Julien Pontes, porte-parole du collectif Rouge Direct qui lutte contre l’homophobie dans le foot, revient pour Causette sur le cas du joueur du PSG Idrissa Gueye, qui n’aurait pas joué samedi soir contre Montpellier afin d’éviter de porter un maillot au flocage arc-en-ciel en soutien aux droits LGBT. Un refus symptomatique d’une homophobie ancrée dans le football.
Son absence sur le terrain n’est pas passée inaperçue et relance la question de l’homophobie dans le football. Le joueur du Paris-Saint-Germain Idrissa Gueye a déserté le terrain samedi 14 mai contre Montpellier, lors de la journée dédiée à la lutte contre l’homophobie organisée par la Ligue de football professionnel (LFP), à l’occasion de laquelle les joueurs du championnat français arborent un maillot au flocage arc-en-ciel. Une situation qui s’était d’ailleurs déjà présentée l’année dernière, Idrissa Gueye ayant alors refusé de jouer, invoquant une gastro-entérite.
Si cette année l’entourage du joueur, contacté par l’AFP, a refusé d’expliquer les raisons de cette absence, l’entraîneur du PSG Mauricio Pochettino a de son côté évoqué des « raisons personnelles », précisant que le milieu de terrain « n’était pas blessé » avant de faire savoir hier à RMC Sport que la décision du joueur est « individuelle ». Selon France Info, l'entraîneur aurait en réalité « très mal pris » la véritable raison du forfait. L'absence du joueur sénégalais serait, d’après les informations du Parisien, motivée par des convictions religieuses, Idrissa Gueye étant musulman pratiquant. Interview avec Julien Pontes, porte-parole du collectif Rouge Direct, lanceur d’alerte contre l’homophobie dans le foot et plus largement dans le sport, qui décrypte pour Causette la polémique.
Causette : Quelle a été votre réaction face au refus d’Idrissa Gueye de jouer samedi soir ?
Julien Pontes : Nous sommes très inquiets. Nous assistons depuis samedi soir à un véritable déferlement de haine contre les LGBT sur les réseaux sociaux, ajouté à des milliers de messages de soutien envers ce joueur. Nous avons envoyé dimanche un courrier au PSG par le biais de notre avocat pour demander au club de convoquer Idrissa Gueye – qui est en ce moment tranquillement au Qatar – afin de le sanctionner et de demander à ce qu'il présente des excuses publiques. Pour l’instant nous n’avons pas reçu de réponses. L’employeur du joueur, le PSG, doit être ferme. Bien sûr, il faut respecter la présomption d’innocence mais son choix semble être motivé par ses convictions religieuses. Il a le droit d’avoir des convictions mais il doit les expliquer. Expliquer pourquoi est-ce que l’homosexualité est un problème quand on est pratiquant, qu’on soit musulman, chrétien ou autre. Au-delà de la polémique en elle-même, ce refus est révélateur d’une homophobie systémique dans le football.
Selon vous, derrière cette polémique se cache la question du rapport entre l’homosexualité et la religion ?
J.P. : Oui. Il est temps d’affronter la question de la religion et de l’homosexualité. Ce sont deux réalités qui cohabitent difficilement aujourd’hui dans le monde du foot. Cette polémique est finalement le moment clé pour faire bouger les mentalités sur le sujet et regarder la réalité en face. Il faut se poser la question du rapport entre les deux et pourquoi elles cohabitent si mal.
Quel est l’impact de cette journée de lutte contre l'homophobie ? Pensez-vous que porter ces maillots floqués de l’arc-en-ciel LGBT puisse aider la lutte ?
J.P. : Cette journée qui est reconduite chaque année depuis trois ans ne donne pas les résultats annoncés. La preuve, on a vu aucun coming out dans le monde du football professionnel français. Le Français Ouissem Belgacem, qui a dû abandonner sa carrière de joueur pro en raison de l'homophobie en est d’ailleurs le parfait exemple. Pour nous, c’est davantage une opération de communication qui s’apparente à du pinkwashing qu’une réelle lutte. C’est un peu « la journée paillette » une fois par an et le reste de l’année, c’est 364 jours d’impunité. En 2019, il y avait déjà eu une opération où l’on proposait aux joueurs de porter un brassard arc-en-ciel et on avait constaté que beaucoup d’entre eux ne l’avaient pas mis. On nous avait répondu que les brassards étaient de mauvaise qualité.
Que devrait-il être mis en place selon vous ?
J.P. : Il faut mettre en place un véritable travail de fond, que ce soit dans le football amateur ou dans le football professionnel. On a besoin de messages de sensibilisation portés par des associations partenaires de la Fédération française de football (FFF) et de la Ligue de football professionnel (LFP).
Ces instances ne manquent pas de moyens financiers, elles doivent désormais mettre en place des moyens humains pour lutter contre l’homophobie. Dans le cadre du football professionnel, il faut parler aux joueurs toute l’année de ces questions LGBT. On ne leur en parle jamais et là, on leur demande de porter un maillot bon gré mal gré, ça ne peut pas fonctionner.
Il ne faut pas oublier non plus le foot amateur, qui représente deux millions de licenciés en France, c’est le premier sport du pays. Tous les entraineurs de clubs amateurs doivent être formés pour pouvoir réagir lorsqu’ils font face à des phrases aujourd’hui devenus banales sur le terrain : « On n’est pas une équipe de tapettes », « c’est un tir de PD ».
L'international français Antoine Griezmann fait en 2019 la Une de Têtu avec en titre "l'homophobie dans le foot, ça suffit !", Ouissem Belgacem sort un livre il y a un an pour briser le tabou et le joueur professionnel anglais Jake Daniels fait son coming out lundi dans la presse britannique, une première en Angleterre. Les choses changent ?
J.P. : Si on salue évidemment le coming out de Jake Daniels, il ne fait que mettre en évidence le retard du foot français. Il suffit de se rendre dans un stade un soir de match pour constater en écoutant les chants des supporters qu’on a affaire à un phénomène d’homophobie qui s'enkyste, avec l’impression que les clubs professionnels se sont fermés sur la question de l’homophobie. En 2013 on a mené une étude universitaire sur l’homophobie dans le foot. Les résultats étaient alarmants : 41 % des joueurs pro et 50 % des joueurs en centre de formation déclaraient des opinions contre l’homosexualité. La LFP doit impérativement refaire ce genre d'études pour mesurer le niveau d’homophobie. La LFP doit prendre ses responsabilités vis-à-vis des clubs qui doivent eux-mêmes prendre leurs responsabilités vis-à-vis de leurs supporters. Il ne s’agit pas de les infantiliser mais de leur expliquer la loi et sortir de l’omerta. Parce que l’homophobie reste un délit, que ce soit dans un stade ou dans une tribune entre copains. Il faut saisir l’occasion avec Idrissa Gueye pour sortir de cette polémique par le haut.
Après 48 heures de silence radio, le PSG est sorti de son silence hier soir en faisant savoir qu’il se désolidarise d’Idrissa Gueye, qui risque la suppression de sa prime d’éthique. Qu’en pensez-vous ?
J.P. : Vous savez, Idrissa Gueye touche des millions d’euros de salaire par an donc une prime supprimée, c’est peanuts. Je serais favorable à une sanction pédagogique, comme un stage de sensibilisation aux questions LGBT, même si bien sûr sanctionner un joueur ça envoie un message, fort aux joueurs amateurs et aux supporters. Dans tous les cas, les autorités publiques et sportives doivent reconnaitre le motif homophobe s’il est prouvé. Si ce n’est pas fait, c’est reconnaître un droit à l’homophobie et c’est la porte ouverte à toutes les discriminations.
Rapport SOS Homophobie 2022 : les violences LGBTIphobes ont persisté en 2021
SOS Homophobie publie, ce mardi, son rapport annuel à l'occasion de la Journée mondiale contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie. L'association indique avoir reçu l'an dernier 1515 témoignages au niveau national, contre 1815 en 2020. Si les actes d'homophobie reculent, ce n'est pas le cas des actes de transphobie qui sont pour la première fois le deuxième type de LGBTIphobie relevé par les pôles d’écoute de l'association. Selon le rapport les victimes de ces discriminations sont d'ailleurs particulièrement jeunes. Sur les 179 cas de transphobie relevés par l’association, 16% concernent des moins de 18 ans. Ces actes transphobes se traduisent majoritairement par du rejet (79% des cas), par des insultes (27%), du harcèlement (20%) ou de la discrimination (17%).
Le rapport souligne cependant deux avancées majeures tendant vers davantage d’égalité des droits pour les personnes LGBTI : la loi qui prohibe les thérapies de conversion ainsi que la loi bioéthique, qui a ouvert l’accès à la Procréation médicale assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes seules.