Rétrograder de la D2 au championnat national pour laisser le budget aux collègues masculins, eux-mêmes évoluant en “troisième division”. C’est la décision jugée injuste et sexiste du président de l’Union sportive Orléans Loiret Football pour son équipe féminine.
Il planait comme un sentiment de froide colère en cet après-midi du dimanche 26 mai, sur la pelouse du stade de la Source, à Orléans (Loiret). De sororité aussi. Devant leurs rivales orléanaises, qui ont refusé de jouer la première minute du match de cette dernière journée de Division 2 féminine, envoyant le ballon en touche, les Strasbourgeoises ont attendu sans broncher. Mieux, au bout de soixante secondes de protestation silencieuse, les leaders du championnat ont passé le ballon aux joueuses à domicile, ouvrant alors véritablement la partie. La scène, peu commune sur les terrains de foot, ressemblait à un cri d’alarme : pour l’équipe féminine de l’Union sportive Orléans Loiret Football (USO), qui avait pris soin de recouvrir de brassards rouges le logo du club affiché sur les manches des maillots, on cherche à la “détruire”.
Le couperet est tombé le 24 mai de la bouche du nouveau président de l’USO, arrivé en fonctions début avril. Ce vendredi, Cyril Courtin accepte de rencontrer la capitaine Mariane Amaro et ses coéquipères, qui s’inquiètent de leur sort dans un contexte budgétaire épineux pour l’USO. Le club est, depuis janvier, sous le coup d’un ultimatum de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), qui a exigé qu’il renfloue ses caisses de 2 millions d’euros sous peine de rétrograder son équipe masculine de la “troisième division” (championnat national) à la “quatrième division” (national 2) à la saison prochaine. Selon des joueuses citées par France 3 Centre-Val-de-Loire, lors de la rencontre de vendredi, Cyril Courtin passe “quelques minutes à tourner autour du pot” avant de leur “annoncer la couleur” : “un budget minoré pour la section féminine et l’accent porté sur l’équipe masculine. Avec un objectif, viser la ligue 2.” C’est-à-dire l’équivalent masculin de la D2 dans laquelle évoluent les filles d’Orléans.
Plus méritantes
Faire le choix de ces vases communiquant budgétaires est lourd de conséquences pour les joueuses. Le club assume de les faire rétrograder en championnat national ou, comme il a préféré le formuler dans son communiqué de presse publié le lendemain, “il a été notifié aux joueuses de la D2F que […] l’équipe serait amenée à repartir dans une division inférieure”. “L’USO ne peut malheureusement pas supporter les charges financières de deux clubs professionnels, masculin et féminin”, argue-t-il, balayant d’un revers de manche le fait que, en l’occurrence, la section féminine est plus méritante. “Ce qu’il fait, c’est une honte au football féminin”, commente, sous couvert d’anonymat, l’une des joueuses auprès de France 3 Centre-Val-de-Loire.
Sommé de s'expliquer face à la gronde des joueuses et à la sortie de l'information dans La République du Centre dès le vendredi soir, l'USO détaille dans ce même communiqué les raisons justifiant sa décision, dans un contexte de réforme du foot féminin par la Fédération française de football (FFF), visant à le développer. "Le club se félicite des évolutions positives du football féminin et de sa professionnalisation à compter du 1er juillet 2024 par les instances du football, précise l'USO. En revanche, les prérogatives du cahier des charges prévisionnel de la future Licence Club féminine ne sont aujourd’hui pas compatibles avec les possibilités budgétaires d’un club de National comme l’US Orléans."
Chantier de la professionnalisation
Attendu pour dans un gros mois, le vaste projet de Ligue Féminine de Football Professionnel (LFFP) marque un tournant pour la professionnalisation et la reconnaissance des joueuses de haut niveau. Il repose sur un investissement, de la part de la FFF, "de 50 et 70 millions d'euros sur cinq ans pour aider à la structuration des clubs", selon les informations de L'Equipe. La LFFP sera présidée par Jean-Michel Aulas, actuel vice-président de la FFF et promoteur de longue date du haut niveau du foot féminin notamment grâce à son travail mené avec l'Olympique lyonnais (OL). Elle comportera deux divisions, la D1 Arkema (du nom du sponsor) et la D2 féminine, celle dans laquelle se trouvent aujourd'hui les joueuses de l'USO.
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Quelles sont donc ces "prérogatives du cahier des charges prévisionnel de la future Licence Club féminine" dénoncées par Cyril Courtin ? Il s'agit d'un engagement qualitatif des clubs autour de "l'optimisation du staff technique, l'organisation administrative, le suivi médical, les infrastructures d’entraînement, une plateforme TV" ou encore d'une "ambassadrice TV" et de "l'obligation de jouer au minimum trois de leurs matches de D1 Arkema sur la saison dans ses stades dit 'premium', afin d’encourager la visibilité et l’image du championnat", selon les informations disponibles sur le site de la FFF. Cette dernière annonce aussi veiller à des "critères écologiques et en rapport avec le droit des femmes" et se charge d'évaluer cet investissement pour décerner un niveau de licence ("excellence" pour la D1 Arkema) et un accompagnement financier associé.
En préférant rétrograder ses joueuses en championnat national, l’USO perd l’occasion de leur permettre de se professionnaliser et prend le risque en toute conscience de voir ses meilleurs éléments quitter le navire puisqu’elles ne seront plus rémunérées comme des joueuses de deuxième division. Pour les filles du club, l’amertume est grande. “Deux semaines plus tôt, on jouait le maintien, il fallait s’arracher pour ça et on l’a fait”, dit anonymement l’une d’elles à France 3 Centre-Val-de-Loire.
Appel à Amélie Oudéa-Castéra
Outre la minute de silence, les joueuses de l’US Orléans ont aussi donné de la voix, dimanche, face aux gradins, pour exprimer leur colère. “Ne laissez personne vous faire douter de votre valeur ou vous manquer de respect et porter atteinte à votre dignité”, a lancé la capitaine pour galvaniser son équipe abattue, rapporte France 3. “Vous avez autant de valeur que les hommes”, leur a répondu un supporter. Quant à l’attaquante Namnata Traoré, elle s’en remet désormais à l’État pour sauver l’équipe de ce qu’elles perçoivent comme une injustice : “J’appelle la ministre des Sports à agir.” Leur match s’est soldé sur un nul (0−0), alors même que les Strasbourgeoises sont premières de D2 et filent ainsi vers la D1 Arkema. Mariane Amaro et ses troupes finissent à une honorable – dans ce climat houleux – 7e place du classement.