On connaît cette asso laïque comme un bric-à-brac où donner et récupérer des pépites de seconde main. Mais lorsque l’abbé Pierre, avec Lucie Coutaz, crée Emmaüs en 1949, il n’est pas du tout question de ça. C’est une histoire de grande maison et de grand cœur, dont on fête les 70 ans cet automne.
« Tout a commencé parce que la maison était trop grande. » Voici comment le mouvement Emmaüs raconte, à la première page d’un vieux fascicule aujourd’hui archivé à Roubaix (Nord), sa propre naissance. Il faut imaginer un pavillon de deux étages style Empire dans la banlieue est de Paris, à Neuilly-Plaisance (Seine-Saint-Denis). « Une bâtisse en ruine, dépeint Brigitte Mary, bénévole d’Emmaüs international, ex-responsable du pôle mémoire. Le parquet était complètement délabré. Elle avait été occupée par les nazis. » Drôle de retournement : c’est Henri Grouès, ancien résistant tout juste élu député démocrate-chrétien de Meurthe-et-Moselle, qui l’habite. Déplacements politiques obligent, il lui faut un lieu où poser ses valises chaque semaine. Et puis, écrira-t-il, il trouve la maison « jolie car en forme de cloître ». En 1947, il l’achète. Aujourd’hui, on connaît mieux l’heureux propriétaire sous son pseudonyme de maquisard : l’abbé Pierre.
Le refuge
Il habite alors la maison avec sa consœur résistante, amie et assistante parlementaire, Lucie Coutaz. Les pieux colocataires, esseulé·es dans le vaste édifice, prennent une décision. « Quand la maison sera réparée, lit-on dans le fascicule, […] il faudra l’ouvrir à tous ceux qui veulent, le dimanche, trouver un coin de jardin ou une salle pour travailler, prier ou se reposer. » C’est chose faite dès 1948. Une quarantaine de lits et un jardin potager sont disponibles le week-end pour qui le voudra. Mais, dans l’esprit de l’abbé Pierre, ce cocon fait rapidement sa mue.
Son dernier secrétaire en date, aujourd’hui président de la Fondation Abbé Pierre, Laurent Desmard, explique : « L’abbé Pierre, qui voyageait sans cesse en Europe pour parler paix dans le monde, s’est dit qu’il faudrait un lieu permettant aux jeunes Européen·nes sans grand argent de se réunir pour discuter et rêver, là où leurs pères s’étaient entretués pendant la guerre. » À l’été 1949, la maison se transforme en auberge de jeunesse. Au moment d’inscrire l’établissement au[…]