Invaincues depuis le début de cet Euro féminin, les Françaises se sont inclinées face aux redoutables Allemandes (2-1) après un match de longue haleine, mercredi 27 juillet. Pour l'occasion, Causette s’est glissée parmi les supporter·rices bouillant·es du Bar'Ouf, au cœur de la capitale.
L’aventure des Bleues s'achève donc aux portes de la finale. Et pour les supporter·rices venu·es encourager leur équipe au Bar’Ouf dans le IIIème arrondissement de Paris, le rêve d’un premier sacre européen des Françaises s’est aussi envolé. L’équipe de Corinne Diacre a été défaite 2 buts à 1 face à la Mannschaft allemande, dans un duel acharné. « Évidemment je suis dégoutée. J’y ai cru jusqu’au bout », lance une supportrice au coup de sifflet final. Pourtant, la soirée n’avait pas débuté dans la déception. Autour de 20 heures, l’atmosphère était même plutôt à l’optimisme.
Au Bar’Ouf, bar LGBT+, on trinque, on rit, on s’aime, on s’embrasse, on refait le monde, on rencontre des inconnu·es… Mais ce soir de demi-finale, un air d’excitation s'est ajoutée à l’allégresse de cet endroit. « Moi je dis : 2-1 pour la France », estime Anne-Lou, assise sur un tabouret face à la télé, sous des moules en carton accrochées au plafond en guise de décoration. « Non, moi je pense plutôt que ça ira jusqu’au tirs aux buts », oppose Maëlle, à côté d’Anne-Lou et de leurs deux autres amies. « En tout cas ça va être serré, c’est sûr. » Un match en effet compliqué face à des Allemandes physiquement et techniquement expérimentées, qui n’avaient encore jamais encaissé de buts depuis le début du tournoi.
Un début de match crispé
Au rendez-vous, une majorité de femmes de tout âge, habituées de ce lieu inclusif et accueillant, qui brandissent des drapeaux français, portent des perruques tricolores ou arborent les maillots de leur joueuse préférée. « On suit toutes le foot depuis le lycée ou même depuis la primaire pour moi. Nous, c’est l’Olympique Lyonnais qu’on soutient », affirme Anne-Lou. Les tables se remplissent peu à peu, et bientôt la salle est comble jusqu’au trottoir, envahi de curieu·ses venu·es apercevoir un bout du face-à-face. On se frotte les mains, on dispose délicatement les bières sur la table, les yeux rivés sur l’écran. « Viens, ça commence ! », lance une jeune femme campée au premier rang à son amie fumant une cigarette à l’extérieur.
« Allez les Bleues, allez les Bleues ! », scande-t-on au coup d’envoi du match. Les applaudissements de soutien laissent parfois place à un silence concentré, interrompu par des protestations lorsqu’une Allemande vole la balle d’une Française. On se réjouit dès que les attaquantes Delphine Cascarino ou Melvine Malard atteignent la surface opposée. On se hérisse quand l’équipe de Martina Voss-Tecklenburg s’approche un peu trop près des cages françaises. On souffle quand la charnière défensive Griedge Mbock-Wendie Renard éteint une action adverse. Chaque millimètre du Bar’Ouf est occupé, tant et si bien que l'intrétable patronne indique à celles et ceux posté·es à l'extérieur et souhaitant se rassasier qu'il va falloir attendre la mi-temps. Le match avance, et toujours rien. A la 20e minute, la gardienne Peyraud-Magnin arrête en un coup de maître le ballon tiré sur coup-franc par la capitaine allemande Alexandra Popp. Cris de soulagement. « Allez les filles, merde ! s’exaspère Christine, cheveux coupés court et lunettes vissées sur le nez, en grignotant frénétiquement des chips. Ça fait déjà trente minutes de jeu et toujours rien. Faut y aller ! »
40e minute : but de la capitaine allemande, l'impitoyable Alexandra Popp. Cette fois, on crie d’effroi. Les supportrices se prennent la tête dans les mains, se mordent les doigts, tapent sur les tables. « Regarde ce qu’elle fait, c'est pas maîtrisé ça ! », commente une cliente. L’impatience monte. Puis vient le soulagement : Kadidiatou Diani offre une puissante frappe à la 44e qui cogne le poteau et rebondit sur le dos de la gardienne allemande. Tout le monde se lève, applaudit et fête le tout premier but encaissé par la Mannschaft depuis le début de la compétition.
Mi-temps soulagée
« J’ai été stressée pendant toute la première partie ! », annonce Christine en se dégourdissant les jambes à la mi-temps. « J’ai bouffé tout mon pic-nic pour me détendre. » Angélique s’était rendue seule au bar pour suivre le match, mais après avoir sympathisé avec Christine et ses deux amies, elle s’est jointe au trio. « C’est pour ça que j’adore cet endroit, il y a toujours une bonne ambiance, personne ne te juge et tu rencontres toujours des gens. » Les quatre femmes débriefent avec passion la première mi-temps. « Il y a trop de tension, elles sont vraiment carrées les Allemandes. Elles sont à trois sur une Française, nous, il faut qu’on joue de façon plus fluide », analyse Angélique. A ce stade, même pronostic qu’Anne-Lou : 2-1 pour la France. « Le but de l'Allemagne a servi d’électrochoc. On est menées 1-0, forcément on en met un derrière, déclare-t-elle, confiante. Si on va au tirs au but, ce sera la fin par contre. La goal de la Mannschaft est impénétrable. »
Ferventes supportrices de sport féminin, Christine, Nikita, Sophy et Angélique se réjouissent de voir un match de foot féminin retransmis gratuitement sur TF1 aux heures de grande écoute. « C’est génial que ce soit de plus en plus diffusé. C’est peut-être aussi parce que c’est les demi, mais de plus en plus de bars relayent les matchs de l’équipe féminine », souligne Sophy, intéressée par les sports féminins depuis plus de dix ans. « C’est agréable, en plus, de voir autant de gens qui suivent les matchs. Je suis là depuis le début de l’Euro et c’est la première fois qu’il y autant de monde ici, indique Angélique. Je sens que ça prend de l’ampleur, qu’on est sur une bonne lancée pour que ce soit encore plus médiatisé. » « Maintenant, faudrait que les joueuses soient autant payées… », rétorque Nikita.
Le foot féminin rameute de plus en plus de personnes, à l’image de Chloé, venue au Bar’Ouf spécialement pour le match. « J’ai vu sur les réseaux sociaux qu’ils diffusaient le match ici, donc je me suis dit que ça pouvait être sympa. Je trouve que le foot est hyper fédérateur, alors que je n’aime pas du tout à la base. Mais j’adore le bar, donc c’est l’occasion de m’y intéresser plus », sourit-elle.
Avant le début de la deuxième mi-temps, Angélique mise sur l’entrée de Clara Matéo au bout de dix minutes en attaque. « C’est ma joueuse favorite, en plus je la connais personnellement comme je travaille dans son entreprise d’ingénieur ! », s’exclame-t-elle avec une fierté non dissimulée. Matéo est en effet la seule joueuse de l'équipe à maintenir une activité à côté, avec des horaires aménagés. Pour Christine et Sophy, plus âgées qu’Angélique, leur chouchoute, c’est la capitaine, Wendie Renard. « Moi, je ne supporte pas de regarder les matchs des hommes », précise Nikita. « Dans le foot féminin, il n’y a pas ce côté chiqué et prétentieux qu'ont les joueurs masculins, considère-t-elle. Je trouve même qu’avec les femmes, il y a plus d’actions, moins de fautes et beaucoup de jeu. Ce n’est peut-être pas le même rythme mais elles ont vraiment le même niveau en termes de technique. »
Une fin de match compliquée
« Bon, c’est ma tournée, ça va nous détendre ! », s’écrie Christine en allant chercher des bières. La deuxième partie du match est lancée. Au fur et à mesure que le soleil se couche, la tension monte. La crispation se propage. « Les Allemandes se replacent trop vite et trop bien », glisse une cliente à une amie, les nerfs à vif. Clara Matéo rentre et remplace Delphine Cascarino en attaque à la 61e. « Enfin ! Ça y est, ça va commencer ! », clame Angélique. Mais la joueuse ne parviendra pas à faire la différence. Plus le match avance, plus l’agressivité des Allemandes et la fatigue des Françaises se font sentir.
A la 76e, Alexandra Popp lance un puissant coup de tête dans les cages et inscrit un doublé. Le score grimpe à 2-1 : c’est la douche froide. « Encore une fois, Popp, on ne lui laisse pas la balle ! », s’emporte Soukaïna, deux drapeaux tricolores dessinés sur les joues. A dix minutes de la fin, les visages se ferment. Au coup de sifflet final, les Bleues s'effondrent au sol, épuisées, et les mines des supportrices du Bar’Ouf se décomposent. « Ça y est, c’est ciao », s’attriste une cliente. La gérante du bar a déjà éteint les deux écrans, pour ne pas faire trop durer la déception. « Je suis frustrée, parce qu’on a eu des occasions, mais les Allemandes restent meilleures que nous. Mais j’avoue, j’y ai cru un moment ! », souffle une habituée, qui gardera surtout en tête l’honorable parcours d’une équipe française tenace et audacieuse.
Au Bar’Ouf, pas le temps de se morfondre. Christine et ses amies rangent leur pic-nic improvisé en rigolant. Les groupes formés au début du match se détournent de la télévision et reprennent leurs conversations. Les commandes au bar repartent déjà de plus belle. Plusieurs supportrices embrassent leurs amies et quittent le lieu, en gardant dans un coin de leur tête que le rêve des Bleues de décrocher le premier titre international de leur histoire vient d’être éteint.