Gratis, locales et bio : en matière d’aliment ou de remède écolo, dur de faire mieux que les plantes sauvages. C’est pour ça que l’on voit fleurir les ateliers de cueillette amateurs. Causette a suivi celui d’Isabelle Desfleurs, dans le bois de Vincennes.
Avec le blond vénitien qui lui coule dans le dos et son look d’aventurière, on dirait une druidesse celte. Devant la dizaine de participant·es qu’elle guide aujourd’hui dans le bois de Vincennes (Île-de-France), Isabelle Desfleurs sourit : « L’anagramme de mon prénom, ça donne “abeilles”. Et moi, ce que je veux, c’est justement vous apprendre à butiner. » L’image résume sa philosophie : à la manière des insectes, on peut soi-même puiser dans la nature pour se nourrir, mais toujours avec parcimonie. « Ne pas tout prélever au même endroit, précise-t-elle d’emblée, pour permettre aux écosystèmes de se reproduire. » Voilà l’une des premières leçons de l’atelier « cueillette de plantes sauvages », qu’elle propose quasi chaque week-end depuis un an, aux abords de Paris. Un après-midi de balade collective pour apprendre à reconnaître, cueillir et cuisiner les plantes sauvages qui font du bien.
Depuis quelques années, à l’aune de publications comme Plaidoyer pour l’herboristerie, de Thierry Thévenin (éd. Actes Sud, 2013), le concept est en plein développement. On en trouve de plus en plus dans nos forêts (on vous en proposait un près de Metz avec l’asso Le Goût des herbes folles, dans notre dossier Corovacances du n° 112 !). À tel point que le festival Agir pour le vivant, creuset de réflexion écolo, dont la première édition est organisée fin août à Arles, a fait de l’herboristerie maison l’un de ses principaux axes de réflexion.
À moins de 100 mètres du parking du parc floral, Isabelle Desfleurs plante le groupe devant un tilleul. À l’auditoire assis en rond, elle explique les bases du concept : « C’est une manière de manger local, bio, non transformée et gratuit. Et puis, attendre six mois pour cueillir tel bourgeon ou telle graine, ça permet aussi de se reconnecter au rythme des saisons. » La démarche a aussi quelque chose de féministe. « Il s’agit aussi de se réapproprier les savoirs d’antan ». Une partie de l’héritage des sorcières, transmis de mères en filles, longtemps méprisé. Surtout depuis 1941, lorsque le régime vichyste a interdit quasi toute activité d’herboristerie hors des pharmacies.
Reconnaissance herbale
![Cueillettes sauvages pour herboristes en herbe 2 DSC05616](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/07/DSC05616-680x1024.jpg?_t=1594309446)
© A. V.
Pour s’y adonner, il faut s’en remettre à nos cinq sens et à une connaissance ultra-précise des herbes. C’est la leçon numéro deux. Tout le petit groupe a déjà reconnu le tilleul grâce à son odeur. Mais, en théorie, il faut aussi le démontrer par la vue et le toucher. La guide enseigne les signes distinctifs à repérer. Entre autres, des « petites touffes de poils près des nervures des feuilles ». Quant à la texture, rien de plus efficace que se caresser les joues ou les lèvres (parties très sensibles) avec, pour en ressentir toute la nuance. La feuille doit être « rugueuse d’un côté, douce de l’autre ». C’est bon : « Vous pouvez la manger, c’est plein de protéines ! » Ce soir, on dégustera les feuilles en salade, suivies d’une tisane aux bourgeons de fleurs de tilleul. Tout ça librement prélevé.
L’opération a duré une bonne demi-heure. Et cette lenteur est fondamentale. Pour s’engager dans des cueillettes perso, il faut prendre le temps « d’être certain à 100 % de reconnaître la plante. Pas 99 % hein, 100 % ». Autres règles de base, « ne jamais rien cueillir en dessous du genou, rien près des cours d’eau, d’un cimetière ou de friches industrielles ». Même Isabelle, qui reconnaît 200 variétés de plantes et écume le bois trois fois par semaine pour faire son marché, se censure souvent. Sa boussole : le livre Reconnaître facilement les plantes (éd. Delachaux et Niestlé, 2003), de l’ethnobotaniste François Couplan. « Méfiez-vous des applis », prévient-elle, quand on l’interroge sur PlantNet, la plus populaire des plateformes de reconnaissance de plantes, à laquelle chacun·e peut contribuer. « Les fiches sont censées être vérifiées par des botanistes, mais on ne sait pas quand ni comment c’est fait. Les infos des internautes peuvent induire en erreur. Et on risque parfois gros. »
« Il n’y a pas de mauvaise herbe »
Un sentier passé, en pleine forêt cette fois, la botaniste s’arrête devant un coin de grandes tiges sèches. On dirait un mini champ brûlé. Déconcertée, l’assemblée porte son regard vers les arbres verts, derrière. Mais Isabelle se penche bel et bien sur les herbes calcinées. « Voyez en haut des tiges, il y a comme des capsules emplies de graines noires. » De très près, ça ressemble en effet à haricot extrêmement fin. Une fois, le processus d’observation dûment mené par Isabelle (trente bonnes minutes, on a dit), la plante équeutée, vient le temps du goûter.
![Cueillettes sauvages pour herboristes en herbe 3 DSC05639](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/07/DSC05639-1024x680.jpg)
Les graines craquent sous les dents. Grosse surprise : leur taille d’une mine de crayon ne les empêche pas d’enflammer la bouche. « Du wasabi ! » s’emporte un herboriste en herbe, « de la moutarde », tente une autre. « De l’alliaire », corrige Isabelle. Ou plus précisément, du silique (le fruit sec d’une plante) d’alliaire. « Pour vous donner une idée, en anglais, ça se dit “garlic-mustard” [“ail-moutarde”, ndlr], donc oui, ça dépote ! » Ces herbes décrépies en bord de chemin, on les aurait pourtant rasées sans concession. Leçon numéro trois : « C’est pour vous apprendre qu’il n’y a pas de mauvaise herbe. » Les graines d’alliaire finiront en guise de relevant sur de la betterave dans notre salade de tilleul. Une fois qu’on les connaît, chaque plante est un trésor.
Traverser la rue et trouver de l’origan
Et des trésors, il y en a partout. C’est la leçon numéro quatre de l’atelier. Sorti du coin à épices qui vient de lui être révélé, le groupe se retrouve sur une étendue d’herbe parsemée d’estivants en plein pique-nique. Pas vraiment sauvage, comme paysage. À quelques pas d’une famille qui fête un anniversaire, Isabelle s’assied près de jolies fleurs violettes, en plein cagnard. On regarde, on touche, on étudie. Puis on goûte. Cette fois, les minifeuilles ont le goût de menthe mélangé au thym. On dirait le Sud. Et pour preuve : « C’est de l’origan », révèle la guide. « C’est pas possible, rétorque une participante, j’en ai plein dans mon jardin à Pantin [Seine-Saint-Denis] et je ne le savais même pas. » La dernière plante présentée enfoncera le clou.
De retour au parking du parc floral, c’est carrément sur le trottoir, aux pieds d’un arbre cerclé de béton, qu’Isabelle dégotte du millepertuis. Ses magnifiques fleurs jaunes ne se mangent pas, mais peuvent se transformer en baumes apaisants, réputés efficaces pour calmer les douleurs de nerfs. De cette expérience, on réalise que la biodiversité ne se trouve pas que dans les forêts vosgiennes ou les aires protégées des Alpes. Il en existe aussi en ville, ou à leurs abords. Cette biodiversité « tempère les îlots de chaleur, participe à la dépollution de l’air et de l’eau et à la détoxification des sols », rappelle le réseau Sauvages de ma rue, qui milite justement pour permettre aux citadin·es de mieux connaître les plantes au bas de chez eux. Une manière, là aussi, de se rapprocher de la nature et de cultiver les savoirs des herboristes d’antan. N’en déplaise à Macron, ça n’est pas vrai pour le travail, mais c’est le cas pour l’origan : il suffit parfois de traverser la rue pour en trouver, tant que l’on est bien guidé·es.