Après deux décennies à travailler en bibliothèque, elle a fait de son amour de la littérature un outil thérapeutique. De la lecture plaisir à la lecture émancipatrice, elle nous raconte comment la bibliothérapie peut faire du bien à l’âme.
« Depuis toujours, j’ai aimé lire. J’ai découvert la littérature très jeune, parce que j’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont très vite emmenée en bibliothèque et m’ont laissée emprunter tout ce que je voulais. Très tôt, j’ai compris à quel point les livres étaient une source de divertissement, bien sûr, mais surtout de consolation et d’imagination. Les textes de grands auteurs et autrices – Les Misérables, de Victor Hugo ; Bonjour tristesse, de Françoise Sagan ; La Place, d’Annie Ernaux, et tant d’autres… – m’ont permis de comprendre quelles étaient ces émotions qui me perturbaient. Ils ont ce pouvoir, cet effet miroir et cathartique extraordinaire.
Après des études littéraires, j’ai commencé à travailler comme bibliothécaire. J’ai tout de suite aimé ce métier, que j’ai exercé pendant plus de vingt ans. Ce qui est drôle, c’est qu’on a différentes missions en bibliothèque, qui vont du circuit du document (recevoir des documents, les cataloguer, etc.) à la médiation avec le public. C’est ce qui m’a le plus plu, d’aller vers les gens. Je passais beaucoup de temps avec les lectrices et les lecteurs. Je leur parlais de mes goûts, mais je leur posais aussi des questions d’ordre un peu psychologique : pourquoi ce livre-là, comment ils allaient en ce moment… Ils me racontaient un peu leur vie et, surtout, ils cherchaient un livre pour trouver des réponses et quelque chose qui leur permette d’aller mieux. Et j’ai terriblement aimé quand les gens revenaient me voir et me racontaient comment le livre qu’on avait choisi ensemble leur avait fait du bien.
Puis il y a eu le premier confinement, pendant lequel j’ai participé à des ateliers d’écriture. Je suivais une autrice, Régine Detambel, qui cherchait des médiateurs du livre pour participer avec elle, bénévolement, à un accompagnement de personnes. On s’est contactées, on a fait un entretien, puis une association m’a mise en relation avec une personne qui avait des troubles cognitifs. Cette personne m’a beaucoup parlé du fait qu’elle se sentait déracinée, isolée – le confinement accentuant évidemment cela. En partant de nouvelles comme Mondo et autres histoires [de Jean-Marie Gustave Le Clézio, ndlr], qui parlent de voyage, de soleil et de Méditerranée, elle a commencé à raconter des choses sur sa vie. Ça a été une expérience extrêmement forte. J’ai découvert à quel point le livre, en favorisant les émotions, était un vrai levier thérapeutique. À partir de là, je me suis formée avec Régine Detambel (lire l’encadré), ce qui m’a permis de saisir comment les textes choisis avec soin participent au mieux-être des patients-lecteurs, mais aussi de faire des ateliers de bibliothérapie créative en utilisant de multiples supports (papiers, peintures, collages…). Puis j’ai décidé de créer ma propre activité de bibliothérapeuthe.
Avec le soutien du réseau Entreprendre au féminin Bretagne, j’ai lancé Lire délivre, en octobre 2021. Je reçois chez moi ou au domicile de la personne, en présentiel ou en distanciel, en individuel ou en collectif. Ça commence généralement par un questionnaire très simple pour comprendre où en est la personne dans sa vie, ses préoccupations, son rapport à la lecture… À partir de là, je mets en lien tout le fond de livres que je connais comme bibliothécaire, en faisant appel aux ressentis que j’ai eus, au champ lexical, etc. Jusqu’à trouver les textes les plus fins, les plus précis par rapport au travail que je vais faire avec cette personne. Le rôle de la bibliothérapie n’est pas d’aller vers les livres dont le sujet nous correspond forcément, mais de trouver celui qui permettra de mettre des mots et du sens sur nos émotions. Ce n’est pas du coaching : je ne propose pas des livres qui nous expliquent comment aller mieux, je ne dis pas aux gens quoi faire. Je suis une médiatrice du livre, dont l’activité va être complémentaire de celles des bibliothécaires ou de l’art-thérapie.
Une fois que j’ai trouvé le texte adapté, on va pouvoir le lire ensemble. Je l’offre toujours en édition de poche, car je trouve important que la personne puisse repartir avec la matière qu’est le livre, cela acte symboliquement quelque chose. Je suis par ailleurs autrice et comédienne, donc ce sont des choses qui me servent dans mon travail. Je fais beaucoup d’ateliers d’écriture. Tout ça amène généralement la personne à me parler d’elle-même. Ça peut provoquer des rires, des pleurs. Et de mon côté, je travaille en lien avec un psychologue de contrôle, qui me permet de déposer et de cadrer ce qui se passe en séance.
« Quand une personne me dit ‘Vous avez sauvé mon couple’ ou ‘Grâce à ce qu’on fait, mes crises d’angoisse ont disparu’, c’est extraordinaire »
Je reçois tous styles de gens : des jeunes, des seniors, de grands lecteurs ou, au contraire, des personnes détachées de la lecture. Leurs problématiques peuvent être très différentes : des soucis de couple, un décès, un passif de violences conjugales… Selon leur situation, on va travailler à partir d’un texte classique, d’un livre de Virginie Despentes ou de Nina Bouraoui – j’ai une appétence particulière pour les autrices –, d’un roman épistolaire ou d’un ouvrage documentaire. Quand une personne me dit “Vous avez sauvé mon couple” ou “Grâce à ce qu’on fait, mes crises d’angoisse ont disparu”, c’est extraordinaire.
J’ai aussi travaillé avec des lycéens dans le cadre du Goncourt des lycéens. Et j’aimerais, à terme, travailler en milieu carcéral, avec des bibliothèques ou des services de soins palliatifs. Le temps d’un atelier, la personne quitte son quotidien : elle oublie qu’elle est en chimio, qu’elle s’est fait larguer, que son fils est parti… C’est la puissance des mots et de la lecture. Six minutes de lecture, c’est 60 % de stress en moins. Et, quelles que soient les personnes avec lesquelles je travaille, ma mission est toujours de favoriser le plaisir, l’émancipation et le mieux-être. La bibliothérapie, c’est une caresse à l’âme, du baume au cœur à travers les textes. »
Se former à la bibliothérapie
Si quelques universités étrangères proposent des formations à la bibliothérapie (comme l’université des arts de Florence, en Italie, ou celle d’Haïfa, en Israël), ce n’est pas le cas en France, où ce métier n’est pas reconnu. Il existe néanmoins quelques formations dispensées par des professionnel·les du livre, dont celles de l’écrivaine Régine Detambel, l’une des principales figures de la bibliothérapie en France. Depuis 2020, l’Association francophone de bibliothérapie travaille également à la promotion de cette activité. A.B.