« Je sou­haite vous faire part d’une affaire judi­ciaire grave et scan­da­leuse » : la lettre ouverte de Sylvaine Grévin, après la mort de sa sœur vic­time de vio­lences conjugales

En 2020, Sylvaine Grévin crée la Fédération nationale des victimes de féminicides (FNVF). Trois avant, le 4 avril 2017, sa sœur Bénédicte Bélair, 55 ans, était retrouvée morte à son domicile de Pont-Sainte-Maxence (Oise). La première autopsie réalisée conclut à une chute accidentelle et la justice classe l'affaire. Mais Sylvaine Grévin est persuadée que la mort de sa sœur n'est pas accidentelle et qu'elle est consécutive à des violences conjugales. Après des années de combat, l’ex-conjoint de Bénédicte Belair a été mis en examen en janvier dernier pour violences volontaires par ex-concubin. Il a également été placé sous statut de témoin assisté pour le meurtre de Bénédicte et laissé libre sans mesure de sûreté. Scandalisée par les nombreux manquements que révèle cette affaire, Sylvaine Grévin s'adresse, aujourd'hui, aux ministres de l'Intérieur et de la Justice Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti.

"Je souhaite vous faire part d’une affaire judiciaire grave et scandaleuse qui illustre le dévoiement de certains membres de vos institutions respectives. Une affaire qui symbolise à elle seule le summum de la maltraitance institutionnelle. Cette affaire c’est celle de Bénédicte BELAIR et c’était MA SŒUR. Bénédicte était victime de violences conjugales depuis des années. Elle a suivi le parcours habituel des victimes, celui qu’on lui a indiqué : se rendre dans une gendarmerie de son quartier, déposer plainte, subir des examens médicaux pour constituer son dossier pénal et fuir.

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Sylvaine Grévin (©SG)

Tout commence dans les années 2000, Bénédicte rencontre un homme dont elle tombera amoureuse, quelques années à peine après le début de la relation, les violences commenceront. En 2009 elle se rend à l’hôpital de Creil dans l’Oise, on lui détecte un bras cassé par torsion. Son compagnon à la sortie d’un café ou il avait passé la soirée lui avait tordu le bras. L’UMJ rédigera un certificat médical initial descriptif des lésions (« bras cassé par torsion ») et une incapacité de 30 jours d’ITT. Ma sœur déposera plainte auprès de la gendarmerie nationale à Senlis dans l’Oise. Quelques temps plus tard la réponse judiciaire tombe, c’est un classement sans suite émis par le parquet de Senlis.

Bénédicte fuit le domicile pour se rendre en Bretagne. Elle quitte tout, son emploi, ses amis, sa vie. Faute d’avoir trouvé un emploi en province, elle retourne en région parisienne et investi ses ressources dans la création d’une entreprise de Diagnostic Immobilier. Malheureusement son ex-compagnon reprend contact avec elle et la relation reprend. Son conjoint exerçait un contrôle systématique à son encontre. Pourtant elle pensait maitriser la situation et le dissuader de toute violence, elle était totalement sous emprise. La société de Bénédicte fait faillite, elle change de travail. Là encore, la violence continue, ses collègues en son témoin : œil au beurre noir l’empêchant d’aller travailler. De multiples passages aux services des urgences de Senlis et Creil, de nombreux arrêts de travail égrènent son parcours.

Entre 2007 et 2011 elle déposera 5 plaintes auprès de la Gendarmerie nationale à la caserne de Senlis et Pont-Sainte-Maxence dont 3 pour agression et 2 pour tentative de vol et destruction de son véhicule dont elle nous indiquera qu’il s’agissait d’actes de vengeance. L’une de ces plaintes finira par aboutir à une condamnation de son ex-compagnon par le TJ de Senlis à 3 mois de prison avec sursis pour violences aggravées envers conjoint, 90 euros d’amende, 2 ans de mise à l’épreuve, aucune mesure d’éloignement du domicile n’ayant été prise à son encontre.

« Bénédicte tentait de vivre son quotidien comme tout le monde »

Bénédicte tentait de vivre son quotidien comme tout le monde, elle était devenue bénévole pour un groupe de musique en parallèle de son emploi. Mais là aussi son compagnon exige d’être avec elle alors qu’il n’était pas invité lors des concerts organisés pour ce groupe. Le contrôle coercitif encore… Le retour au domicile est cinglant : voiture fracassée contre un mur afin qu’elle ne puisse plus s’en servir, coups répétés. Puis Bénédicte perd son travail se replie sur elle-même, à l’occasion consomme de l’alcool, prend des anti dépresseurs, se laisse aller… Appelle quand elle en a le courage. Elle prend régulièrement des photographies d’elle-même le visage bleui, ses lunettes cassées, son corps tuméfié. Répète à ma mère : « N’appelle pas la gendarmerie autrement il me tuera, j’ai peur mais ça ne sert plus à rien de porter plainte ! »

Elle s’enfonce, jusqu’au jour où le 25 mars 2017 elle m’appelle, d’une voix chevrotante, elle m’explique tout : les violences quotidiennes, les humiliations, la séquestration, les coups répétés dans les côtes et dans le ventre sans raison, parfois quand elle dormait, sa chute au sol sur l’arrière de la tête la veille soir, sa peur viscérale de lui. Les menaces avec la carabine dont elle avait fait l’objet par le passé avec l’un de ses amis. Elle a peur… Je suis paniquée mais je prends la décision d’appeler les secours et leur explique la situation, j’indique la condamnation antérieure de son ex-compagnon. La gendarmerie de Pont-Sainte-Maxence arrive sur place, ils sont 2 gendarmes, l’un prend le visage de Bénédicte en photo, car elle est tuméfiée, son œil est abimé.Ils interrogent ma sœur en présence de son concubin. Elle indique avoir été frappée au visage, puis se rétracte tétanisée par la peur en expliquant qu’elle est tombée dans les escaliers. La maison est de plain-pied et ne comporte pas d’étage…

La caserne de Pont-Sainte-Maxence me contacte alors pour me demander de venir récupérer ma sœur à son domicile afin qu’elle dépose plainte… Je demande si le compagnon a été placé en GAV, on m’indique que vraisemblablement ce sera le cas. Je suis rassurée. J’appelle Bénédicte et lui indique que je vais passer la récupérer. Je sens qu’elle est inquiète, elle refuse de partir de chez elle. Je rappelle que son compagnon détenait une carabine. On reporte l’échéance au lendemain. Sans succès. J’apprendrais plus tard que le compagnon n’aura pas été inquiété, il a été laissé libre à son domicile en présence de Bénédicte en état de grande fragilité.

Circulez, y'a rien à voir!

La dernière fois que j’ai eu ma sœur au téléphone ce sera le 28 mars, jour de son anniversaire, ma famille et moi-même avons appelé les jours suivants l’agression implorant Bénédicte de porter plainte à nouveau. Nous étions totalement démunis, laissés pour comptE par les forces de l’ordre, qui n’ont pas pris la mesure de la gravité de la situation par complaisance vis-à-vis d’un homme pourtant condamné pour des faits de violences conjugales et pour détention et transport de stupéfiants.

Dix jours plus tard, le 04 avril 2017, Bénédicte était retrouvée sans vie à son domicile par ce même compagnon. L’ensemble de son corps présentait de multiples blessures : plusieurs fractures de côtes, une cinquantaine d’hématomes sur l’ensemble du corps tête, face, ventre, dos, bras et jambes, un hématome sous-dural au cerveau, des mutilations au niveau orbital. Là encore un classement sans suite intervient le 07 août 2017 soit 4 mois après le décès de Bénédicte !

L’enquête préliminaire menée par les deux gendarmes aujourd’hui visés par la justice a été systématiquement orientée vers une seule thèse, le postulat d’un accident basé sur une consommation d’alcool par ma sœur. Les investigations les plus élémentaires en matière d’enquête criminelle n’ont pas été mises en œuvre, une simple vérification succincte de l’emploi du temps du compagnon, un dossier médical non réquisitionné, des éléments de l’enquête détruits. Ma sœur n’a pas été entendue de son vivant, mais on tentera aussi de l’invisibiliser après sa mort.

Dès lors la mort de Bénédicte plongeait notre famille dans le néant absolu avec un parcours judiciaire jalonné de dysfonctionnements majeurs mettant en lumière l’incompétence des magistrats en charge du dossier et des forces de l’ordre. Il aura fallu se battre, avec mes conseils Maître MORICE et Célia CHAUFFRAY, nous avons déposé plainte avec constitution de partie civile, assigné l’état en dysfonctionnement du service public de la justice en 2020 pour que l’on prenne la mesure de l’étendue du désastre et des défaillances multiples de vos institutions respectives Messieurs les ministres.

Nous avons obtenu la condamnation de l’état pour faute lourde en 2021 sanctionnant les actes de destruction des scellés par le procureur en poste à l’époque, nous avons fait dessaisir une juge d’instruction par la chambre de l’instruction en 2022 dont la gestion catastrophique du dossier a contribué largement au traitement scandaleux initialisé dans cette affaire. Nous avons obtenu l’ouverture de deux enquêtes à l’encontre des OPJ de la gendarmerie nationale chargés de l’enquête préliminaire.

Aujourd’hui, 6 ans après les faits, l’ex-compagnon a été mis en examen pour violences aggravées entre 2015 et le 4 avril 2017 jour du décès de Bénédicte. Il est mis en cause dans le meurtre de Bénédicte mais placé sous le statut de témoin assisté. Cette décision est totalement scandaleuse et incompréhensible au vu des éléments du dossier, cela est encore une façon de protéger l’institution des défaillances et manquements gravissimes des magistrats chargés de l’enquête en 2017.

« L’affaire Bénédicte BELAIR est pourtant un cas d’école qui mériterait une analyse poussée »

Que dire des mutations « dans l’intérêt du service » qui consiste à laisser en poste par la voie de déplacement certains collaborateurs de la Gendarmerie nationale ou des magistrats manquant de probité sur d’autres unités ou juridictions. Ces pratiques m’apparaissent très préoccupantes. Pour preuve en 2021 l’officier de police judiciaire étant intervenu au domicile de ma sœur 10 jours avant son décès avait été condamné pour des faits de violences conjugales à l’encontre de sa compagne par le TJ de Beauvais en 2012, déplacé sur une autre unité de l’Oise, il sera à nouveau muté pour d’autres faits vers la caserne de Pont-Sainte-Maxence, où il continuera d’exercer sa carrière, puis promu OPJ par sa hiérarchie. Pire on lui confiera les investigations de l’enquête préliminaire menée après le décès de ma sœur. Nous apprendrons en 2022 que ce gendarme sera mis en examen en 2021 dans le cadre d’une autre affaire par le parquet de Senlis pour atteinte sur personne vulnérable. Des armes et des stupéfiants non autorisés seront retrouvés également à son domicile. Il finira par être radié de la gendarmerie en juin 2022.

Nous avons saisi l’IGGN en juin dernier avec mes conseils Maître MORICE et Célia CHAUFFRAY, la réponse qui a été faite à notre courrier est parfaitement inacceptable considérant que la justice s’intéressant aux protagonistes, il n’était pas fait droit à notre demande d’enquêter sur le fonctionnement de la caserne de Pont-Sainte-Maxence à l’époque des faits.

L’affaire Bénédicte BELAIR est pourtant un cas d’école qui mériterait une analyse poussée de vos institutions respectives pour comprendre comment de tels agissements et dysfonctionnements ont pu exister afin d’éviter la reproduction de ces dérives. Cela pose question aussi sur les modes de fonctionnement des uns et des autres. Selon le Canadian femicide observatory for justice and accountability, plusieurs pays occidentaux ont mis en place des comités d’examen des décès dus à la violence domestique qui examinent rétroactivement les cas de violences domestiques afin d’identifier des améliorations à effectuer dans leurs systèmes. Ces initiatives existent au niveau national en Australie, Canada, Etats unis et plus récemment au Portugal. Je sollicite dès lors une inspection par vos services généraux ainsi qu’une attention particulière portée à ce dossier.

Il est à rappeler que dernièrement un autre officier de l’Oise a été mis en examen pour des faits d’agression sexuelle sur de jeunes recrues puis détaché à la caserne de Noyon enfin muté « dans l’intérêt du service » à Pont-Sainte-Maxence. Un blâme a été décidé par votre ministère Mr DARMANIN, une unique sanction qui gèle sa carrière pendant 5 ans. Selon Le Courrier Picard il aurait été condamné par la justice en mai dernier à 7 mois de prison avec sursis pour agression sexuelle envers ses jeunes collègues des faits qu’il aurait commis entre 2021 et 2023. Le gendarme a fait appel de la décision.

À travers l’histoire de ma sœur ce sont toutes les victimes qui en ont assez d’être laissées pour compte, pas protégées, souvent méprisées, appauvries par des années de procédure, elles se battent avec courage contre des institutions qui ne les entendent pas ou si peu. Entre le vendredi 21 juillet et le samedi 23 juillet ce sont 3 femmes qui sont mortes des mains de leurs conjoints ou ex de façon effroyable. Au total nous dénombrons depuis le début de l’année 61 victimes de féminicides intimes. Le nombre d’orphelins de mère explose !

Nous devons repenser et refonder le système de prise en charge des victimes. Il ne s’agit pas de vagues communication mettant en exergue les bonnes pratiques des uns mais surtout les uniformiser au niveau national. Il existe trop d’inégalités de prise en charge des victimes par les forces de l’ordre ou les juridictions, Nous devons apporter des moyens conséquents pour qu’une réelle politique de prise en charge des victimes soit mise en œuvre à l’instar de l’Espagne. 1 Milliard serait nécessaire.

La prévention vis-à-vis des auteurs est fondamentale, pourtant les moyens alloués au CPCA ou au SPIP sont insuffisants. Vos institutions Messieurs les ministres ont un devoir d’exemplarité. Combien d’auteurs condamnés pourtant récidivistes ressortent sans véritable suivi, pour preuve récemment près d’Angers un homme condamné à 12 ans de prison pour tentative de féminicide a obtenu une autorisation de sortie, alors qu’il était pourtant considéré comme extrêmement dangereux selon le parquet de la juridiction concernée. Cet homme en 2 jours a fait 3 victimes ! Tout cela n’est plus supportable !

Dans l’espoir d’être entendue, je vous prie de croire Messieurs les ministres en l’expression de mes salutations les plus respectueuses.

Sylvaine BELAIR GREVIN
Présidente FNVF

LISTE DES SIGNATAIRES
Mme Ghada HATEM Médecin et Fondatrice Maison des femmes de Saint-Denis
Mme Isabelle SANTIAGO Députée
Mme Sabine SALMON Présidente Association Solidarité Femmes
Mme Andréa BESCOND Actrice et Réalisatrice
Mme Fatima Le GRIGUER-ATIG Psychologue coordinatrice USAP CHI R.Ballanger
Mme Isabelle MOTROT Directrice de la rédaction du Magazine CAUSETTE
Mme Pauline RONGIER Avocate à la cour de Paris
Mme Nathalie COUGNY Présidente Association Les Maltraitances Moi j’en parle
Mme Nathalie TOMASINI Avocate à la cour de Paris
Mr Noel AGOSSA Présidente Association AFVF
Mme Florence Elie Association ELIEN REBIRTH
Mme Diana OLSSON Fondatrice de ZENDIVISION Réalisatrice documentaires
Mme Lydie DRAME Journaliste
Mme Virginie PEYRE Conférencière
Maitre Myriam BENAYOUN Avocate à la cour de Toulouse
Mr Ousmane CISSOKO Conseiller Municipal Commune de BOUCHEMAINE
Mme Laurence AULNETTE Pédopsychiatre Centre Hospitalier St Malo
Mme Delphine HERROU Photographe
Mme Mélanie BODY Illustratrice
Mme Laetitzia CONSTANTINI Association Donne Di Corsica
Mr Arnaud GALLAIS Président Be BRAVE France
Mme Nathalie ZUCCO Présidente Association SAME 42 et famille de féminicide
Association les Foulées du Sourire
Mme Sandrine BURGHOFFER Militante féministe NOUS TOUTES
Mr Eric SAVIGNAC-Magdaliniuk 1er Conseiller FNVF
Mr Pascal GREVIN Trésorier FNVF
Mme Emmanuelle BLANCHIER Secrétaire FNVF
Mme Marie-Annick Kadeline Famille FNVF
Mme Patricia LEGRAND Famille FNVF
Mr Régis LEGRAND Famille FNVF
Mr Elie DAOUD Famille FNVF
Mme Nathalie ROBERT famille FNVF
Mme Marie-Laure RUBOD Famille FNVF
Mr Alain Suze Famille FNVF
Mme Chrystelle SUZE Famille FNVF
Mme Sylvie Bernard DERENSY Famille FNVF
Mme Alexandra HOSPITAL Famille FNVF
Mme Marina DIAS Famille FNVF

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