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©A.T.

Female gaze : on a assis­té à la pre­mière de "Tonnerre", le nou­veau ciné-​club fémi­niste parisien

Le ciné­ma pari­sien Majectic Bastille accueillait jeu­di le lan­ce­ment du nou­veau ciné-​club fémi­niste « Tonnerre », ini­tié par l'autrice Elvire Duvelle-​Charles. Pour cette pre­mière séance était pro­je­té en avant pre­mière le docu­men­taire Riposte fémi­niste, de Marie Perennès et Simon Depardon.

Il est 20 heures et le Majestic Bastille affiche com­plet. Un gron­de­ment sourd, sem­blable à l'orage, se fait entendre dans la grande salle de ce ciné­ma indé­pen­dant du XIème arron­dis­se­ment de Paris. Cela tombe bien : c’est très exac­te­ment la rai­son pour laquelle les quelques cen­taines de spectateur·rices du soir se sont déplacé·es. Ce jeu­di 15 sep­tembre, on fête la grande pre­mière de « Tonnerre », le tout nou­veau ciné-​club ini­tié par Elvire Duvelle-​Charles, jour­na­liste, réa­li­sa­trice et autrice fémi­niste. Un nou­veau rendez-​vous men­suel qu’elle pro­pose en col­la­bo­ra­tion avec la socié­té ciné­ma­to­gra­phique Dulac Cinémas. 

Quelques hommes mais sur­tout beau­coup de femmes sont venu·es assis­ter au lan­ce­ment. La majo­ri­té d'entre elles sont des mil­len­nials, bien qu'on dis­tingue dans la salle quelques figures de la deuxième vague. Parmi elles, Florence Montreynaud, fon­da­trice de l'asso fémi­niste Chiennes de garde. Quelques minutes avant que noir ne se fasse dans la salle aux murs de velours bleu nuit, la maî­tresse des lieux – connue entre autres pour avoir lan­cé le compte Instagram fémi­niste Clit Révolution – appa­raît devant nous et fait taire les dis­cus­sions. Cheveux rele­vés et longue robe rose pâle, Elvire Duvelle-​Charles vient pré­sen­ter son tout nou­veau concept à une salle qui semble conquise d'avance. 

Un nou­veau rendez-​vous mensuel 

S’il existe plé­thore d’offres de ciné-​club, il n’y avait jusqu’à pré­sent qu’un seul ciné-​club fémi­niste en France, le Sorociné-​Club. Mais celui-​ci n’offrait aucun rendez-​vous régu­lier. Dans la salle du Majestic Bastille, Tonnerre pro­pose lui une pro­jec­tion, un jeu­di par mois, d’un film écrit et/​ou réa­li­sé par une femme (au prix d’un ticket de ciné). Le cre­do de Tonnerre est de mettre en lumière des réa­li­sa­trices et leurs films, pour faire le plein de female gaze. Car si le nombre de cinéastes fémi­nines croît depuis quelques années, elles sont tou­jours mino­ri­taires dans l’industrie du ciné­ma. « L’idée est de créer un cercle ver­tueux en don­nant un coup de pro­jec­teur à des réa­li­sa­trices dont les films res­tent sou­vent peu de temps en salles. Un film sur cinq est réa­li­sé par une femme », rap­pelle d’ailleurs Elvire Duvelle-​Charles à Causette, qui pré­cise ne pas être rému­né­rée pour ce projet. 

Ciné-​club oblige, la pro­jec­tion sera ensuite sui­vie d’une dis­cus­sion ouverte avec la réa­li­sa­trice et une experte. Mais pas d'échanges poin­tus sur la tech­nique ici, l'experte vien­dra appor­ter un éclai­rage fémi­niste au film et à sa thé­ma­tique. Au-​delà de don­ner un coup de pro­jec­teur à des cinéastes, Elvire Duvelle-​Charles sou­haite aus­si pou­voir abor­der le fémi­nisme par une autre entrée : celle du ciné­ma et de la culture. « Je suis per­sua­dée que le ciné­ma peut avoir un rôle dans la construc­tion du fémi­nisme et la décons­truc­tion du patriar­cat. C’est une manière de faire émer­ger de nou­velles révo­lu­tions fémi­nistes, dans un nou­veau lieu, le ciné­ma », souligne-​t-​elle. Une pro­po­si­tion inédite qui semble répondre à une demande pres­sante. Le pre­mier film à être pro­je­té ce soir, le docu­men­taire Riposte fémi­niste de Marie Perennès et Simon Depardon, qui sor­ti­ra le 9 novembre pro­chain, a affi­ché com­plet une semaine après l’ouverture de la billetterie. 

Lieu vivant 

Assise devant nous, une jeune fille pioche allè­gre­ment dans son cor­net de pop-​corn. Elise a 22 ans, étu­die la phi­lo à Paris et savoure sa pre­mière expé­rience ici. « C’est la pre­mière fois que je par­ti­cipe à un ciné-​club, glisse-​t-​elle à Causette. Je ne suis pas ce qu’on appelle une ciné­phile. Je n’y connais même pas grand chose, mais je m'intéresse aux col­lages. Le fait qu’il y ait un espace de dis­cus­sion fémi­niste m’a don­né envie de venir, ça change des réseaux sociaux ». Si Tonnerre est un ciné-​club, Elvire Duvelle-​Charles a sur­tout vou­lu en faire un lieu vivant, loin du côté imper­son­nel des réseaux tout comme de celui très sérieux et éli­tiste des ciné-​clubs réser­vés aux aguerri·es. « C’est avant tout un espace où l’on par­tage des émo­tions col­lec­tives, lance-​t-​elle juste avant que la séance ne com­mence. Ce n’est pas un ciné-​club “pouet-​pouet” ici, n’hésitez pas si vous avez envie de crier les slo­gans, d’applaudir ou de rire. »

Les spectateur·rices de ce soir ont visi­ble­ment pris les consignes d’Elvire au pied de la lettre. Tout au long de l’heure et demie que dure Riposte fémi­niste, on pleure, on rit, on applau­dit et même par­fois on crie dans la salle obs­cure. Une légè­re­té qui tranche avec le sujet abor­dé par le docu­men­taire : la lutte contre les fémi­ni­cides et les vio­lences faites aux femmes. 

Caméra au poing

Les col­lages fémi­nistes, lettres noires sur fond blanc, ont fait irrup­tion sur nos murs en 2019. Mais si aujourd’hui on les voit pra­ti­que­ment par­tout en France, on ne sait rien ou presque de leurs ins­ti­ga­trices. De Paris à Brest en pas­sant par Amiens ou encore par le petit vil­lage de Montbrison à côté de Lyon, Marie Perennès et Simon Depardon sont allé·es, camé­ra au poing, à la ren­contre de dix groupes de colleur·euses à tra­vers la France. Une manière d’entrer dans l’intimité de ces militant·es qui, armé·es de feuilles blanches et de pein­ture noire, collent à la nuit tom­bée ou aux aurores, des slo­gans contre les fémi­ni­cides ain­si que des mes­sages de sou­tien aux femmes vic­times de violences. 

Dans la salle du Majestic, la proxi­mi­té avec les colleur·euses est frap­pante. Si Élise, Alexia, Cécile ou encore Jil, pro­ta­go­nistes du long-​métrage, parlent de leur expé­rience devant la camé­ra, elles ne s’adressent jamais à celle-​ci. Il n’y a d’ailleurs presque pas de voix off. Seule les conver­sa­tions des colleur·euses et la camé­ra qui les suit. Cette der­nière est seule­ment une invi­tée, une obser­va­trice de leurs dis­cus­sions et de leurs actions. Un style de réa­li­sa­tion qui per­met aux spectateur·rices, lové·es dans les fau­teuils en velours, de vivre la lutte avec elles.

Questionner l’absence d’historique

La lumière se ral­lume sous les applau­dis­se­ments de la salle. Il est 22 heures lorsque la dis­cus­sion entre les spectateur·rices, les réalisateur·rices et l’historienne Bibia Pavard, spé­cia­liste de l’histoire des femmes et du genre, peut com­men­cer. Après les nom­breux éloges, l’une des pre­mières ques­tions porte jus­te­ment sur le choix des équipes du film de ne pas avoir réa­li­sé d’interviews face camé­ra. « Nous vou­lions vivre le mou­ve­ment, répond Marie Perennès, la réa­li­sa­trice assise en tailleur sur l’estrade aux côtés de son aco­lyte, Simon Depardon. Et nous n’avions pas la voca­tion de racon­ter une his­toire, seule­ment d’être le témoin d’une action militante. » 

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De gauche à droite : Bibia Pavard, Elvire Duvelle-​Charles, Marie Perennès et Simon Depardon. ©A.T.

Une autre femme prend ensuite le micro. Elle inter­roge Marie Perennès et Simon Depardon sur un autre choix consé­quent : l’absence dans le docu­men­taire de celle à qui l'on doit l'émergence des col­lages fémi­nistes en France, Marguerite Stern, fémi­niste cri­tique du genre. Une absence qui avait d’ailleurs déjà fait polé­mique lorsque le docu­men­taire a été pré­sen­té à Cannes en mai der­nier. Stern s’était alors indi­gnée dans une tri­bune publiée sur le site Marianne, d'avoir été effa­cée de l'Histoire. « Notre film n’avait pas voca­tion à racon­ter l’historique du mou­ve­ment, explique Marie Perennès. Quant à la divi­sion actuelle dans le milieu fémi­niste [les fémi­nistes cri­tiques du genre et les fémi­nistes inter­sec­tio­nelles s'écharpent depuis jan­vier 2020 sur la ques­tion de l’appartenance des femmes trans­genres dans les com­bats fémi­nistes, ndlr], elle est sur­tout visible dans les cercles pari­siens. Nous n’avons pas fait face à cette ques­tion dans les autres villes où nous sommes allés donc nous n’avions sim­ple­ment pas de matière à raconter. » 

Selon l'historienne Bibia Pavard, pré­sente à ses côtés, « il est aus­si dif­fi­cile d’aborder la ques­tion his­to­rique du mou­ve­ment des col­lages, son ori­gine étant assez flou ». Une dif­fi­cul­té qui s’explique aus­si, selon elle, par le fait qu’il n’existe pour l’heure pas assez d’études scien­ti­fiques sur le sujet. D’où la néces­si­té à ses yeux « d'archiver au maxi­mum les luttes féministes ».

Révolution fémi­niste 

La nuit est tom­bée depuis long­temps lorsque tout ce petit monde sort du Majestic. Les spectateur·rices s’éparpillent dans les rues adja­centes, non sans avoir débrie­fé – et par­fois débat­tu – une der­nière fois leur soi­rée autour d’une ciga­rette, devant le ciné­ma. « L’émotion était très forte, très pal­pable », peut-​on entendre chez une jeune fille, tan­dis qu’un jeune homme regrette lui « des plans trop par­faits » ou que l’« on sen­tait par­fois que les scènes avaient été pré­pa­rées à l’avance »

Et sur­tout, on dis­cute déjà de la pro­chaine séance qui aura lieu le mois pro­chain avec le film sor­ti en 2020 Entre les vagues, d'Anaïs Volpé qui tisse une his­toire d’amitié soro­rale. Un film qui fera d’ailleurs office d’exception dans le pro­gramme d’Elvire Duvelle-​Charles : « Entre les vagues a une his­toire par­ti­cu­lière : Anaïs Volpé est une auto­di­dacte, elle ne sort pas d’une grande école de ciné­ma et j’avais aus­si envie de mettre en avant des femmes comme ça, qui ont évo­lué hors cir­cuit. Mais à part celui-​ci, les films pro­je­tés seront uni­que­ment des œuvres qui viennent de sor­tir ou qui vont sor­tir dans pas long­temps », promet-​elle à Causette. 

À mesure que nous nous éloi­gnons de la place de la Bastille, lieu sym­bo­lique de la Révolution fran­çaise, un pas­sage du docu­men­taire nous revient en mémoire : « La révo­lu­tion sera fémi­niste ou ne sera pas », affir­mait haut et fort une col­leuse. En tout cas, c’est cer­tain qu’elle se pré­pa­re­ra chaque mois, bien au chaud, dans les murs du Majestic. 

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