Le site « Ramenez la coupe à la raison » recense les bars et restaurants français qui ont fait le choix de zapper la Coupe du monde de football au Qatar, qui débute dans moins d'un mois.
Dans vingt-six jours débutera la Coupe du monde de football au Qatar. Mais à la différence d’il y a quatre ans, cette fois, Thomas et ses copains ne regarderont pas les matchs de l’équipe de France accoudés au bar. Et pour cause, Thomas a fait le choix de boycotter la compétition dont les matchs seront retransmis du 20 novembre au 18 décembre sur TF1 et beIN Sports. Il faut dire qu’avant même d’avoir eu lieu, l'événement sportif s’annonce d’ores et déjà comme un désastre humain et environnemental. Pour rappel, selon une enquête du Guardian, 6 750 travailleurs immigrés sont morts sur les chantiers depuis l’attribution du mondial au Qatar en 2010 – le gouvernement qatari n’en reconnaît que trois.
Et pour ceux qui survivent : salaire misérable, confiscation de passeport, travail sous 40 degrés sans limitation d’horaires, menaces, insultes… l’ONG Amnesty International dénonce régulièrement les conditions de travail déplorables des milliers d'ouvriers du mondial. Sans compter les perspectives écologiques désastreuses : les émissions de gaz à effet de serre des huit stades climatisés, construits au milieu du désert, s’annoncent phénoménales. Idem pour les 160 avions-navettes mis en place par le pays pour acheminer les supporteurs·euses toutes les dix minutes.
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Après le temps long des révélations, vient celui des décisions. À quelques semaines du coup d'envoi, se pose le dilemme : doit-on regarder ou non les matchs du mondial ? À cette question, de nombreuses municipalités françaises, à l’instar de Paris, Marseille, Bordeaux ou encore Nancy, ont déjà tranché : elles n'installeront pas de fan-zones ni d’écrans géants. Dans le même temps, les appels au boycott se multiplient sur les réseaux sociaux.
Un mouvement de contestation qui a donc donné une idée à Thomas. Avec quatre copains, ce trentenaire bordelais, qui préfère rester anonyme, a lancé il y a trois semaines Ramenez la coupe à la raison, site internet recensant bars, restaurants et lieux culturels qui ont choisi de zapper la Coupe du monde. Mais Thomas insiste : l’objectif du site n’est pas d’appeler ouvertement au boycott. « Nous voulons seulement mettre en avant la minorité de bars qui ne diffuseront pas les matchs », appuie d'emblée le jeune homme auprès de Causette.
« On en est rapidement venu à la conclusion que ça nous posait d’énormes soucis de conscience de suivre ces matchs. »
L’aventure a commencé il y a deux mois environ, autour d’un verre dans un bar lillois. « On s’est posé la question de savoir si on allait regarder ou non la Coupe du monde avec tous les enjeux humains et environnementaux que cela implique, explique Thomas. On n’est pas ce qu’on peut appeler des aficionados du foot, ce qu’on aime surtout c’est l’ambiance, être ensemble autour d’un verre. On en est rapidement venu à la conclusion que ça nous posait quand même d’énormes soucis de conscience, de suivre ces matchs. »
En discutant, le groupe de copains tombe sur la punchline « Ramenez la coupe à la raison », utilisée par l’ONG Amnesty International pour dénoncer les violations des droits humains par le Qatar, – et détournée du Ramenez la coupe à la maison, tube du rappeur Vegedream pendant la dernière Coupe du monde. « On a contacté Amnesty pour avoir l’autorisation de l’utiliser », indique Thomas. Avec l’accord de l’ONG, ils lancent leur site. « Voyant le nombre de jours se réduire jusqu’à l’événement, et le nombre d’ouvriers morts augmenter aussi vite que les degrés celsius, on a décidé d’agir », peut-on lire sur la page d'accueil.
Pour l’instant, seuls treize établissements sont recensés, à Paris, Lille, Toulouse et Marseille. « On fait ça bénévolement à côté de notre travail donc ça prend pas mal de temps », souligne Thomas, ajoutant qu’une centaine de bars sont actuellement dans les tuyaux, à Bordeaux et en Bretagne notamment. Pour les dénicher, l’équipe fait une veille sur les réseaux sociaux mais reçoit aussi de plus en plus de sollicitations des bars eux-mêmes.
Prise de conscience
Parmi eux, il y a des bars engagés qui revendiquent depuis toujours une éthique et un positionnement clair en faveur des droits humains et de l’environnement. Et puis des surprises. Comme le Social bar, troquet de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) réputé pour ses soirs de match endiablés et qui a pourtant pris la décision de tirer un trait sur la centaine de personnes accueillies habituellement. Alors comment expliquer ce revirement ? « Je pense que ça vient surtout du fait que c'est la première fois qu’un événement sportif majeur suscite autant d’indignation, assure Thomas. Certains bars ont pris conscience qu'ils ne pouvaient pas diffuser un match organisé dans ces conditions. »
Pour autant, Thomas et ses potes ne veulent pas « jeter la pierre » aux établissements qui les diffuseront. « On sait qu’un événement comme celui-ci leur apporte énormément de monde, il ne faut pas oublier que les bars sortent de deux années de Covid, je comprends que ça soit un chiffre d’affaires non-négligeable, surtout à une période de l’année où les terrasses se vident », tempère Thomas avant d’enchaîner : « Je veux juste aider ceux qui vont se priver de ce chiffre d’affaires, justement. »
« On sait que résister à l’appel des amis les soirs de match peut être compliqué. »
Dans quelques semaines et tout au long du tournois, une nouvelle page viendra nourrir le site Ramenez la coupe à la raison : les événements alternatifs mis en place par les bars, restaurants et lieux culturels pour remplacer les soirs de match. « On sait que résister à l’appel des amis les soirs de match peut être compliqué, admet Thomas. Souvent, on n’a pas envie de cautionner l’événement mais on n’a pas envie d’être seul non plus, donc pouvoir se retrouver à plusieurs dans un bar ou un resto qui propose autre chose, c’est une bonne alternative. »
Les quatre amis ont du pain sur la planche : malgré les polémiques, 60 % des Français·es ont l’intention de regarder le mondial, d’après un récent sondage Harris Interactive pour RMC – soit dix points de plus qu’il y a quatre ans. Pour mesurer les audiences, rendez-vous le soir du 22 novembre prochain où, pour son premier match, la France affrontera l’Australie.