Elle s’apprête à prendre le large au terme d’une carrière exceptionnelle. L’internationale de rugby Marjorie Mayans a vécu de l’intérieur la montée en puissance de son sport. Même si en matière d’égalité, les poteaux restent encore loin.
C’est une tempête qui en a créé une autre. À l’hiver 1999, les dépressions Lothar et Martin dévastent une partie de la France sur leur passage. Parmi les dégâts : le court de tennis où joue la petite Marjorie Mayans, 9 ans, en Seine-Saint-Denis. Il a fallu changer de sport. « C’est en accompagnant mon petit frère à son entraînement de rugby que je m’y suis mise. Il y avait déjà une fille dans l’équipe. Les dirigeants m’ont prêté un short et des crampons. Je n’ai plus jamais arrêté. »
Vingt-trois ans (et un déménagement en région toulousaine) plus tard, à la veille de sa retraite sportive, elle est l’une des premières joueuses à avoir été professionnalisée en France, à avoir participé aux Jeux olympiques (à Rio, en 2016), à deux Coupes du monde de rugby à sept, et à deux Coupes du monde à quinze. Elle fait ainsi partie des rares pros à briller dans les deux types de compet’. « Je suis vraiment contente, car je n’avais pas des qualités physiques extraordinaires, relate l’intéressée. Je n’étais pas très grande par rapport aux garçons et plutôt fine. »
Faire tomber les mecs
Elle dit aussi ne pas courir vite. Son père lui conseille de « plaquer bas » pour faire tomber les mecs, « si possible au niveau des chevilles ». Elle réalise qu’elle « adore se jeter dans les jambes » de ses adversaires. Le coup devient son « fonds de commerce ».
À 14 ans, la petite prodige quitte les groupes mixtes pour une équipe féminine. Les premiers préjugés et les premières questions craignos lui sautent à la gueule. « T’es mignonne et pas grosse, pourquoi tu fais du rugby ? » lui lance-t-on, loin du terrain. Encore en 2021, en interview dans un média consacré au rugby : « Est-ce que ça sent la rose dans les vestiaires des filles ? » Elle, ne cesse de répéter, optimiste : « Les choses évoluent. » Elle considère que c’est simplement une question de tempo, parce que « le rugby en équipe masculine a débuté des années avant celui pratiqué par les femmes ».
Cela a commencé à bouger pour elles en 2014, date de la Coupe du monde féminine organisée par la France (un immense succès, « alors qu’on s’attendait à trois spectateurs, vu que c’était à 30 minutes de Paris entre le 1er et le 15 août… ») et des premiers contrats fédéraux pour les femmes. La Fédération les prépare alors aux Jeux de Rio (cette qualification reste le meilleur souvenir de sa carrière), où est introduit le rugby à sept. Une version « plus télévisable » que le rugby à quinze, « car il y a moins de joueuses sur le terrain, beaucoup d’essais et les matchs durent 14 minutes ». Les joueuses, dont Marjorie, touchent leurs premiers salaires.
Précarité du métier
Actuellement, « il y en a une cinquantaine en France qui peuvent en vivre tous les mois. Les plus hauts sont aujourd’hui à 2800 euros pour le rugby à quinze. Mais cela reste un métier très précaire : des CDD renouvelables. C’est une aide considérable, mais ça peut ne durer qu’une saison… » Elle sent que les choses évoluent aussi niveau vision de la maternité. « Avant, c’était “Soit le sport, soit le bébé”. Là, ma camarade Agathe Sochat, qui joue en équipe de France, vient d’avoir une fille avec sa compagne. »
Pour Marjorie Mayans, 2022 sera a priori sa dernière année en contrat sportif (à temps partiel – 75 %). Après, elle veut reprendre un M2 en droit du sport (elle a déjà un bac + 4). Le rugby, dit-elle, lui aura appris à se « faire mal » et à se « construire en équipe ». Elle restera l’une des étoiles de la première génération de rugbywomen à avoir connu le milieu pro « à vitesse grand V ».