Collectif fran­çais contre le viol conju­gal : « Il faut décons­truire l’idée que dans un couple, le consen­te­ment est pré­su­mé d’office »

Lancé mi-​juillet, le Collectif fran­çais contre le viol conju­gal (CFCVC) entend sen­si­bi­li­ser la socié­té afin de faire du viol conju­gal, enfin, un enjeu de san­té publique et notam­ment de la lutte contre les vio­lences conju­gales. Entretien avec la fon­da­trice, Ludvilla Mallet et la coor­di­na­trice du col­lec­tif, Alma Menager-Flores. 

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©Collectif de col­lages fémi­nistes de Montreuil 

En France, la moi­tié des viols sont conju­gaux. Un crime bana­li­sé, peu média­ti­sé et encore moins conscien­ti­sé par notre socié­té. C’est l’amer constat dres­sé par les membres du Collectif fran­çais contre le viol conju­gal (CFCVC) dans une tri­bune publiée mer­cre­di dans Libération. Le col­lec­tif, lan­cé mi-​juillet, réclame un ensemble de mesures pour sen­si­bi­li­ser la socié­té, abo­lir défi­ni­ti­ve­ment la notion de « devoir conju­gal » dans les inter­pré­ta­tions de textes de loi et mieux accom­pa­gner les vic­times. Entretien avec la fon­da­trice Ludvilla Mallet, mili­tante fémi­niste et créa­trice du compte Instagram @dors_jemoccupedetout et Alma Menager-​Flores, coor­di­na­trice du CFCVC, à l'origine du #metoo­viol­con­ju­gal en sep­tembre 2022 avec l’association Main vio­lette Caen. 

Causette : Pourquoi avoir créé un col­lec­tif fémi­niste spé­cia­le­ment consa­cré au viol conju­gal ? 
Ludvilla Mallet :
Les viols conju­gaux, ce sont la moi­tié des viols en France. Et jusqu’à pré­sent, il n’existait rien pour les vic­times. On a vou­lu pal­lier ce manque, pour qu’il y ait au moins une chose. Si le sujet est abor­dé par une poi­gnée de médias à cer­tains moments ou par cer­taines mili­tantes fémi­nistes, aucun col­lec­tif ou asso­cia­tion n’avait encore trai­té le sujet plei­ne­ment. C’est impor­tant de trai­ter ce sujet spé­ci­fi­que­ment, car le viol conju­gal entre com­plè­te­ment dans le conti­nuum des vio­lences conju­gales. Énormément de vic­times de vio­lences phy­siques ont été vic­times de viols conju­gaux bien avant de rece­voir les pre­miers coups. En sen­si­bi­li­sant et en for­mant sur le sujet, on peut repé­rer ces vio­lences sexuelles et pro­té­ger les vic­times. Il faut faire évo­luer notre façon de pen­ser les vio­lences conju­gales.

A.M‑F. : En tant qu’ancienne vic­time de viol conju­gal, on est confron­tée au déni et à la com­plexi­té de ce type de trau­ma­tisme. C’est très com­pli­qué parce que l’amour se confond avec le trau­ma­tisme. Il y a aus­si une dépen­dance finan­cière dans cer­tains cas. On a vou­lu mettre en avant cette com­plexi­té qu’on a nous-​même vécue, qu’on a expé­ri­men­tée et qui n’est pas du tout abor­dée, que ce soit dans le milieu fémi­niste ou dans la recherche scientifique.

Dans votre tri­bune publiée sur le site de Libération, vous dites que beau­coup de vic­times témoignent avoir été for­cées par leur par­te­naire, mais ne posent pas le mot « viol » sur leur vécu. 
L.M. : Oui, les vic­times arrivent à dire qu’elles ont été for­cées par leur par­te­naire. Mais poser le mot viol, c'est quelque chose qui met sou­vent beau­coup de temps. L’amnésie trau­ma­tique est extrê­me­ment pré­sente. C’est pour cela qu’on met en avant la spé­ci­fi­ci­té du viol conju­gal. Très sou­vent, le viol conju­gal est réité­ré et les vic­times doivent conti­nuer à vivre avec leur agres­seur. Bon nombre d’entre eux admettent d’ailleurs for­cer leur par­te­naire, tout en se sen­tant légi­times pour le faire sous cou­vert de devoir conju­gal. Il y a aus­si la pres­sion psy­cho­lo­gique, la culpa­bi­li­sa­tion, l’insistance et l’emprise exer­cée par les agres­seurs sur les vic­times, mais aus­si la pré­sence des enfants et leur garde qui peut com­pli­quer la libé­ra­tion de la parole. Les vic­times se heurtent éga­le­ment bien sou­vent au fait que l'on juge cette agres­sion comme un « sous-​viol ». On se rend bien compte que la croyance de l’inconnu qui vous viole la nuit dans une ruelle sombre a tou­jours la peau dure. Il y a un énorme tra­vail à faire pour décons­truire l’idée que dans un couple, le consen­te­ment est pré­su­mé d’office. Notre corps nous appar­tient, peu importe que l’on soit mariée ou non. 

Il a fal­lu attendre 1990 pour voir le tout pre­mier viol conju­gal recon­nu par un juge en France et depuis la loi du 22 juillet 1992, le viol sur conjoint·e est même une cir­cons­tance aggra­vante, puni jusqu’à vingt ans de réclu­sion. Pourtant dans les faits, d’après le minis­tère de la Justice, 70 % des viols conju­gaux trai­tés en 2016 ont été clas­sés sans suite…
L.M. : On a consta­té dans les témoi­gnages reçus que pour de nom­breuses vic­times, ayant por­té plainte pour vio­lences conju­gales et viols conju­gaux, seule la plainte pour vio­lences a été rete­nue. Les plaintes pour viol conju­gal sont sou­vent clas­sées sans suite ou les faits sont requa­li­fiés en délit. En clair, si pour la loi le viol conju­gal est consi­dé­ré comme une cir­cons­tance aggra­vante, dans les faits ce n’est pas appli­qué comme tel. Raison pour laquelle nous deman­dons que tous les pro­fes­sion­nels en lien avec des vic­times soient for­més à cette thé­ma­tique et à sa spé­ci­fi­ci­té. On rap­pelle qu'ils repré­sentent la moi­tié des viols, c’est donc impor­tant d'avoir une for­ma­tion spé­ci­fique pour abor­der et expli­quer leur com­plexi­té. On demande aus­si que ce soit abor­dé dans les études supé­rieures de méde­cine ou de droit. 

A.M‑F. : Très peu d’affaires de viols conju­gaux ont abou­ti à des condam­na­tions, ce fut le cas lorsqu’il y a eu des sévices phy­siques. C’est aus­si pour cela qu’il est abso­lu­ment néces­saire que des recherches uni­ver­si­taires et scien­ti­fiques se fassent sur cette spé­ci­fi­ci­té et les trau­ma­tismes que cela engendre sur les vic­times. Il en existe à ce jour très peu. Il manque des don­nées pour mieux appré­hen­der ces vio­lences. On peut expli­quer cette absence par le fait que la socié­té semble faire comme si les viols conju­gaux n’existaient pas. 

Au cœur des vio­lences conju­gales, le viol reste donc l’un des der­niers tabous de la sphère du couple. La notion de « devoir conju­gal » existe tou­jours dans l’imaginaire col­lec­tif ?
A.M‑F. : Malheureusement, le devoir conju­gal n’est pas un mythe. Dans l’article 215 du Code civil [sur les devoirs et les droits res­pec­tifs des époux, ndlr], il n’y a rien sur ce sujet. La loi pré­voit que les époux « s’obligent mutuel­le­ment à une com­mu­nau­té de vie » mais il n’y a aucune réfé­rence à l’obligation d’avoir une « com­mu­nau­té de lit ». En revanche, c'est appli­qué dans le droit. Certains juges condamnent encore des hommes et des femmes qui ne « res­pec­te­raient » pas leur « devoir conju­gal », c’est-à-dire qui n’auraient pas de rela­tions sexuelles régu­lières avec leur conjoint·e. C’est donc très para­doxal : le devoir conju­gal n’existe pas dans la loi, mais concrè­te­ment, il est uti­li­sé dans les inter­pré­ta­tions de textes de loi. Moi, je pen­sais naï­ve­ment que c’était le droit qui était en retard sur la socié­té, mais c’est l’inverse en fait. 

L.M. : C’est pour­quoi on demande l’abolition défi­ni­tive du devoir conju­gal dans les inter­pré­ta­tions de textes de loi, afin qu’il ne puisse plus être uti­li­sé comme argu­ment de faute grave lors d’un divorce. On ne peut pas le reti­rer du Code civil puisqu’il n'y est pas ins­crit, mais on veut pré­ci­ser les textes exis­tants, de façon à l'abolir clai­re­ment. Pour l’instant, il règne un flou juri­dique qui donne beau­coup de liber­té aux juges.

Dans votre tri­bune, vous deman­dez aus­si que les asso­cia­tions fémi­nistes et d’accompagnement de vic­times de vio­lence puissent être for­mées à cette thé­ma­tique. Selon vous, les viols conju­gaux res­tent un angle mort ?
A.M‑F. : Totalement. D’un côté, on a reçu le sou­tien de beau­coup de fémi­nistes, mais en même temps, à titre per­son­nel, j’ai trou­vé qu’il y avait quand même un manque d’engouement. Ça confirme encore une fois le fait que le viol conju­gal est sous-​traité dans notre socié­té, y com­pris dans la sphère fémi­niste. 

L.M. : C’est un peu fou de se dire qu’en 2023, avant notre col­lec­tif, il n’existait pas d’association qui y soient consa­crées. Ça aurait dû exis­ter depuis bien longtemps. 

Quels sont vos pro­jets ? 
L.M. : D'abord se décla­rer en tant qu’association pour pou­voir mettre en place des groupes de parole, spé­cia­le­ment pour les vic­times de viols conju­gaux. En tant que vic­time, c’est impor­tant d’avoir un espace de parole à soi. Je l’ai vécu, très sou­vent, dans des groupes de parole de vic­times de viols, où je ne me sen­tais pas for­cé­ment à l’aise. C’est d’ailleurs très deman­dé dans les com­men­taires et les témoi­gnages que nous avons reçus depuis le lan­ce­ment du collectif. 

Pour signer la tri­bune du Collectif Français Contre le Viol Conjugal CFCVC, c'est par ici.

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