les pratiques dites de loisir. Si la visibilité des femmes trans gagne du terrain, elle fait néanmoins couler beaucoup d’encre, et ce, bien au-delà de nos frontières. Car dans le sport, le principe de non-mixité demeure la règle d’or.
À Tokyo, en août 2021, tous les yeux se sont ainsi tournés vers Laurel Hubbard. L’haltérophile néo-zélandaise de 43 ans était la première athlète trans à participer aux Jeux olympiques. Bien que théoriquement, depuis les Jeux d’Athènes de 2004, les athlètes transgenres soient autorisé·es à prendre part aux épreuves, en pratique, aucun pays n’avait jusqu’ici envoyé de compétiteur·rices. Plus récemment, en décembre 2021, la nageuse transgenre américaine, Lia Thomas, remportait trois épreuves d’un championnat universitaire, pulvérisant de fait trois records nationaux. Il n’en fallait pas plus pour donner du grain à moudre à la polémique sur la participation des athlètes transgenres.
Voici la question qui cristallise le débat : les femmes transgenres seraient-elles avantagées dans les compétitions sportives et, avec leur inclusion, en serait-il fini du sport féminin ? Dans l’imaginaire collectif, la réponse est oui. L’argument principal voudrait qu’ayant connu la puberté masculine, les femmes trans conservent naturellement des capacités musculaires supérieures à celles des femmes cisgenres. « Le fait qu’elles aient été socialisées et entraînées comme des hommes avant leur transition ferait qu’elles sont toujours des hommes, indique le sociologue Arnaud Alessandrin, auteur de Sociologie des transidentités2. Ce serait également déloyal selon l’idée préconçue que des “hommes” gagnent encore contre de “vraies femmes”. »
De l’autre côté, les hommes trans sont beaucoup moins sujets à la controverse. Malgré une prise d’hormones, les hommes trans seraient toujours considérés comme « désavantagés » par un corps qualifié de féminin à la naissance. « On ne s’intéresse jamais aux hommes transgenres, car ils sont peu à gagner des compétitions, par contre on s’intéresse de près à la poignée de femmes trans qui gagnent, en comparaison des milliers qui perdent », souligne le sociologue. Ainsi, la nageuse Lia Thomas fait des vagues dans les médias lorsqu’elle bat des records, mais quand, dès le lendemain, elle arrive bonne cinquième à une autre course… en France, calme plat, personne ne reprend l’info.
![Sportives transgenres : un vrai parcours d’obstacles 2 SIPA 01058804 000002](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/06/SIPA_01058804_000002-1024x682.jpg)
(Pau, Pyrénées-Atlantiques) en première division. Ici, lors d’un match contre le Stade français, début 2022. © Coudert/Sportsvision/SIPA
Que dit la science à ce propos ? Pour l’instant, pas grand-chose. « Il n’y a presque aucune étude qui porte sur les capacités physiques des sportives transgenres, surtout sur les effets du traitement hormonal », affirme Joanna Harper à Causette. Cette scientifique et marathonienne américaine a publié en 2015 une étude sur les performances sportives de huit femmes transgenres coureuses de fond, à partir de sa propre expérience. Elle avait constaté qu’après sa transition hormonale en 2004, son temps de course avait diminué. Son étude démontre que si ces femmes restaient très performantes dans leur nouvelle catégorie de genre, elles n’étaient pas au-dessus du lot, et, à une exception près, qu’après leur transition elles couraient moins vite. Néanmoins, Joanna Harper tient à nuancer : « Les conclusions de mon étude ne s’appliquent qu’à la course de fond et à aucun autre sport. »
Handicap du stress dû à l’appartenance à une minorité
Pour la marathonienne, « il n’est cependant pas déraisonnable de s’inquiéter de la participation des femmes trans à des sports féminins ». D’après elle, les femmes trans gardent en effet certains avantages physiques associés à la puberté masculine comme la taille ou la force, « ce qui reste un avantage dans de nombreux sports. Mais pas dans tous », nuance-t-elle. « Il est raisonnable d’imposer des restrictions, mais pas de les bannir du sport féminin, tranche Joanna Harper. Rien n’indique pour l’instant qu’elles sont sur le point d’en prendre le contrôle. »
Pour Arnaud Alessandrin, les choses sont claires : au contraire, les athlètes trans sont défavorisées. « La médecine a montré que les muscles fondent avec le traitement hormonal, argue le sociologue. Il faut aussi parler de la difficulté pour les femmes trans à trouver des sponsors ainsi que des fédérations accueillantes. Il y a également le stress que subissent les minorités : les discriminations transphobes réelles ou supposées qui ont des conséquences sur les performances des athlètes. »
Alexia Cérénys et Lucie, interrogées par Causette, parlent toutes deux d’une baisse de leurs performances. « J’ai moins de souffle, d’endurance et d’énergie », explique Lucie. Quant à Alexia Cérénys, sportive pro, elle atteste avoir « perdu énormément de force » et « avoir eu beaucoup de difficultés à retrouver son niveau ». Et que dit la réglementation ? Cela dépend des instances et des fédérations. Jusqu’en 1996, les sportives considérées comme « suspectes » étaient soumises à des tests de féminité pour prouver qu’elles n’étaient pas de sexe masculin. En l’absence de consensus scientifique, le Comité international olympique invite depuis le 16 novembre 2021 à établir par fédération « des critères d’admissibilité basés sur ce que signifie un avantage déloyal ».
Fédés en ordre dispersé
Si quelques fédés françaises ont commencé depuis à baliser la pratique d’un point de vue hormonal, chacune peut adopter son propre règlement, et l’intégration des femmes trans se fait donc au cas par cas. Ainsi la Fédération française de rugby est devenue, en mai 2021, la première – et la seule – à inclure les athlètes transgenres, sans distinction, dans son règlement. Les sportives trans peuvent participer aux compétitions à partir du moment où elles ont initié leur changement d’état civil, suivent un traitement hormonal de douze mois et justifient d’un seuil de testostérone ne dépassant pas 5 nanomoles/litre. Quant aux hommes trans, ils ne subissent aucune restriction.
À l’inverse, certaines fédérations rétropédalent : en 2020, la Fédération internationale de rugby a « recommandé » que les athlètes femmes trans ne disputent pas ses championnats internationaux féminins, en raison des supposées différences physiques. La Floride a rejoint en juin 2021 la vingtaine d’États américains qui interdisent les compétitions féminines scolaires aux jeunes femmes transgenres. Preuves, s’il en fallait, que l’intégration des femmes trans s’apparente davantage à une course d’obstacles qu’à un footing du dimanche.