Partie il y a huit ans vers le Brésil à bord d’un voilier qui l’a prise en stop, la baroudeuse Florence Renault, 36 ans, vient de rentrer d’un tour du monde réalisé seulement grâce à ce mode de covoiturage improvisé.
![Rencontre avec Florence Renault, l’autostoppeuse qui a traversé la planète en huit ans 1 Capture d’écran 2021 09 07 à 13.31.24](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/09/Capture-d’écran-2021-09-07-à-13.31.24.jpg)
© Capture d'écran du compte Instagram de Florence Renault
Quand, en 2013, Florence Renault s’est préparée pour son grand périple qui la porterait sur cinq continents de notre planète, elle avait envisagé que cela durerait deux ans. La backpaker, 28 ans à l’époque, s’était posé une drôle de contrainte : traverser terres, mers et même airs intégralement en faisant du stop.
Après avoir économisé 22 000 euros, celle qui était alors journaliste reporter d’images (JRI) a mis dans ses deux sacs à dos de 45 et 20 litres des habits pour dix jours, une trousse de toilette, une trousse à pharmacie, un ordinateur, une caméra vidéo, un trépied et une GoPro pour documenter son exploit sur son blog Le monde sur le pouce. Un ukulélé aussi, probablement efficace pour casser la glace avec les autochtones qui la prenaient en stop, mais qu’elle abandonnera au bout de six mois sur la route parce qu’il l’encombrait. Le monde étant plus vaste que ce que nous en percevons en scrutant l’horizon, Florence Renault restera finalement huit ans sur les routes, le pouce levé. À l’occasion de son retour au bercail, à Orléans, auprès des siens fin août 2021, Causette a passé un coup de fil à la voyageuse. Interview.
Causette : Quel effet cela vous fait de retrouver Orléans et vos proches au bout de huit années passées à l’autre bout du monde ?
Florence Renault : On m’avait prévenue que ce serait bizarre, mais je crois qu’il faut l’avoir vécu pour comprendre ce sentiment d’étrangeté. Cela fait un peu plus d’un mois que je suis rentrée en France, où j’ai visité ma famille éparpillée dans différentes régions, donc ça a été comme un sas avant Orléans. Ma ville a beaucoup changé, je ne m’y attendais pas. En huit ans, beaucoup de travaux de restauration ont été entrepris dans mon quartier, donc je trouve que tout est super beau, grand et moderne. Dans la maison de mes parents, les peintures ont été refaites, certains meubles changés, il y a donc là aussi un gros décalage entre mes souvenirs et ce que je retrouve. Je n’ai donc plus la même familiarité aux choses, c’est particulier. Je trouve les gens en France hyper gentils, plus gentils qu’avant, ce qui est très positif, mais par contre un peu trop accaparés par les débats politiques autour du passe sanitaire et de la gestion du Covid. Je crois que nous sommes les seuls à se prendre autant la tête autour de ces sujets.
Comment passe-t-on d’un voyage prévu pour deux ans à huit ?
F.R. : Je savais déjà que je serais flexible, car l’idée était de prendre le temps nécessaire. Dès le début du voyage, en fait, lorsque j’ai traversé l’Atlantique en voilier-stop et suis arrivée au Brésil, je me suis rendu compte de l’étendue des distances à parcourir en Amérique latine. J’ai compris que ce serait au moins trois ans et de là, chaque année j’ai ajouté un an, sauf en 2020 où je comptais réellement rentrer en juin, mais n’ai pas pu à cause de la pandémie.
« Dans une petite voiture, la proximité se créé comme si on était dans un cocon, les langues se délient »
Pourquoi ce choix du stop ?
F.R. : Pour être honnête, c’est avant tout une question de pragmatisme. Je désirais voyager sans limites de temps, jusque là, je n’étais partie qu’un mois ou deux. Or, ce qui coûte le plus cher lorsqu’on voyage, c’est les transports. Comme je pratiquais depuis longtemps l’autostop en France, je me suis dit que ce serait la bonne façon d’économiser et c’est aussi une bonne excuse pour rencontrer des gens et discuter. J’ai remarqué que dans une petite voiture, la proximité se crée comme si on était dans un cocon, les gens parlent plus librement parce qu’ils savent qu’on ne va pas se revoir. Cela m’a permis de connaître leurs préoccupations, leurs vies et qu’ils me partagent ce qu’ils savaient sur le coin en même temps que nous le traversions.
Enfin, il y avait un argument écologiste : l’autostop, c’est avant tout du covoiturage.
Faire preuve de patience au Kirghizistan
Ce qui est fascinant, c’est que votre pratique du stop ne s’est pas limitée à la voiture. Maintes fois, vous en avez eu besoin pour traverser des océans, des mers, en bateau ou en avion. Comment fait-on pour faire de l’avion-stop ou du bateau-stop ?
F.R. : Pour l’avion-stop, soit je me pointais directement dans les bureaux des compagnies aériennes, soit je leur faisais un mail quand elles n’avaient pas de bureau d’accueil. Je leur demandais, en leur expliquant mon projet : j’ai besoin d’aller à tel endroit, et en principe, j’offre en échange des photos ou une petite vidéo et des publications sur Facebook ou Instagram. En fait, j’ai utilisé mon savoir-faire de JRI pour troquer ces places d’avion.
Ça a l’air très facile, quand vous en parlez. Vous n’avez jamais essuyé de refus ?
F.R. : Ah, mais si, la plupart du temps ! Il faut envoyer des dizaines de mails et taper à des dizaines de portes pour avoir un accord parmi des tas de vents [rires].
Hormis Royal Air Maroc lorsque, à la fin de mon tour du monde, j’ai voulu faire Nigéria-Maroc, ça a toujours été des petites compagnies qui ont accepté. La première fois, c’était en Indonésie, juste pour traverser la mer entre deux petites îles, un vol de quarante-cinq minutes. Il y a eu une deuxième compagnie en Asie, une autre pour relier Tel-Aviv à Nicosie. J’ai vraiment eu de la chance pour Royal Air Maroc, car c’était durant l’épidémie de Covid et ils m’ont juste demandé une story Instagram, ce qui n’était pas difficile.
« Pour relier les États-Unis à la Nouvelle-Zélande en cargo, j’ai envoyé des centaines de mails et, au bout d’un moment, une compagnie allemande a dit oui en échange de photos »
Et pour les bateaux ?
F.R. : J’ai fait du voilier, du cargo, du ferry et même de la pirogue-stop. Quand il s’agissait de petits bateaux, j’allais directement dans les ports pour discuter avec les marins et les capitaineries, qui font fonctionner le bouche-à-oreille. Sauf pour mon voyage de départ, ma traversée de l’Atlantique en voilier qui a pris un mois, où tout s’est organisé grâce à une annonce trouvée sur Internet.
En ce qui concerne les gros bateaux, ce qui est compliqué est d’accéder aux capitaines, car les ports sont la plupart du temps sécurisés et inaccessibles, mais je me suis débrouillée pour prendre deux ferries. Pour relier les États-Unis à la Nouvelle-Zélande en cargo, j’ai envoyé des centaines de mails et, au bout d’un moment, une compagnie allemande a dit oui en échange de photos. C’était trop bien d’avoir l’excuse des photos, car il ne se passe pas grand-chose sur un cargo, donc ça m’a permis d’aller voir les gars pour leur parler. Un super deal quand on sait que les voyages en cargo à travers le Pacifique avoisinent les 2 000 euros.
Il y a aussi eu des coups de chance énormes, comme ce moment où j’ai relié Luanda, la capitale de l’Angola, à une autre ville portuaire du pays, Cabinda, grâce à ma rencontre avec un Français installé en Afrique du Sud – dont j’avais gardé la maison et les chiens à Noël pendant qu’il retournait en France – et qui gérait une compagnie de cargos en Angola.
Remonter le Nil en ferry
Avant de partir, pensiez-vous que vous alliez pouvoir voyager aussi loin en stop ?
F.R. : Oui, depuis le départ, je pensais que j’allais y arriver. Le seul truc un peu stressant, mais qui faisait le sel du projet, c’était de ne pas savoir quand et comment. C’est pour ça que j’ai commencé par le plus difficile : la traversée de l’Atlantique à la voile, moi qui ai le mal de mer et qui n’avais jamais fait de voile tout en devant évidemment donner un coup de main sur le bateau.
Baser ce périple sur le stop en tant que femme, c’est un sujet ?
F.R. : Je n’avais pas spécialement d’appréhensions, car j’avais déjà fait beaucoup de stop dans ma vie. Mais oui, il y a des moments où j’ai eu peur, d’autres où je me suis sentie ultra mal à l’aise avec certains conducteurs.
J’ai une répartie toute faite dans ces cas-là. C’est un peu triste à dire, mais on a tellement l’habitude en tant que femme d’être importunée ou harcelée que je sais comment faire dès qu’un gars me sort un truc déplacé. Parfois, le mec se sent tellement mal à l’aise face à ce que je lui rétorque qu’il me fait sortir de la voiture parce qu’il se sent trop con. Mais comme ce n’est qu’une personne sur cent qui va me mettre mal à l’aise, pour moi, cela vaut le coup de continuer : avec les 99 autres, je passe un bon moment.
Par ailleurs, je dirais que ces mauvaises rencontres n’arrivent pas qu’aux autostoppeuses. C’est tabou chez les hommes. J’en ai parlé avec des autostoppeurs qui ont vécu des choses similaires, mais n’en parlent pas, car ils ont honte d’avoir été « abordés » par des mecs.
« Le stop, un bon baromètre pour mesurer les niveaux de peur et de confiance d'un pays »
Y a‑t-il des cultures de l’autostop différentes selon les pays ?
F.R. : C’est complètement différent d’un pays à l’autre ! Il y a des endroits où le concept n’existe tout simplement pas, donc les gens s’arrêtent, on leur explique, mais ils ne comprennent pas forcément. Parfois, tu expliques pendant quinze minutes et le mec part sans te prendre, en Asie du Sud Est et en Afrique notamment, sauf au Maroc.
Je me suis aussi aperçue que c’était aussi un bon baromètre pour mesurer les niveaux de peur, je parle du degré de gens qui vivent dans la peur et des endroits où les gens sont plus confiants. À cet égard, le pire a été les États-Unis, où les gens étaient vraiment flippés, parce qu’ils ont l’habitude des tueries et qu’il y a beaucoup de mendiants. Je me suis fait chasser par des propriétaires de stations-service parce que j’essayais d’y trouver des conducteurs. Le Brésil et le Japon ont été aussi compliqués, mais dans ce dernier, il me semble que c’est plutôt dû à la timidité des gens et à la barrière de la langue. Par contre, là où ça a été super facile, ça a été en Argentine, au Chili, au Canada, en Nouvelle-Zélande et en Iran, qui pour moi est le meilleur pays où pratiquer le stop.
En Afrique, bien qu’ils ne connaissent pas le concept, les gens m’écoutaient leur expliquer et après une personne sur deux acceptait. En fait, la solidarité, c’est quand même un truc international.
Au Vietnam, on rame aux pieds avec dextérité
Votre tour du monde prouve-t-il qu’il y a encore de la place dans notre époque pour l’économie du partage, le troc et la solidarité ?
F.R. : Carrément. Et au-delà du stop, il y a un truc que j’ai beaucoup pratiqué, c’est le volontariat. Il existe des sites pour ça, mais la plupart du temps, j’ai trouvé naturellement par le bouche-à-oreille : tu donnes un coup de main quelque part et, en échange, tu es logée et nourrie. Avec mon copain chilien que j’ai rencontré en Nouvelle-Zélande, on en a fait un peu, comme du house-sitting, ou du dog-sitting, bons plans trouvés via les groupes d’expats sur Facebook.
« J’aimerais que les gens ne se disent pas “cette fille, elle a fait un truc de fou, c’est Superwoman”, mais au contraire “c’est une fille normale qui l’a fait, donc nous aussi on peut le faire” »
Et maintenant que vous avez remis un pied en France, quelle est la suite ?
F.R. : J’aimerais organiser des conférences autour de mon voyage, que ce soit dans des associations, des écoles, des universités ou des musées. J’aimerais aussi trouver un éditeur pour publier un récit de ce tour du monde et trouver une boîte de production pour monter dans un documentaire toutes ces images que j’ai prises pendant huit ans.
Ce qui est difficile pour l’heure, c’est que mon compagnon chilien, qui a trouvé un travail ici, vient de se voir refuser sa demande de visa par la préfecture sans que cela soit justifié. Cela fait déjà beaucoup de tracas.
Retour au bercail avec un +1
Quel message souhaiteriez-vous véhiculer dans ces futures conférences ?
F.R. : J’aimerais que les gens ne se disent pas « cette fille, elle a fait un truc de fou, c’est Superwoman », mais au contraire « c’est une fille normale qui l’a fait, donc nous aussi on peut le faire. » Et particulièrement les filles. Avant que je parte, il y a huit ans, une amie m’avait dit qu’elle avait vu sur Internet qu’un garçon avait déjà entrepris un tour du monde en stop. Je me suis demandé si j’allais y arriver en tant que femme et, en fait, je me suis dit que s’il l’avait fait, alors moi aussi je pouvais. Je crois qu’en France nous sommes plus libres que nous le pensons et qu’il faut juste réussir l’effort mental qui consiste à faire sauter les barrières qu’on se met pour tenter ce qui nous fait vibrer.