On a vu le film anti-​IVG « Unplanned » et, spoi­ler, on n'a pas du tout aimé

L’annonce de la dif­fu­sion le 16 août sur C8 du film amé­ri­cain anti-​IVG Unplanned en pre­mière par­tie de soi­rée a pro­vo­qué une vive polé­mique. Causette s’est infli­gé la purge et, éton­nam­ment, ne l’a pas trop appré­ciée. On vous explique pourquoi. 

Après avoir rache­té le maga­zine France catho­lique en 2018, puis évan­gé­li­sé CNEWS avec une émis­sion domi­ni­cale qui fleure bon le caté­chisme façon Le Quesnoy, Vincent Bolloré, le catho le plus tra­di du PAF, s’attaque désor­mais à por­ter la bonne parole jusque dans nos pre­mières par­ties de soi­rée. C8, la chaîne du groupe Canal+, dif­fu­se­ra en effet le 16 août à 21 heures le long métrage amé­ri­cain Unplanned (Non planifié). 

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Un pam­phlet ouver­te­ment anti-​IVG, finan­cé par l’Église évan­gé­lique, sor­ti aux États-​Unis en mars 2019 et dis­po­nible depuis sur la pla­te­forme Amazon Prime Video. Adapté d’un livre d’Abby Johnson paru en 2010, Unplanned se targue d’être une fic­tion fon­dée sur une his­toire vraie. Le pitch ? Abby tra­vaille pour un centre de plan­ni­fi­ca­tion fami­liale à Bryan (Texas) jusqu'au jour où « une expé­rience va faire vaciller ses cer­ti­tudes ». On vous laisse ima­gi­ner de quel côté.

Depuis l’annonce de la pro­gram­ma­tion, de nom­breuses voix se sont éle­vées pour ten­ter d’empêcher la dif­fu­sion du film sur une chaîne natio­nale en ver­tu de la loi de 2017 sur le délit d’entrave à l’avortement. Blandine Brin, la cocréa­trice du site inter­net Grossesse impré­vue, qui pro­pose une infor­ma­tion fiable et neutre aux femmes enceintes sans l’avoir pré­vu, a même lan­cé le 8 août une péti­tion pour deman­der au CSA d’intervenir. Ce der­nier avait pré­ci­sé, dans un tweet du 5 août, qu’il ne pou­vait s’immiscer dans la pro­gram­ma­tion des chaînes. Il a tou­te­fois rap­pe­lé qu’il sera pos­sible d’alerter après la dif­fu­sion au sujet d’un éven­tuel man­que­ment à la loi. 

Lire aus­si : Grossesse impré­vue l « Peu de res­sources offi­cielles existent à des­ti­na­tion des publics fra­gi­li­sés et cela donne tout loi­sir aux mili­tants anti IVG d’occuper ce terrain »

C8 est donc léga­le­ment dans son bon droit. Pourtant la contro­verse semble s’être immis­cée jusque dans les cou­loirs de la chaîne : les acteur·rices char­gés des voix off ont refu­sé de se prê­ter à la pro­mo­tion d’Unplanned. C’est déjà ça. Sur sa grille de pro­grammes, C8 s’est donc seule­ment pour­vu d’un fri­leux aver­tis­se­ment en pré­ci­sant que le film (qua­li­fié de « drame ») « a sus­ci­té la polé­mique en adop­tant le point de vue des mili­tants anti-​avortement ». Pour com­prendre la contro­verse (quoiqu’on l’imagine déjà) et parce qu’il faut savoir par­fois don­ner de sa per­sonne, on a tenu à regar­der Unplanned en entier. Et, vous pou­vez nous croire, ça peut être très long, une heure et quarante-​cinq minutes. 

Un film qui ne s’embête pas avec la science 

Adapté par les pieux scé­na­ristes Chuck Konzelman et Cary Solomon (à qui l’on doit éga­le­men­tun autre film du même genre, Dieu n’est pas mort, sor­ti en 2014), Unplanned est une ode à la bonne petite famille amé­ri­caine tra­di­tion­nelle. On découvre Abby, son mari, Doug, et leur fille, Grace, au petit déjeu­ner. Maman pré­pare des gaufres en forme de cœur avant de filer tra­vailler au volant de sa étin­ce­lante déca­po­table rouge. Les pre­mières minutes donnent l’impression de mater, dix ans après sa sor­tie, un teen movies pous­sié­reux en consta­tant qu’il a indé­nia­ble­ment pris un sacré coup de pelle.

Mais la voix off de l'héroïne nous ramène à nos agneaux. « Mon his­toire est de celles qui ne sont pas faciles à entendre et elle va vous mettre mal à l’aise. » Elle n’avait pas tort sur ce coup, Abby. La jeune femme, qui tra­vaille depuis huit ans au plan­ning fami­lial de sa ville, donne pour la pre­mière fois un coup de main lors d’une IVG chi­rur­gi­cale par aspi­ra­tion. On peut légi­ti­me­ment se deman­der si les scé­na­ristes ont déjà ouvert un manuel sco­laire de SVT. Abby, qui tient la sonde écho­gra­phique, aper­çoit via l’écran de l’appareil l'embryon de 13 semaines se tordre de dou­leur et se « débattre » pour échap­per au tuyau comme s’il lut­tait déses­pé­ré­ment pour sa sur­vie. À cela s’ajoute une réa­li­sa­tion digne d’un péplum de série Z : des litres de sang , des tor­rents de larmes, le tout ser­vi sur une musique tragique. 

Apparemment cela ne dérange pas C8 de dif­fu­ser plus est à une heure de grande écoute, de véri­tables men­songes sur l’avortement. 

Nous ne sommes qu'à la 4e minute du film et ce que nous venons de voir est com­plè­te­ment faux. La scène, extrê­me­ment cho­quante, pré­tend mon­trer la souf­france d’un embryon alors qu’il est scien­ti­fi­que­ment démon­tré qu’il ne peut res­sen­tir de la dou­leur. Apparemment, cela ne dérange pas C8 de dif­fu­ser de véri­tables men­songes sur l’avortement. 

Après une heure de fla­sh­back sur sa jeu­nesse, les deux avor­te­ments qu’elle a elle-​même subis – elle les impute d’ailleurs à l’abus d’alcool et aux rela­tions sexuelles sans len­de­main (vive les cli­chés!) –, son arri­vée à la cli­nique, l’opposition de sa famille dévote à cet enga­ge­ment, son quo­ti­dien d’accompagnante au plan­ning, où elle est confron­tée aux quo­li­bets des militant·es pro-​vie, nous retrou­vons Abby trau­ma­ti­sée après la bru­tale mise en scène de l’avortement chi­rur­gi­cal. Épouvantée, elle démis­sionne pour rejoindre les militant·es pro-​vie tou­jours campé·es der­rière le grillage. Et essaye ensuite à son tour de dis­sua­der les jeunes femmes qui se rendent à la clinique. 

Incohérence 

En rela­tant cet évé­ne­ment dans un livre en 2010, la vraie Abby Johnson est deve­nue l’enfant ché­rie du mou­ve­ment pro-​vie outre-​Atlantique. Mais son récit était-​il vrai­ment exact ? Au-​delà de l’impossibilité scien­ti­fique, une enquête du maga­zine Texas Monthly publiée en avril 2019 pointe une série d’incohérences dans le récit d’Abby Johnson. Consultés par le maga­zine amé­ri­cain, les dos­siers de la cli­nique mise en cause ne men­tionnent aucune patiente enceinte de plus de dix semaines ce jour-là. 

En ce qui concerne son sou­dain enga­ge­ment pro-​vie, s’agit-il d’une véri­table prise de conscience ou bien d’un oppor­tu­nisme ? Là aus­si, les ver­sions divergent. Une ancienne col­lègue de tra­vail d’Abby a révé­lé au maga­zine texan que la jeune femme allait pro­chai­ne­ment se faire licen­cier pour faute pro­fes­sion­nelle lorsqu’elle a rejoint l’organisation pro-​life – qui lui aurait d’ailleurs pro­mis 3 000 dol­lars pour sa venue. Vincent Bolloré a‑t-​il mené sa propre enquête avant de pro­gram­mer la dif­fu­sion d’Unplanned ? On ne le sait pas mais on s’interroge sérieu­se­ment sur la men­tion « basé sur une his­toire vraie »

Propagande reli­gieuse et politique

Qu’importent les réelles moti­va­tions d’Abby Johnson. Il ne s’agit pas bien sûr de juger son chan­ge­ment de camp. Seulement de poin­ter que, au-​delà de prê­cher pour sa paroisse, Unplanned induit les téléspectateur·rices en erreur avec des contre-​vérités scien­ti­fiques et mani­pule insi­dieu­se­ment les esprits. La per­ver­si­té du film repose en effet sur une pro­pa­gande reli­gieuse et poli­tique dont le but est d’anéantir la confiance dans le Planning fami­lial pour contri­buer à res­treindre l’accès des femmes à l’avortement. 

Car à aucun moment dans le film, les femmes venant se faire avor­ter à la cli­nique ne sont vues comme des cri­mi­nelles. Elles sont sim­ple­ment consi­dé­rées comme des bre­bis éga­rées qu’il faut rame­ner dans le droit che­min. La seule « péche­resse » du film est Cheryl, la direc­trice du Planning fami­lial, mi-​Cruella mi-​Miranda Priestly. Pendant deux heures, Unplanned part en croi­sade contre le mou­ve­ment pro-​choix, dési­gné comme « l’organisation la plus puis­sante de la pla­nète », rien que ça. Une entre­prise insen­sible et malé­fique dont l’unique inten­tion est de gagner de l’argent en pra­ti­quant à tour de bras des IVG coû­tant plu­sieurs cen­taines de dollars. 

À vous de déci­der de ce que vous ferez de votre soi­rée le 16 août pro­chain mais vous êtes prévenu·es : en plus d'être un indi­cible navet, Unplanned est un ramas­sis de… stu­pi­di­tés, pour res­ter polie ! 

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