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© Capture d'écran de la vidéo de SISTA et Mirova Forward

Sexisme dans les médias : « Comment vous gérez le syn­drome de l'imposteur, François-​Henri Pinault ?»

À l'aide d'une vidéo pré­sen­tant de vraies-​fausses inter­views de chefs d'entreprise, un col­lec­tif de femmes entre­pre­neures s'attaque aux sté­réo­types de genre dans les ques­tions que les jour­na­listes posent aux cadres dirigeant·es. Jouissif !

Les sou­rires sont cris­pés, les regards cherchent une aide exté­rieure com­pa­tis­sante qui vien­drait mettre fin à la séance de tor­ture. Dans la vidéo Et si on posait les mêmes ques­tions aux femmes et aux hommes ?, mise en ligne ce 24 mars, le col­lec­tif de femmes entre­pre­neures et inves­tis­seures SISTA, allié du fonds de dota­tion Mirova Forward et de l'agence de com­mu­ni­ca­tion Mots-​Clés, bous­cule gen­ti­ment huit grands diri­geants fran­çais en leur posant des ques­tions aux­quelles ils ne s'attendaient pas. 

Face à Allison Chassagne (hila­rante comé­dienne créa­trice de la chaîne Youtube Glamouze) jouant à la jour­na­liste, les diri­geants d'entreprise François-​Henri Pinault, Xavier Niel, Cédric O, Thierry Déau, Nicolas Hiéronimus, Frédéric Mazzella, Jean-​Marie Tritant et Philippe Zaouati se prêtent au jeu d'une inter­view qui va les désta­bi­li­ser. « Vous trou­vez pas que c'est encore dur pour un homme, alors qu'on est en 2022, de pri­vi­lé­gier sa car­rière ? » « Est-​ce que vous arri­vez à ne pas vous lais­ser sub­mer­ger par toutes ces émo­tions ? » « C'est quoi votre mor­ning rou­tine ? »

La cam­pagne, du nom de #SiJétaisElles, est une réus­site : tout de suite, le déca­lage entre ces chefs d'entreprise en cos­tume et l'intimité des ques­tions est sai­sis­sant. Et pour­tant, ce sont bien ces ques­tions qui sont for­mu­lées encore trop sou­vent aux femmes qui ont le même métier et le même sta­tut qu'eux. La vidéo vient en effet accom­pa­gner l'étude Le trai­te­ment média­tique des entre­pre­neures et des femmes diri­geantes, réa­li­sée par l'agence Mots-​Clés pour le compte de Sista et dont les résul­tats sont édi­fiants. Basée sur un cor­pus de 118 articles publiés en presse écrite sur les trois der­nières années dans 19 titres de la presse natio­nale trai­tant de femmes et d’hommes à la tête d’entreprises, elle révèle par exemple que 8,5 fois sur 10, lorsque l'adjectif « aty­pique » est uti­li­sé, c'est dans le cadre d'un article men­tion­nant le par­cours pro­fes­sion­nel d'une femme. « Plus de 30% des articles trai­tant des femmes entre­pre­neuses ou diri­geantes men­tionnent le carac­tère excep­tion­nel de leur fonc­tion », détaille ain­si l'étude.

"Ambitieuse" mais "pas carriériste"

Autre ensei­gne­ment de cette étude : l'ambition des femmes qui réus­sissent est édul­co­rée dans les articles de presse. « On par­le­ra par exemple d’une femme "armée de gen­tillesse", ou quand on la décrit "ambi­tieuse", on com­pense en sou­li­gnant qu'elle n'est "pas car­rié­riste" », lit-​on. Les jour­na­listes vont aus­si avoir ten­dance à sol­li­ci­ter les diri­geants mas­cu­lins comme des experts dans leur domaine (« 80 % des inter­views por­tant sur des sujets d’expertise sont por­tées par des hommes ») et, au contraire, don­ner la parole aux femmes pour plus fré­quem­ment s'intéresser à leur façon de com­bi­ner vies pro­fes­sion­nelle et privée. 

Un pon­cif du genre, pour Audrey Barbier-​Litvak, membre de SISTA et cofon­da­trice d'Offishall, une solu­tion adres­sée aux entre­prises pour gérer leurs effec­tifs et leur lieu de tra­vail. « Combien de fois m'a‑t-on posé des ques­tions tour­nant autour de mon mode de vie, de mes enfants, de mes vête­ments ? », se demande-​t-​elle lorsque Causette l'interroge. La PDG se sou­vient pré­ci­sé­ment du moment où elle s'est ren­du compte qu'il y avait un pro­blème dans la façon dont les diri­geantes sont sté­réo­ty­pées dans la presse. En 2018, alors cadre dans la chaîne d'espaces de cowor­king WeWork, elle « parle busi­ness pen­dant deux heures d'entretien » à un jour­na­liste du maga­zine Society. Surprise à la publi­ca­tion de l'article : le début du papier décrit la tenue qu'elle por­tait lors de la ren­contre – « ou que le jour­na­liste m'a crue voir por­ter, parce qu'il men­tion­nait quelque chose comme "une robe d'impératrice" mais je ne vais pas au bureau comme cela », sou­rit celle qui aujourd'hui ne s'interdit plus de rétor­quer face à une ques­tion sau­gre­nue « vous le deman­dez aus­si aux hommes que vous inter­vie­wez ? » Face à ce sexisme inté­rio­ri­sé, il s'agit pour Audrey Barbier-​Litvak de trou­ver un équi­libre en conti­nuant de « poser des ques­tions légi­times sur la condi­tion des femmes dans le monde de l'entreprise » sans « les ren­voyer à leur genre quand ce n'est pas per­ti­nent ».

Femmes puis­santes et mumpreneuses

Ces der­niers temps, la mode média­tique est à la mise en lumière de « par­cours ins­pi­rants » de femmes entre­pre­neures ou diri­geantes qui ont fait car­rière et deviennent des « role model » pour celles qui débutent. Forcément, l'exercice se prête aux mal­adresses mais Audrey Barbier-​Litvak estime qu'il est pos­sible de bien faire : « Prenez la série d'interviews Femmes puis­santes, de Léa Salamé. La force de ses ques­tions, qui inter­rogent le par­cours d'une femme célèbre, c'est qu'elles ne sont pas gen­rées. » Mais par­fois, ce sont les femmes elles-​mêmes qui choi­sissent de sou­li­gner la spé­ci­fi­ci­té de leur genre dans une socié­té patriar­cale. Ainsi, avant d'être secré­taire d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes puis ministre délé­guée à la citoyen­ne­té, Marlène Schiappa avait mon­té un réseau pro­fes­sion­nel nom­mé Maman tra­vaille, ouvert aux mum­pre­neuses, ces femmes qui mettent en avant cette double-​casquette pro­fes­sion­nelle et pri­vée. « Je pense qu'aujourd'hui je serais déran­gée par la créa­tion d'un réseau avec ce nom mais celui-​ci, créé en 2008, cor­res­pond à une cer­taine période où la dif­fi­cul­té de mener de front car­rière et famille méri­tait d'être mise en avant, observe Audrey Barbier-​Litvak. Il y a pro­ba­ble­ment des femmes qui ont été por­tées par une telle ini­tia­tive. » À se deman­der si, au final, le monde de l'entreprise ne se por­te­rait pas bien mieux si François-​Henri Pinault expli­quait à La Tribune com­ment il gère ses doubles-journées.

Lire aus­si l Les « mum­pre­neuses », ces saintes mères de la start-​up nation

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