Avec leur documentaire, Les Artistes – Génération City Stade, sorti le 16 août dernier sur la plateforme YouTube, Matthieu Toya et Paul Karra, du collectif Comme des bavons, proposent une plongée dans le monde du street-football. L’occasion de découvrir que, sur les terrains des quartiers populaires, nombreuses sont les jeunes filles obsédées par le ballon rond.
« On brise la séparation filles-garçons sur les city stades », lance Sébé Coulibaly, joueuse dans l’équipe nationale du Mali et en Division 2 en France, devant la caméra de Paul et Matthieu. Tout au long des quinze minutes de leur documentaire, Les Artistes – Génération City Stade, les deux réalisateurs ont mis un point d’honneur à représenter tou·tes les pratiquant·es de street-football. Les jeunes, les moins jeunes, les licencié·es, les amateurs et surtout, les femmes, qui s’expriment longuement sur leur rapport au ballon rond et sur la mixité du foot de rue.
Avant de jouer dans les hautes sphères du football français et malien, Sébé Coulibaly a tapé ses premières balles à 7 ans dans les city stades de Montfermeil, en Seine-Saint-Denis. « Mon grand frère me laissait jouer au foot avec lui et ses copains, raconte à Causette la joueuse de 26 ans. On était que deux, trois filles à l’époque, on a dû apprendre avec les garçons. » En grandissant, Sébé Coulibaly continue de chausser les crampons avec les garçons de son quartier. Mais le manque de filles sur les city stades de son enfance l’a décidée, en juillet 2020, à lancer son application Ladies Squad. « Un peu comme un site de rencontre, mais pour les joueuses de football », plaisante Sébé. L’appli est destinée à mettre en contact des femmes pour organiser des matchs mixtes et non mixtes de street-football près de chez elles, « pour se sentir plus fortes ensemble », souligne l’internationale malienne.
Variante informelle du football traditionnel que l’on voit à la télé, le foot de rue se pratique à cinq contre cinq, en bas des bâtiments. Devenus des lieux emblématiques des quartiers populaires, les city stades, véritables vecteurs de lien social, sont autant de lieux de rencontre et de vie que de terrains de football. « On a voulu filmer l’extraordinaire énergie qui se dégage des stades, indique à Causette Paul Karra. C’est pas que du foot, c’est tout un symbole. » La force du street-football, c’est de laisser les préjugés au bord du terrain. « Ici, pas de limite d’âge, de sexe, de poids, de jugement, le seul critère qui compte, c’est de savoir jouer », assure Paul.
Pour Paul et Matthieu, les femmes sont tout autant légitimes que leurs homologues masculins pour jouer au foot et, surtout, pour en parler. Pourtant, au départ, quand ils arpentent les city stades en quête d’images féminines, les deux compères ne tombent que sur des hommes. « On savait qu’elles existaient, alors on a fait des recherches, confie Paul Karra. Mais c’est finalement par hasard, au Carré Sénart [centre commercial situé sur la commune de Lieusaint, en Seine-et-Marne, ndlr], que je croise un groupe de filles qui portent toutes des maillots de foot. » Bingo pour Paul, ces habituées des city stades répondent à l’appel de la caméra.
« Aujourd’hui, je sais que je peux jouer avec les garçons, déclare Eva Kaabach dans le documentaire Les Artistes. Physiquement, il y aura peut-être toujours une différence, mais techniquement, j’ai rien à leur envier. » Niveau technique, Paul Karra en est d’ailleurs convaincu, « c’est plus agréable de regarder les femmes jouer, elles simulent moins. »
Officieusement donc, filles et garçons disputent les mêmes matchs. Officiellement, il n’y a pas encore de tournois mixtes. Quelque chose qui pourrait changer, à en croire Ferhat Cicek, entrepreneur dans le sport. « Au fil des matchs, on a vu des joueuses avec une très très très grosse technique, témoigne-t-il devant la caméra. Pour la prochaine édition de la Barrio Nation Cup [un tournoi regroupant des jeunes de différentes nationalités issus du quatorzième arrondissement de Paris], j’aimerais bien qu’on intègre des filles aux équipes. »
Malgré une évolution des mentalités, certains clichés collent au maillot. « Pour les filles qui font du street-football, les préjugés, c’est l’histoire de notre vie », observe Sébé Coulibaly. « Pas de femme sur le terrain », « Allez faire la cuisine », « Avec les filles, on peut pas aller au contact », nombreuses sont les remarques lorsqu’on associe « femme » et « foot ».
Et comme dans la majorité des sports considérés comme masculins, les femmes doivent encore faire leurs preuves. « Quand j’arrive sur le city, je dois montrer que j’ai le niveau pour jouer avec les mecs, souligne Sébé Coulibaly. Mais après une minute de jeu, ils sont souvent impressionnés. »
Le football féminin ne vit plus dans l’ombre de son homologue masculin
Espace de liberté des quartiers populaires, le city stade est également devenu un espace d’émancipation pour les jeunes filles. « Avant, les parents étaient plus réticents à ce que leurs filles jouent au foot sur les city stades, indique Sébé Coulibaly. Les mentalités ont évolué dans les quartiers, aujourd’hui ,il y a beaucoup plus de filles. »
Une féminisation due à la médiatisation des matchs de la Coupe du monde féminine l’été dernier ou, plus récemment, de la Ligue des champions féminine – remportée, dimanche 30 août, pour la septième fois par les Lyonnaises. Le nombre de licenciées avait d’ailleurs bondi de 9,8 % après la Coupe du monde féminine. « Elles étaient 30 000 licenciées en 2011, aujourd’hui, on a presque atteint les 200 000 », avait déclaré Brigitte Henriques, la vice-présidente de la FFF dans les colonnes du Figaro, mardi 3 mars.
Cette année, les matchs du Championnat de France féminin ainsi que ceux de l’équipe de France féminine seront diffusés sur Canal+ et W9. « La diffusion de ces matchs permet aux petites filles de s’identifier à de grandes joueuses, assure Sébé Coulibaly. Aujourd’hui, dire “Papa, maman, je veux être footballeuse professionnelle plus tard”, ça n’a plus rien d’utopique. Et c’est en partie grâce aux city stades. »