Culture : où sont les femmes cheffes d’entreprise ?

Les pro­jets cultu­rels ou média­tiques por­tés par des femmes manquent de visi­bi­li­té. Problème de confiance, de finan­ce­ment ou de réseau. L’incubateur Creatis sou­haite agir sur l'ensemble de ces blo­cages et lance ce mar­di 26 jan­vier Source, un pro­gramme d’accompagnement 100% féminin. 

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Le pro­gramme d'accompagnement Source
s'adresse aux créa­trices d'entreprises du sec­teur culturel. 

Sophie Coulibaly a créé Le Collier en 2017. Au départ, il s’agissait d’un groupe Facebook des­ti­né à « l'empowerment fémi­nin », raconte la fon­da­trice. Un petit espace pour par­ler car­rière, études ou déve­lop­pe­ment per­son­nel. « Je n’avais pas de cible pré­cise en tête, pour­suit Sophie. Lorsque j’ai com­men­cé à orga­ni­ser des évé­ne­ments ou des confé­rences, je me suis ren­du compte que le public était très sou­vent le même : des femmes issues de l’immigration ou vivant dans les quar­tiers prio­ri­taires. J’ai donc eu envie de mettre en lumière leurs par­cours en trans­for­mant Le Collier en un média à part entière. » Mis en ligne mi-​2020, le site dresse le por­trait de femmes afro-​descendantes qui réus­sissent. « Elles sont encore trop rares dans les médias fran­çais, tacle Sophie. Les choses avancent len­te­ment et j’essaie de chan­ger la nar­ra­tion à mon échelle. » Pour don­ner à son site – réa­li­sé par un ami – une plus grande visi­bi­li­té et le rendre pérenne, la créa­trice d’entreprise et char­gée de com­mu­ni­ca­tion digi­tale sou­haite béné­fi­cier de l'expérience de ses aînées. « J’ai besoin de par­ler à des men­tors, des expertes de la presse et du numé­rique et je vou­drais m’appuyer sur un réseau », avance la jeune femme.

Il y a quelques semaines, elle s’est déci­dée à contac­ter la pla­te­forme Creatis, qui accom­pagne des pro­jets cultu­rels et média­tiques depuis 2012. C’est au sein de cet incu­ba­teur que des pro­jets comme le stu­dio de pod­cast Louie Media, la news­let­ter Les Glorieuses ou la revue La Déferlante ont été déve­lop­pés ou sti­mu­lés. A l’autre bout du fil, Emilie Friedli, la direc­trice de la struc­ture, a reçu son appel avec enthou­siasme. Elle cherche jus­te­ment à mettre en place une filière d’aide aux créa­trices d’entreprises cultu­relles et média­tiques. Le site de Sophie colle par­fai­te­ment à ses attentes et pour­rait rejoindre Source, un dis­po­si­tif d’accompagnement des­ti­né aux femmes et dont l’appel à pro­jets est lan­cé mar­di 26 jan­vier. Avec Source, Creatis sou­haite ouvrir ses portes à tous les pans de l’industrie cultu­relle : mai­son d’édition, stu­dio d’image, boite de prod’, pod­cast. La moi­tié des pro­jets devrait concer­ner les médias. Seule condi­tion : qu’une ou plu­sieurs femmes en soient res­pon­sables. « Notre poli­tique en matière de pari­té est tout à fait volon­ta­riste, puisque la moi­tié des pro­jets qu’on sou­tient sont diri­gés par des femmes, note Emilie Friedli. Mais pour moi, ça ne suf­fit plus. Il faut aller cher­cher de plus en plus de femmes pour rééqui­li­brer les choses et leur pro­po­ser une aide spécifique. »

Un rapide coup d'œil au pay­sage entre­pre­neu­rial cultu­rel fran­çais lui donne rai­son. Selon une étude de l’Observatoire 2020 de l’égalité entre les femmes et les hommes dans le domaine de la culture et de la com­mu­ni­ca­tion, seule­ment 9% des grandes entre­prises pri­vées sont diri­gées par des femmes. Puisque le che­min vers le som­met d’une entre­prise est encore bien long pour les femmes, autant créer la sienne. Melissa Bounoua, co-​fondatrice de Louie Media se sou­vient des embûches ren­con­trées lors des débuts du stu­dio de pod­cast. « Monter une boite c’est vrai­ment plus com­pli­qué quand on est une femme : on est moins prise au sérieux, les inter­lo­cu­teurs se per­mettent de négo­cier davan­tage et te ren­voient tout le temps au fait que tu es une femme. C'est donc indis­pen­sable d'échanger avec d'autres femmes qui ont connu la même chose », estime celle qui fera par­tie des men­tors du pro­gramme et qui se réjouit d'avance de « voir éclore de futurs médias por­tés par des femmes. »

De fortes dis­pa­ri­tés de genre dans l'entrepreunariat

Source pro­po­se­ra deux types d’accompagnement. Le pre­mier, d’un mois et demi, appe­lé Prépa1 doit per­mettre de trans­for­mer une idée en pro­jet viable. Le second se des­tine à l'incubation, c'est-à-dire au déve­lop­pe­ment pen­dant six mois d’entreprises déjà créées. Des mois bien rem­plis qui se par­ta­ge­ront entre for­ma­tions, aide à la levée de fonds ou échanges avec des men­tors. Le tout gra­tui­te­ment. Financé par le Fonds Social euro­péen (FSE) le Programme Source devrait – pour le moment – durer deux ans et suivre 70 femmes. Un jury, fémi­nin lui aus­si, juge­ra à la fois de la per­ti­nence des pro­jets et du pro­fil des créa­trices. Alexandra Jouclard est une avo­cate spé­cia­li­sée dans la défense du droit des créa­teurs et des créa­trices. Elle accom­pa­gne­ra, elle aus­si, les futures lau­réates au quo­ti­dien. A ses yeux, il est plus que néces­saire de créer des filières réser­vées aux femmes. « Depuis que j’accompagne des entre­pre­neurs, je constate qu’il y a de fortes dis­pa­ri­tés de genre, raconte-​t-​elle. Et ça com­mence dès la pre­mière étape, dans le sen­ti­ment de légi­ti­mi­té et la capa­ci­té à se lan­cer. » Des freins psy­cho­lo­giques, voire une forme de syn­drome d’imposture, sur les­quels il convient d’agir le plus tôt pos­sible. « La ques­tion de la confiance, en soi, en son pro­jet, sera au cœur de notre futur pro­gramme, abonde Emilie Friedli. On va les aider à tra­vailler sur leur aisance, notam­ment en leur fai­sant ren­con­trer des femmes qui entre­prennent, des figures de réfé­rence des médias qui leur racon­te­ront leur par­cours. » Mais pas ques­tion de repro­duire des sché­mas exis­tants et peu inclu­sifs. « Ça n'aura rien à voir avec cer­tains réseaux de femmes cheffes d’entreprises qui repro­duisent une logique sou­vent éli­tiste ou cor­po­ra­tiste », prévient-​elle. 

"Pas besoin d'avoir fait une école de com­merce pour mon­ter une entreprise"

L’avocate insiste sur un autre frein ren­con­tré par celles qui entre­prennent : l’accès aux finan­ce­ments. « Je n’ai pas de chiffre pré­cis à vous don­ner mais je ne compte plus les témoi­gnages de jeunes femmes qui galèrent à obte­nir un prêt de leur banque », se désole l’avocate. L’an der­nier, une étude du cabi­net de conseil BCG et du col­lec­tif d'investisseuses Sista met­tait en avant les inéga­li­tés criantes en matière de levée de fonds. Depuis 2008, à peine 2% de l’argent levé par les start-​up (tous sec­teurs confon­dus) l’avait été par des femmes. La quête de finan­ce­ments et des bons inter­lo­cu­teurs fera par­tie inté­grante du pro­gramme d’accompagnement en four­nis­sant toutes les clés de la démarche, y com­pris aux débutantes. 

Sophie Coulibaly n’a pas encore cher­ché d’argent pour déve­lop­per Le Collier. « Ce n’était pas à l’ordre du jour car il fal­lait d’abord que je mette le pro­jet en place mais ça fait par­tie de mes objec­tifs, explique la jeune femme. J’ai besoin d’être accom­pa­gnée parce que je n’ai qu’une idée très vague des inter­lo­cu­teurs dans le domaine des médias. » Et Alexandra Jouclard de rap­pe­ler une évi­dence : « Tout le monde ne sait pas faire un busi­ness plan car tout le monde n’a pas fait d’école de com­merce. Ce n’est pas un préa­lable néces­saire pour mon­ter une entre­prise. Ce qui compte, c’est d’avoir la bonne idée et de l’aide pour la réaliser. »

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  1. Date limite de dépôt des can­di­da­tures le 25 février pour Prepa et le 11 mars pour le pro­gramme d'incubation.[]
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