Témoignage d'Heidy Gordillo, professionnelle de l’éducation, à Bogota.
« L’une des choses qui m’a frappée pendant cette quarantaine, c’est la façon dont certains mouvements sociaux se sont organisés pour chercher et créer de nouveaux réseaux d’entraide. Par exemple en renforçant les projets de potagers urbains, les distributions alimentaires et les repas communautaires dans les zones où les drapeaux rouges ont été hissés [accrochés à une fenêtre ou un balcon, ils signifient qu’un foyer manque de nourriture, ndlr].
Mais j’ai aussi été marquée par le manque de communication des universitaires de gauche à l’égard de ceux qui subissent dans leur chair les conséquences de ce confinement. Ce qui a généré, comme souvent, un manque d’unité dans l’action. D’un côté, les mouvements populaires, qui sont nés dans les communautés les plus affectées par cette crise, se sont emparés des rues pour protester face à l’abandon de l’État et à l’insécurité alimentaire. Et de l’autre, les groupes de gauche les plus privilégiés, dont les universitaires, ont estimé que ces actions servaient les intérêts de la droite colombienne [car certaines manifestations ont viré à l’émeute]. Selon eux, il valait mieux respecter un isolement strict, d’autant que les risques de décéder du Covid-19 sont plus importants dans les classes sociales les plus modestes.
Une fois la quarantaine terminée, je pense que les organisations communautaires, les projets d’indépendance alimentaire et les pratiques d’autogestion vont se renforcer dans certains secteurs. Mais les inégalités sociales vont être encore plus criantes qu’avant, et la crise financière va être si forte qu’il nous faudra beaucoup de temps pour nous en remettre. »