Les cours en ligne de la Begum Academy, phare dans la nuit des Afghanes pri­vées d’éducation

b593e513 3de5 40f2 bac7 763f3391aef9
© Begum Academy

Pour contour­ner l’interdiction faite aux ado­les­centes afghanes de pour­suivre leur sco­la­ri­té pas­sé la pri­maire, l’association Begum pro­pose, depuis Paris, un site Internet gra­tuit où des mil­liers de vidéos réa­li­sées par des professeur·es per­mettent aux jeunes filles de conti­nuer à apprendre.

L’association Begum – du nom d’un titre hono­ri­fique fémi­nin en Asie cen­trale et du sud – est avant tout une his­toire de résis­tance et de liber­tés volées. Lancée d’abord sous forme de radio en 2021 par la jour­na­liste afghane exi­lée en Suisse Hamida Aman, voi­là qu’elle se déve­loppe, depuis cet automne à tra­vers un site Internet édu­ca­tif. Qu’il s’agisse de Radio Begum ou désor­mais de la Begum Academy, l’objectif est simi­laire : don­ner accès à l’éducation aux jeunes femmes afghanes, mal­gré leur relé­ga­tion à l’étroite sphère domes­tique sous le régime tali­ban. Depuis 2022, les Afghanes en âge d’aller au col­lège, au lycée et à l’université n’en ont plus le droit.

Ce lun­di, l’association Begum inau­gure son bureau tout neuf dans le 18e arron­dis­se­ment de Paris, grâce à Éric Lejoindre, maire d’arrondissement, qui lui a mis un espace à dis­po­si­tion. L’occasion de s’entretenir avec Hamida Aman, qui com­bat sans relâche l’obscurantisme des tali­bans et redonne, par l’accès au savoir, leur digni­té aux femmes afghanes.

Causette : C’est quoi, la Begum Academy ?
Hamida Aman :
L’académie est une nou­velle ini­tia­tive de Begum France, notre asso­cia­tion finan­cée grâce aux Nations unies femmes et à des fon­da­tions pri­vées, désor­mais ins­tal­lée à Paris afin d’avoir toutes les lati­tudes et la liber­té néces­saires pour déve­lop­per ce pro­jet. L’ambition de ce site Internet édu­ca­tif est de conte­nir en vidéos l’ensemble du pro­gramme sco­laire afghan, du col­lège au lycée. À par­tir du moment où les filles sont refou­lées de l’éducation par les tali­bans, donc.
Je ne peux pas m’étendre pour des rai­sons de sécu­ri­té, mais nous avons fait pro­duire les 8 500 vidéos, en dari et pat­cho (les deux langues offi­cielles) entre l’Afghanistan et la France, grâce au pré­cieux concours de pro­fes­seurs afghans. C’était un pro­jet tita­nesque.
Quand nous avons lan­cé la pla­te­forme, en novembre, ça a concor­dé avec la fin de l’année sco­laire dans les zones nord, avec le début de l’hiver. Et c’était d’une infi­nie tris­tesse, parce que cela signi­fie que les petites filles qui ont ter­mi­né leur pri­maire ne retour­ne­ront pas à l’école. Ce sont des mil­lions de jeunes filles lais­sées sur le car­reau chaque année. Notre but est de leur don­ner la pos­si­bi­li­té de conti­nuer, afin de ter­mi­ner leur cursus.

Que deviennent ces jeunes filles pri­vées d’éducation (trois à quatre mil­lions selon les esti­ma­tions) ?
H.A. :
C’est vite vu, une jeune fille afghane est cor­véable à mer­ci. Elle s’occupe de la mai­son et de la famille. Les plus chan­ceuses peuvent se rendre à quelques cours clan­des­tins qui existent encore dans cer­taines grandes villes. Mais la plu­part voient leur vie consi­dé­ra­ble­ment res­treinte et, en paral­lèle, l’âge du mariage baisse dan­ge­reu­se­ment, parce que ces jeunes filles deviennent des far­deaux pour leurs familles.

Fin décembre, Libération rap­por­tait que trois mille per­sonnes s’étaient ins­crites à la Begum Academy pour accé­der aux cours vidéo. Un mois après, où en est-​on ?
H.A. :
On est presque à quatre mille ins­crits. Je le dis au mas­cu­lin parce qu’il y a aus­si des gar­çons, à peu près 30 %, qui viennent vers nous parce que le cur­sus sco­laire a bais­sé de niveau sous les tali­bans, à cause d’un manque de moti­va­tion des pro­fes­seurs (qui ont vu leur salaire dimi­nuer de presque 40 %), du départ des pro­fes­seures empê­chées de tra­vailler et de l’entrisme du reli­gieux dans les pro­grammes. D’ailleurs, c’est très mignon, parce que beau­coup nous demandent : “Puis-​je quand même béné­fi­cier de vos cours bien que je sois un gar­çon ?”
Grâce aux retours de nos pre­miers uti­li­sa­teurs, notre pla­te­forme est en per­pé­tuelle amé­lio­ra­tion. Actuellement, on l’enrichit de tests et de QCM afin que les élèves puissent s’autoévaluer et voir leur pro­gres­sion. Notre pro­chain chan­tier concerne la créa­tion d’examens semes­triels (comme dans le cur­sus afghan) en ligne afin de pou­voir obte­nir une cer­ti­fi­ca­tion, car là aus­si, c’est une demande pres­sante des élèves et de leurs parents qui nous écrivent.

Lire aus­si l En Afghanistan, la radio de femmes Begum résiste à l'air du temps taliban

Une manière de pré­pa­rer le futur ?
H.A. :
Tout à fait, à la fois au niveau indi­vi­duel et pour le deve­nir du pays. Notre tra­vail est extrê­me­ment valo­ri­sé par les autres orga­ni­sa­tions qui tra­vaillent actuel­le­ment en Afghanistan dans le dis­tance lear­ning, dont l’Unnicef, l’Unesco, mais aus­si les uni­ver­si­tés étran­gères. Tous ont salué la qua­li­té de nos pro­grammes et de nos conte­nus. Délivrer un cer­ti­fi­cat d’études Begum, c’est don­ner la pos­si­bi­li­té à cer­taines élèves de pour­suivre leurs études à l’étranger grâce à des bourses, par exemple l’Université amé­ri­caine qui, depuis le retour des tali­bans, s’est redé­ployée au Qatar tout en conti­nuant à suivre ses étu­diantes afghanes à dis­tance.
Mais c’est aus­si une manière d’envisager la fin du régime tali­ban, que nous avons déjà connu entre 1996 et 2001. En par­lant avec plu­sieurs de nos pro­fes­seures, elles nous ont racon­té que lorsqu’elles étaient enfants elles avaient été, elles aus­si, été ban­nies des écoles sous le pre­mier régime tali­ban et qu’elles avaient bon an mal an réus­si à pour­suivre leurs études dans des petites écoles clan­des­tines, rece­vant un petit cer­ti­fi­cat des mains de leurs pro­fes­seurs. Quand ce régime est tom­bé et qu’un gou­ver­ne­ment démo­cra­tique l’a rem­pla­cé, les écoles ont réou­vert aux filles en 2002 et ces jeunes filles ont pu avoir une vali­da­tion d’acquis grâce à leurs cer­ti­fi­cats issus des écoles clan­des­tines. La Begum Academy a donc l’ambition d’offrir cette même assu­rance pour des jours meilleurs.

En atten­dant que cela advienne, une ques­tion se pose : dans un contexte où les jeunes femmes afghanes ont vu leur ave­nir si rétré­ci et si obs­cur, com­ment expliquez-​vous qu’elles gardent l’envie d’étudier ?
H.A. :
L’accès à l’éducation est un phare dans leur nuit. Une façon de gar­der espoir. Les retours que nous avons dans les cha­trooms ont été, les pre­mières semaines, extrê­me­ment émou­vants. J’admets que je pleu­rais en lisant les remer­cie­ments que notre équipe a reçus, de la part de per­sonnes impli­quées dans l’éducation, mais aus­si sur­tout de la part des élèves et de leurs parents. Des hommes pleu­raient presque au télé­phone pour nous remer­cier. C’était du baume au cœur. Ça jus­ti­fiait toutes ces heures de tra­vail jour et nuit pour pro­duire ces conte­nus qui enfin avaient un sens. Ça a été un moment incroyable.

Lire aus­si l Femmes afghanes : la ministre Isabelle Lonvis-​Rome s’engage à sou­te­nir Radio Begum

Vous êtes arrivé.e à la fin de la page, c’est que Causette vous passionne !

Aidez nous à accom­pa­gner les com­bats qui vous animent, en fai­sant un don pour que nous conti­nuions une presse libre et indépendante.

Faites un don
Partager

Cet article vous a plu ? Et si vous vous abonniez ?

Chaque jour, nous explorons l’actualité pour vous apporter des expertises et des clés d’analyse. Notre mission est de vous proposer une information de qualité, engagée sur les sujets qui vous tiennent à cœur (féminismes, droits des femmes, justice sociale, écologie...), dans des formats multiples : reportages inédits, enquêtes exclusives, témoignages percutants, débats d’idées… 
Pour profiter de l’intégralité de nos contenus et faire vivre la presse engagée, abonnez-vous dès maintenant !  

 

Une autre manière de nous soutenir…. le don !

Afin de continuer à vous offrir un journalisme indépendant et de qualité, votre soutien financier nous permet de continuer à enquêter, à démêler et à interroger.
C’est aussi une grande aide pour le développement de notre transition digitale.
Chaque contribution, qu'elle soit grande ou petite, est précieuse. Vous pouvez soutenir Causette.fr en donnant à partir de 1 € .

Articles liés