Rencontre avec Florence Renault, l’autostoppeuse qui a tra­ver­sé la pla­nète en huit ans

Partie il y a huit ans vers le Brésil à bord d’un voi­lier qui l’a prise en stop, la barou­deuse Florence Renault, 36 ans, vient de ren­trer d’un tour du monde réa­li­sé seule­ment grâce à ce mode de covoi­tu­rage improvisé.

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Iran, décembre 2018.
© Capture d'écran du compte Instagram de Florence Renault

Quand, en 2013, Florence Renault s’est pré­pa­rée pour son grand périple qui la por­te­rait sur cinq conti­nents de notre pla­nète, elle avait envi­sa­gé que cela dure­rait deux ans. La back­pa­ker, 28 ans à l’époque, s’était posé une drôle de contrainte : tra­ver­ser terres, mers et même airs inté­gra­le­ment en fai­sant du stop. 

Après avoir éco­no­mi­sé 22 000 euros, celle qui était alors jour­na­liste repor­ter d’images (JRI) a mis dans ses deux sacs à dos de 45 et 20 litres des habits pour dix jours, une trousse de toi­lette, une trousse à phar­ma­cie, un ordi­na­teur, une camé­ra vidéo, un tré­pied et une GoPro pour docu­men­ter son exploit sur son blog Le monde sur le pouce. Un uku­lé­lé aus­si, pro­ba­ble­ment effi­cace pour cas­ser la glace avec les autoch­tones qui la pre­naient en stop, mais qu’elle aban­don­ne­ra au bout de six mois sur la route parce qu’il l’encombrait. Le monde étant plus vaste que ce que nous en per­ce­vons en scru­tant l’horizon, Florence Renault res­te­ra fina­le­ment huit ans sur les routes, le pouce levé. À l’occasion de son retour au ber­cail, à Orléans, auprès des siens fin août 2021, Causette a pas­sé un coup de fil à la voya­geuse. Interview.

Causette : Quel effet cela vous fait de retrou­ver Orléans et vos proches au bout de huit années pas­sées à l’autre bout du monde ?
Florence Renault :
On m’avait pré­ve­nue que ce serait bizarre, mais je crois qu’il faut l’avoir vécu pour com­prendre ce sen­ti­ment d’étrangeté. Cela fait un peu plus d’un mois que je suis ren­trée en France, où j’ai visi­té ma famille épar­pillée dans dif­fé­rentes régions, donc ça a été comme un sas avant Orléans. Ma ville a beau­coup chan­gé, je ne m’y atten­dais pas. En huit ans, beau­coup de tra­vaux de res­tau­ra­tion ont été entre­pris dans mon quar­tier, donc je trouve que tout est super beau, grand et moderne. Dans la mai­son de mes parents, les pein­tures ont été refaites, cer­tains meubles chan­gés, il y a donc là aus­si un gros déca­lage entre mes sou­ve­nirs et ce que je retrouve. Je n’ai donc plus la même fami­lia­ri­té aux choses, c’est par­ti­cu­lier. Je trouve les gens en France hyper gen­tils, plus gen­tils qu’avant, ce qui est très posi­tif, mais par contre un peu trop acca­pa­rés par les débats poli­tiques autour du passe sani­taire et de la ges­tion du Covid. Je crois que nous sommes les seuls à se prendre autant la tête autour de ces sujets.

Comment passe-​t-​on d’un voyage pré­vu pour deux ans à huit ?
F.R. :
Je savais déjà que je serais flexible, car l’idée était de prendre le temps néces­saire. Dès le début du voyage, en fait, lorsque j’ai tra­ver­sé l’Atlantique en voilier-​stop et suis arri­vée au Brésil, je me suis ren­du compte de l’étendue des dis­tances à par­cou­rir en Amérique latine. J’ai com­pris que ce serait au moins trois ans et de là, chaque année j’ai ajou­té un an, sauf en 2020 où je comp­tais réel­le­ment ren­trer en juin, mais n’ai pas pu à cause de la pandémie. 

« Dans une petite voi­ture, la proxi­mi­té se créé comme si on était dans un cocon, les langues se délient »

Pourquoi ce choix du stop ?
F.R. : Pour être hon­nête, c’est avant tout une ques­tion de prag­ma­tisme. Je dési­rais voya­ger sans limites de temps, jusque là, je n’étais par­tie qu’un mois ou deux. Or, ce qui coûte le plus cher lorsqu’on voyage, c’est les trans­ports. Comme je pra­ti­quais depuis long­temps l’autostop en France, je me suis dit que ce serait la bonne façon d’économiser et c’est aus­si une bonne excuse pour ren­con­trer des gens et dis­cu­ter. J’ai remar­qué que dans une petite voi­ture, la proxi­mi­té se crée comme si on était dans un cocon, les gens parlent plus libre­ment parce qu’ils savent qu’on ne va pas se revoir. Cela m’a per­mis de connaître leurs pré­oc­cu­pa­tions, leurs vies et qu’ils me par­tagent ce qu’ils savaient sur le coin en même temps que nous le tra­ver­sions.
Enfin, il y avait un argu­ment éco­lo­giste : l’autostop, c’est avant tout du covoiturage.

Faire preuve de patience au Kirghizistan

Ce qui est fas­ci­nant, c’est que votre pra­tique du stop ne s’est pas limi­tée à la voi­ture. Maintes fois, vous en avez eu besoin pour tra­ver­ser des océans, des mers, en bateau ou en avion. Comment fait-​on pour faire de l’avion-stop ou du bateau-​stop ?
F.R. : Pour l’avion-stop, soit je me poin­tais direc­te­ment dans les bureaux des com­pa­gnies aériennes, soit je leur fai­sais un mail quand elles n’avaient pas de bureau d’accueil. Je leur deman­dais, en leur expli­quant mon pro­jet : j’ai besoin d’aller à tel endroit, et en prin­cipe, j’offre en échange des pho­tos ou une petite vidéo et des publi­ca­tions sur Facebook ou Instagram. En fait, j’ai uti­li­sé mon savoir-​faire de JRI pour tro­quer ces places d’avion.

Ça a l’air très facile, quand vous en par­lez. Vous n’avez jamais essuyé de refus ?
F.R. : Ah, mais si, la plu­part du temps ! Il faut envoyer des dizaines de mails et taper à des dizaines de portes pour avoir un accord par­mi des tas de vents [rires].
Hormis Royal Air Maroc lorsque, à la fin de mon tour du monde, j’ai vou­lu faire Nigéria-​Maroc, ça a tou­jours été des petites com­pa­gnies qui ont accep­té. La pre­mière fois, c’était en Indonésie, juste pour tra­ver­ser la mer entre deux petites îles, un vol de quarante-​cinq minutes. Il y a eu une deuxième com­pa­gnie en Asie, une autre pour relier Tel-​Aviv à Nicosie. J’ai vrai­ment eu de la chance pour Royal Air Maroc, car c’était durant l’épidémie de Covid et ils m’ont juste deman­dé une sto­ry Instagram, ce qui n’était pas difficile.

« Pour relier les États-​Unis à la Nouvelle-​Zélande en car­go, j’ai envoyé des cen­taines de mails et, au bout d’un moment, une com­pa­gnie alle­mande a dit oui en échange de photos »

Et pour les bateaux ?
F.R. : J’ai fait du voi­lier, du car­go, du fer­ry et même de la pirogue-​stop. Quand il s’agissait de petits bateaux, j’allais direc­te­ment dans les ports pour dis­cu­ter avec les marins et les capi­tai­ne­ries, qui font fonc­tion­ner le bouche-​à-​oreille. Sauf pour mon voyage de départ, ma tra­ver­sée de l’Atlantique en voi­lier qui a pris un mois, où tout s’est orga­ni­sé grâce à une annonce trou­vée sur Internet.
En ce qui concerne les gros bateaux, ce qui est com­pli­qué est d’accéder aux capi­taines, car les ports sont la plu­part du temps sécu­ri­sés et inac­ces­sibles, mais je me suis débrouillée pour prendre deux fer­ries. Pour relier les États-​Unis à la Nouvelle-​Zélande en car­go, j’ai envoyé des cen­taines de mails et, au bout d’un moment, une com­pa­gnie alle­mande a dit oui en échange de pho­tos. C’était trop bien d’avoir l’excuse des pho­tos, car il ne se passe pas grand-​chose sur un car­go, donc ça m’a per­mis d’aller voir les gars pour leur par­ler. Un super deal quand on sait que les voyages en car­go à tra­vers le Pacifique avoi­sinent les 2 000 euros.
Il y a aus­si eu des coups de chance énormes, comme ce moment où j’ai relié Luanda, la capi­tale de l’Angola, à une autre ville por­tuaire du pays, Cabinda, grâce à ma ren­contre avec un Français ins­tal­lé en Afrique du Sud – dont j’avais gar­dé la mai­son et les chiens à Noël pen­dant qu’il retour­nait en France – et qui gérait une com­pa­gnie de car­gos en Angola.

Remonter le Nil en ferry

Avant de par­tir, pensiez-​vous que vous alliez pou­voir voya­ger aus­si loin en stop ?
F.R. : Oui, depuis le départ, je pen­sais que j’allais y arri­ver. Le seul truc un peu stres­sant, mais qui fai­sait le sel du pro­jet, c’était de ne pas savoir quand et com­ment. C’est pour ça que j’ai com­men­cé par le plus dif­fi­cile : la tra­ver­sée de l’Atlantique à la voile, moi qui ai le mal de mer et qui n’avais jamais fait de voile tout en devant évi­dem­ment don­ner un coup de main sur le bateau. 

Baser ce périple sur le stop en tant que femme, c’est un sujet ?
F.R. : Je n’avais pas spé­cia­le­ment d’appréhensions, car j’avais déjà fait beau­coup de stop dans ma vie. Mais oui, il y a des moments où j’ai eu peur, d’autres où je me suis sen­tie ultra mal à l’aise avec cer­tains conduc­teurs.
J’ai une répar­tie toute faite dans ces cas-​là. C’est un peu triste à dire, mais on a tel­le­ment l’habitude en tant que femme d’être impor­tu­née ou har­ce­lée que je sais com­ment faire dès qu’un gars me sort un truc dépla­cé. Parfois, le mec se sent tel­le­ment mal à l’aise face à ce que je lui rétorque qu’il me fait sor­tir de la voi­ture parce qu’il se sent trop con. Mais comme ce n’est qu’une per­sonne sur cent qui va me mettre mal à l’aise, pour moi, cela vaut le coup de conti­nuer : avec les 99 autres, je passe un bon moment.
Par ailleurs, je dirais que ces mau­vaises ren­contres n’arrivent pas qu’aux autos­top­peuses. C’est tabou chez les hommes. J’en ai par­lé avec des autos­top­peurs qui ont vécu des choses simi­laires, mais n’en parlent pas, car ils ont honte d’avoir été « abor­dés » par des mecs. 

« Le stop, un bon baro­mètre pour mesu­rer les niveaux de peur et de confiance d'un pays »

Y a‑t-​il des cultures de l’autostop dif­fé­rentes selon les pays ?
F.R. : C’est com­plè­te­ment dif­fé­rent d’un pays à l’autre ! Il y a des endroits où le concept n’existe tout sim­ple­ment pas, donc les gens s’arrêtent, on leur explique, mais ils ne com­prennent pas for­cé­ment. Parfois, tu expliques pen­dant quinze minutes et le mec part sans te prendre, en Asie du Sud Est et en Afrique notam­ment, sauf au Maroc.
Je me suis aus­si aper­çue que c’était aus­si un bon baro­mètre pour mesu­rer les niveaux de peur, je parle du degré de gens qui vivent dans la peur et des endroits où les gens sont plus confiants. À cet égard, le pire a été les États-​Unis, où les gens étaient vrai­ment flip­pés, parce qu’ils ont l’habitude des tue­ries et qu’il y a beau­coup de men­diants. Je me suis fait chas­ser par des pro­prié­taires de stations-​service parce que j’essayais d’y trou­ver des conduc­teurs. Le Brésil et le Japon ont été aus­si com­pli­qués, mais dans ce der­nier, il me semble que c’est plu­tôt dû à la timi­di­té des gens et à la bar­rière de la langue. Par contre, là où ça a été super facile, ça a été en Argentine, au Chili, au Canada, en Nouvelle-​Zélande et en Iran, qui pour moi est le meilleur pays où pra­ti­quer le stop.
En Afrique, bien qu’ils ne connaissent pas le concept, les gens m’écoutaient leur expli­quer et après une per­sonne sur deux accep­tait. En fait, la soli­da­ri­té, c’est quand même un truc international.

Au Vietnam, on rame aux pieds avec dextérité

Votre tour du monde prouve-​t-​il qu’il y a encore de la place dans notre époque pour l’économie du par­tage, le troc et la soli­da­ri­té ?
F.R. : Carrément. Et au-​delà du stop, il y a un truc que j’ai beau­coup pra­ti­qué, c’est le volon­ta­riat. Il existe des sites pour ça, mais la plu­part du temps, j’ai trou­vé natu­rel­le­ment par le bouche-​à-​oreille : tu donnes un coup de main quelque part et, en échange, tu es logée et nour­rie. Avec mon copain chi­lien que j’ai ren­con­tré en Nouvelle-​Zélande, on en a fait un peu, comme du house-​sitting, ou du dog-​sitting, bons plans trou­vés via les groupes d’expats sur Facebook. 

« J’aimerais que les gens ne se disent pas “cette fille, elle a fait un truc de fou, c’est Superwoman”, mais au contraire “c’est une fille nor­male qui l’a fait, donc nous aus­si on peut le faire” »

Et main­te­nant que vous avez remis un pied en France, quelle est la suite ?
F.R. : J’aimerais orga­ni­ser des confé­rences autour de mon voyage, que ce soit dans des asso­cia­tions, des écoles, des uni­ver­si­tés ou des musées. J’aimerais aus­si trou­ver un édi­teur pour publier un récit de ce tour du monde et trou­ver une boîte de pro­duc­tion pour mon­ter dans un docu­men­taire toutes ces images que j’ai prises pen­dant huit ans.
Ce qui est dif­fi­cile pour l’heure, c’est que mon com­pa­gnon chi­lien, qui a trou­vé un tra­vail ici, vient de se voir refu­ser sa demande de visa par la pré­fec­ture sans que cela soit jus­ti­fié. Cela fait déjà beau­coup de tracas. 

Retour au ber­cail avec un +1

Quel mes­sage souhaiteriez-​vous véhi­cu­ler dans ces futures confé­rences ?
F.R. : J’aimerais que les gens ne se disent pas « cette fille, elle a fait un truc de fou, c’est Superwoman », mais au contraire « c’est une fille nor­male qui l’a fait, donc nous aus­si on peut le faire. » Et par­ti­cu­liè­re­ment les filles. Avant que je parte, il y a huit ans, une amie m’avait dit qu’elle avait vu sur Internet qu’un gar­çon avait déjà entre­pris un tour du monde en stop. Je me suis deman­dé si j’allais y arri­ver en tant que femme et, en fait, je me suis dit que s’il l’avait fait, alors moi aus­si je pou­vais. Je crois qu’en France nous sommes plus libres que nous le pen­sons et qu’il faut juste réus­sir l’effort men­tal qui consiste à faire sau­ter les bar­rières qu’on se met pour ten­ter ce qui nous fait vibrer.

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