aerial view of city buildings during daytime
Vue aérienne d'une construction d'un stade au Qatar. ©Ben Koorengevel

Ramener la coupe à la rai­son : une cen­taine de bars prêts à boy­cot­ter la Coupe du monde 2022 au Qatar

Le site « Ramenez la coupe à la rai­son » recense les bars et res­tau­rants fran­çais qui ont fait le choix de zap­per la Coupe du monde de foot­ball au Qatar, qui débute dans moins d'un mois. 

Dans vingt-​six jours débu­te­ra la Coupe du monde de foot­ball au Qatar. Mais à la dif­fé­rence d’il y a quatre ans, cette fois, Thomas et ses copains ne regar­de­ront pas les matchs de l’équipe de France accou­dés au bar. Et pour cause, Thomas a fait le choix de boy­cot­ter la com­pé­ti­tion dont les matchs seront retrans­mis du 20 novembre au 18 décembre sur TF1 et beIN Sports. Il faut dire qu’avant même d’avoir eu lieu, l'événement spor­tif s’annonce d’ores et déjà comme un désastre humain et envi­ron­ne­men­tal. Pour rap­pel, selon une enquête du Guardian, 6 750 tra­vailleurs immi­grés sont morts sur les chan­tiers depuis l’attribution du mon­dial au Qatar en 2010 – le gou­ver­ne­ment qata­ri n’en recon­naît que trois.

Et pour ceux qui sur­vivent : salaire misé­rable, confis­ca­tion de pas­se­port, tra­vail sous 40 degrés sans limi­ta­tion d’horaires, menaces, insultes… l’ONG Amnesty International dénonce régu­liè­re­ment les condi­tions de tra­vail déplo­rables des mil­liers d'ouvriers du mon­dial. Sans comp­ter les pers­pec­tives éco­lo­giques désas­treuses : les émis­sions de gaz à effet de serre des huit stades cli­ma­ti­sés, construits au milieu du désert, s’annoncent phé­no­mé­nales. Idem pour les 160 avions-​navettes mis en place par le pays pour ache­mi­ner les supporteurs·euses toutes les dix minutes. 

Lire aus­si I Népal : les veuves de la coupe du monde

Après le temps long des révé­la­tions, vient celui des déci­sions. À quelques semaines du coup d'envoi, se pose le dilemme : doit-​on regar­der ou non les matchs du mon­dial ? À cette ques­tion, de nom­breuses muni­ci­pa­li­tés fran­çaises, à l’instar de Paris, Marseille, Bordeaux ou encore Nancy, ont déjà tran­ché : elles n'installeront pas de fan-​zones ni d’écrans géants. Dans le même temps, les appels au boy­cott se mul­ti­plient sur les réseaux sociaux. 

Un mou­ve­ment de contes­ta­tion qui a donc don­né une idée à Thomas. Avec quatre copains, ce tren­te­naire bor­de­lais, qui pré­fère res­ter ano­nyme, a lan­cé il y a trois semaines Ramenez la coupe à la rai­son, site inter­net recen­sant bars, res­tau­rants et lieux cultu­rels qui ont choi­si de zap­per la Coupe du monde. Mais Thomas insiste : l’objectif du site n’est pas d’appeler ouver­te­ment au boy­cott. « Nous vou­lons seule­ment mettre en avant la mino­ri­té de bars qui ne dif­fu­se­ront pas les matchs », appuie d'emblée le jeune homme auprès de Causette

« On en est rapi­de­ment venu à la conclu­sion que ça nous posait d’énormes sou­cis de conscience de suivre ces matchs. »

L’aventure a com­men­cé il y a deux mois envi­ron, autour d’un verre dans un bar lil­lois. « On s’est posé la ques­tion de savoir si on allait regar­der ou non la Coupe du monde avec tous les enjeux humains et envi­ron­ne­men­taux que cela implique, explique Thomas. On n’est pas ce qu’on peut appe­ler des afi­cio­na­dos du foot, ce qu’on aime sur­tout c’est l’ambiance, être ensemble autour d’un verre. On en est rapi­de­ment venu à la conclu­sion que ça nous posait quand même d’énormes sou­cis de conscience, de suivre ces matchs. » 

En dis­cu­tant, le groupe de copains tombe sur la pun­chline « Ramenez la coupe à la rai­son », uti­li­sée par l’ONG Amnesty International pour dénon­cer les vio­la­tions des droits humains par le Qatar, – et détour­née du Ramenez la coupe à la mai­son, tube du rap­peur Vegedream pen­dant la der­nière Coupe du monde. « On a contac­té Amnesty pour avoir l’autorisation de l’utiliser », indique Thomas. Avec l’accord de l’ONG, ils lancent leur site. « Voyant le nombre de jours se réduire jusqu’à l’événement, et le nombre d’ouvriers morts aug­men­ter aus­si vite que les degrés cel­sius, on a déci­dé d’agir », peut-​on lire sur la page d'accueil.

Pour l’instant, seuls treize éta­blis­se­ments sont recen­sés, à Paris, Lille, Toulouse et Marseille. « On fait ça béné­vo­le­ment à côté de notre tra­vail donc ça prend pas mal de temps », sou­ligne Thomas, ajou­tant qu’une cen­taine de bars sont actuel­le­ment dans les tuyaux, à Bordeaux et en Bretagne notam­ment. Pour les déni­cher, l’équipe fait une veille sur les réseaux sociaux mais reçoit aus­si de plus en plus de sol­li­ci­ta­tions des bars eux-mêmes. 

Prise de conscience 

Parmi eux, il y a des bars enga­gés qui reven­diquent depuis tou­jours une éthique et un posi­tion­ne­ment clair en faveur des droits humains et de l’environnement. Et puis des sur­prises. Comme le Social bar, tro­quet de Saint-​Ouen (Seine-​Saint-​Denis) répu­té pour ses soirs de match endia­blés et qui a pour­tant pris la déci­sion de tirer un trait sur la cen­taine de per­sonnes accueillies habi­tuel­le­ment. Alors com­ment expli­quer ce revi­re­ment ? « Je pense que ça vient sur­tout du fait que c'est la pre­mière fois qu’un évé­ne­ment spor­tif majeur sus­cite autant d’indignation, assure Thomas. Certains bars ont pris conscience qu'ils ne pou­vaient pas dif­fu­ser un match orga­ni­sé dans ces condi­tions. »  

Pour autant, Thomas et ses potes ne veulent pas « jeter la pierre » aux éta­blis­se­ments qui les dif­fu­se­ront. « On sait qu’un évé­ne­ment comme celui-​ci leur apporte énor­mé­ment de monde, il ne faut pas oublier que les bars sortent de deux années de Covid, je com­prends que ça soit un chiffre d’affaires non-​négligeable, sur­tout à une période de l’année où les ter­rasses se vident », tem­père Thomas avant d’enchaîner : « Je veux juste aider ceux qui vont se pri­ver de ce chiffre d’affaires, justement. »

« On sait que résis­ter à l’appel des amis les soirs de match peut être compliqué. »

Dans quelques semaines et tout au long du tour­nois, une nou­velle page vien­dra nour­rir le site Ramenez la coupe à la rai­son : les évé­ne­ments alter­na­tifs mis en place par les bars, res­tau­rants et lieux cultu­rels pour rem­pla­cer les soirs de match. « On sait que résis­ter à l’appel des amis les soirs de match peut être com­pli­qué, admet Thomas. Souvent, on n’a pas envie de cau­tion­ner l’événement mais on n’a pas envie d’être seul non plus, donc pou­voir se retrou­ver à plu­sieurs dans un bar ou un res­to qui pro­pose autre chose, c’est une bonne alternative. » 

Les quatre amis ont du pain sur la planche : mal­gré les polé­miques, 60 % des Français·es ont l’intention de regar­der le mon­dial, d’après un récent son­dage Harris Interactive pour RMC – soit dix points de plus qu’il y a quatre ans. Pour mesu­rer les audiences, rendez-​vous le soir du 22 novembre pro­chain où, pour son pre­mier match, la France affron­te­ra l’Australie.

Lire aus­si I Hubert Artus : « Je rêve de voir une Coupe du monde de foot dont les tour­nois fémi­nins et mas­cu­lins se dis­putent les mêmes jours »

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