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©Kuzzat Altay

Droits humains : Faut-​il boy­cot­ter les com­pé­ti­tions sportives ?

Les Jeux olym­piques d’hiver de Pékin, qui débutent le 4 février, sont mar­qués par le boy­cott « diplo­ma­tique » des États-​Unis, du Royaume- Uni, du Canada et de l’Australie, « en rai­son du géno­cide » contre la mino­ri­té ouï­goure. Si leurs équipes spor­tives par­ti­ci­pe­ront, aucun·e représentant·e poli­tique ne s’y ren­dra. La déci­sion se dis­tingue des boy­cotts « spor­tifs » que l’on a pu obser­ver au cours de l’Histoire et qui consistent, pour les délé­ga­tions, à se reti­rer de la com­pé­ti­tion. Alors que des voix s’élèvent depuis des mois pour appe­ler à boy­cot­ter éga­le­ment la Coupe du monde de foot­ball 2022 au Qatar (où des tra­vailleurs étran­gers sont mas­si­ve­ment exploi­tés, au moins 6 500 sont morts), c’est l’occasion de se deman­der : quels résul­tats apportent ces boycotts ?

Marie Holzman

Présidente de Solidarité Chine et pro­fes­seure sino­logue
à l’université Paris-VII

"La cré­di­bi­li­té des dic­ta­tures vient en par­tie des grands évé­ne­ments inter­na­tio­naux, syno­nymes de pres­tige. Ne pas boy­cot­ter les Jeux olym­piques de Berlin en 1936 a, par exemple, don­né une légi­ti­mi­té au pou­voir d’Hitler. Si cer­tains États s’étaient pro­non­cés contre, il n’aurait peut-​être pas pu déclen­cher la Seconde Guerre mon­diale. Xi Jinping est lui aus­si deve­nu un dic­ta­teur. Le gou­ver­ne­ment chi­nois sou­tient les pires dic­ta­tures de la pla­nète – comme le Kazakhstan ou le Kirghizistan –, décime les Ouïgours sous pré­texte de lut­ter contre le ter­ro­risme, a fait perdre tous ses droits à Hongkong… Et Xi Jinping annonce qu’il veut récu­pé­rer Taïwan. Cela signi­fie qu’il est pos­sible que 23 mil­lions de per­sonnes soient bom­bar­dées. C’est de notre res­pon­sa­bi­li­té de faire ce que l’on peut – que le boy­cott soit diplo- matique ou spor­tif – pour l’arrêter. Il ne s’agit pas de “délé­gi­ti­mer la Chine”, mais de délé­gi­ti­mer le gou­ver­ne­ment aux yeux de son peuple. Car plus il a du pres­tige, plus il aura les cou­dées franches pour le mar­ty­ri­ser. De même, com­ment ima­gi­ner se rendre au Qatar pour la Coupe du monde ? Certains militent pour que les JO soient à chaque fois tenus en Grèce ou en Suisse. Je serais pour. Ça évi­te­rait un gas­pillage phé­no­mé­nal et des pro­blèmes déon­to­lo­giques majeurs."

Andrzej Rogulski

Vice-​président du think tank Sport et Citoyenneté

"C’est une ques­tion qui engage de nom­breux acteurs. La France, his­to­ri­que­ment, est un pays peu enga­gé dans les boy­cotts de com­pé­ti­tions spor­tives. Et là, pour les Jeux de Pékin, il y a en plus une volon­té d’avoir une posi­tion euro­péenne. La ques­tion est peut-​être : est-​ce que le boy­cott est le meilleur moyen d’utiliser le sport comme vec­teur d’intégration et de res­pect des droits humains ? Il serait inté­res­sant que les spor­tifs puissent avoir une voix dans le méca­nisme d’attribution des com­pé­ti­tions inter­na­tio­nales. Les droits humains pour­raient aus­si être por­tés par des cam­pagnes ou par une meilleure prise en compte de la charte olym­pique dans les cri­tères de choix de lieu pour les grands évé­ne­ments. Cela pour­rait enga­ger un dia­logue avec les pays orga­ni­sa­teurs. Sans non plus faire por­ter au sport des enjeux qui le dépassent lar­ge­ment et empêchent les ath­lètes de se ren­con­trer sur le ter­rain dans des valeurs de fair-play."

Jean-​Denis Coquard

Rédacteur en chef de L’Équipe

"Il est dif­fi­cile de voir les effets d’un boy­cott. Quand l’Afrique du Sud a été boy­cot­tée par plu­sieurs gou­ver­ne­ments et délé­ga­tions spor­tives en rai­son de l’apartheid, sans doute que cela a par­ti­ci­pé à l’isolement du régime. Mais cela prive sur­tout les spor­tifs de com­pé­ti­tions qui leur per­mettent d’être au som­met de leur métier. Parmi les autres boy­cotts spor­tifs impor­tants, il y a ceux des JO à Moscou en 1980 [par les États-​Unis et une cin­quan­taine de délé­ga­tions, en réac­tion à l’invasion de l’Afghanistan par l’armée sovié­tique, ndlr] et de Los Angeles en 1984 par l’URSS [en réponse au boy­cott pré­cé­dent]. C’est par­fois une souf­france, qua­rante ans plus tard, dans la car­rière de spor­tifs, de n’avoir pas pu y par­ti­ci­per. Ce qui me gêne, c’est que les appels au boy­cott sont sou­vent lan­cés par des gens exté­rieurs au monde du sport qui demandent aux spor­tifs de faire ce que ne font pas les poli­tiques ou d’avoir une ver­tu que l’on n’a pas en tant que citoyens – on achète bien des pro­duits fabri­qués en Chine. Je pré­fère un boy­cott diplo­ma­tique, même s’il reste sym­bo­lique. Les spor­tifs n’ont jamais deman­dé à ce que ce soit en Chine. Et le plan B était le Kazakhstan… Ils se retrouvent otages de déci­sions liées à des inté­rêts éco­no­miques. Le Comité inter­na­tio­nal olym­pique sou­tient que cela per­met d’“ouvrir” ces pays. L’évolution de la Chine après les Jeux de 2008, à Pékin, montre les limites de ce discours."

Carole Gomez

Directrice de recherche
en géo­po­li­tique du sport à l’Institut des rela­tions inter­na­tio­nales
et stra­té­giques

"Si l’on regarde le sujet pri­maire que dénoncent les boy­cotts, on note peu d’impact. En 1980, le boy­cott des JO a‑t-​il per­mis le retrait des troupes sovié­tiques en Afghanistan ? Non. En revanche, cela a per­mis de mettre la pres­sion sur l’URSS et de faire pas­ser un mes­sage : affir­mer une logique de pays unis en bloc. On peut donc consi­dé­rer que les boy­cotts sont effi­caces pour démon­trer sa puis­sance. Mais, dans le même temps, le pou­voir éco­no­mique et diplo­ma­tique des ins­ti­tu­tions spor­tives ne cesse de croître. On l’a vu en 2018. Boris Johnson avait mena­cé la Russie de boy­cot­ter la Coupe du monde mas­cu­line de foot­ball, à la suite de l’emprisonnement d’un agent secret britan- nique et de sa fille par la Russie. Le pré­sident de la Fifa a dit que si l’Angleterre confir­mait, elle serait ban­nie de ses évé­ne­ments pen­dant quatre ans. Cela pousse à réflé­chir deux fois avant d’agir et abou­tit plu­tôt à favo­ri­ser les boy­cotts diplo­ma­tiques aux boy­cotts spor­tifs. Au regard des enjeux posés en Chine – on parle de géno­cide –, la seule pro­po­si­tion d’un boy­cott diplo­ma­tique paraît tou­te­fois une faible réaction."

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