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© Lokz Phoenix pour Causette

Série d’été « familles » 2/​8 : « Pendant des années, la mytho­lo­gie fami­liale contait que mon aïeul avait été vic­time d’une injus­tice qui l’avait conduit au bagne de Cayenne »

La famille. Celle qu'on subit, celle qu'on chérit, celle qui se brise ou celle qu'on rafistole. Tout au long de l'été, chaque vendredi, Causette plonge au cœur de vos récits de lignées et d'hérédités. Dans notre deuxième épisode, Isabelle, 55 ans, raconte comment s’est construit autour de la figure de son arrière arrière grand-père un mythe familial plus agréable que la vérité.

"Mon grand-père Octave me racontait souvent, plus jeune, l’histoire de son père, baptisé Octave lui aussi. Il avait vécu une enfance difficile car il avait été abandonné à l’âge de sept ans par son père, Jules, envoyé casser des cailloux au bagne de Cayenne en Guyane et jamais rentré en métropole à sa libération. Nous, ses petits-enfants, on le submergeait de questions pour essayer d’en savoir plus sur cet ancêtre bagnard et comment son fils avait pu se retrouver seul avec sa mère du jour au lendemain. Les réponses étaient toujours floues. La seule information crédible qu’on avait sur le pourquoi de sa condamnation, c’est qu’elle était particulièrement injuste. Il nous contait toujours cette histoire avec colère et amertume : Jules était innocent et avait payé pour un autre. 

Jules Siroy, métayer dans une ferme des Deux-Sèvres avait été trahi par le propriétaire terrien pour lequel il travaillait. Mon grand-père racontait que Jules avait été accusé d’avoir vendu des taureaux reproducteurs à un acheteur d’un pays d’Amérique du sud alors que c’était apparemment interdit à l’époque. Le propriétaire en question, qui était en fait le véritable auteur de cette vente, avait nié sa participation et avait fait porter le chapeau à Jules. Lors de son procès, ce dernier fut condamné au bagne et dû quitter son fils et sa femme. L’histoire de mon grand-père se concluait toujours par quelques larmes pour son père, devenu orphelin de fait à sept ans. Contraint d’être ensuite placé dans des fermes pour gagner sa pitance, il fut petit à petit abandonné de sa famille. De surcroît à l’injustice de la condamnation au bagne d’un ancêtre innocent, s’ajoute donc les conséquences terribles pour son enfant, livré en bas-âge aux rudesses de l’existence et n’ayant plus de figure paternelle pour se construire.

Stupeur dans les archives

Mon grand-père est décédé le 22 avril 2017, emportant avec lui les derniers souvenirs de cette histoire. Enfin, c’est ce que nous pensions. Quelques mois après son décès, un article paraît dans La Nouvelle république et intrigue mon oncle. Tout au long de l’été 2017, le journaliste Olivier Goudeau ressortait des archives judiciaires des Deux-Sèvres, de vieilles affaires qu’il trouvait rocambolesques afin d’en écrire des chroniques. C’est ainsi qu’il s'intéressa plus particulièrement à l’affaire de Jules Siroy.  Notre patronyme étant peu répandu, un article qui raconte l’histoire d’un Jules Siroy, on le lit. Et c’est ainsi que l’on découvre avec stupéfaction la vérité sur les raisons de la condamnation de notre bagnard.

Dès les premières lignes, nous tombons de notre chaise. On apprend que notre arrière arrière grand-père avait, avant le procès qui le conduisit au bagne, déjà été condamné pour vol, à 21 ans. Mais c’est la suite qui se relève être encore plus rocambolesque. Jules fils d’une fille-mère était marié avec Madeleine Giraudon, une jeune femme dont le père adoptif, Pierre Giraudon, 82 ans, était très malade. Pierre passe ses journées au lit et vit de la vente de ses modestes biens. Les jeunes époux vivent au départ sous son toit. Et très vite, Jules, avide, lorgne sur le petit pécule de son beau-père. Une nuit, il tente de lui dérober 100 francs. Le vieux s’en rend compte mais ne porte pas plainte. Il réclame simplement que Jules et Madeleine quittent la maison. Le couple part s’installer en 1893 un peu plus loin dans une maison que Pierre leur prête. Mais Jules ne compte pas en rester là. Le jeune homme a envie d’hériter, et plus vite que prévu. Plutôt culotté, il demande même à la petite fille de Pierre, Pauline, de lui acheter de la mort aux rats pour empoisonner le vieil homme. L’adolescente de 16 ans, loyale, refuse catégoriquement. 

Tentative d’empoisonnement à l’allumette

Jules fera donc avec ce qu’il a sous la main. Dans la cuisine des Siroy, il râpe le soufre d’allumettes et le mélange avec de la soupe. Pauline, en visite, le surprend et lui demande quelles sont ses intentions. Jules lui répond “c’est pour faire prendre à ton grand-père” et Pauline choisit de se taire, on ne saurait jamais pourquoi. Le lendemain, Jules va porter le breuvage à Pierre. Celui-ci se met à boire et immédiatement, recrache. « Ça m’empoisonne la goule », lâche-il selon le dossier de procédure consulté par le journaliste. Pauline comprend qu’il s’agit de la soupe qu’elle a vu être préparée par Jules la veille. L’adolescente dénonce Jules le lendemain. Il est arrêté par la police et reconnaît les faits sans prendre apparemment conscience de la gravité de ce qu’il a fait. Il tentera même d’incriminer Pauline. Le 21 mars 1893, il est reconnu coupable de tentative d’empoisonnement et est envoyé dans l’enfer du bagne de Cayenne pour six ans. On apprend dans cet article que s’il a survécu, il n’est jamais rentré en métropole. 

En découvrant la vérité sur l’histoire de Jules, j’ai explosé de rire. C’était cocasse de se dire qu’on a dans notre famille un ancêtre qui a voulu transgresser la loi, et le bagne restait cher payé pour une tentative d’assassinat avortée. Par contre, lorsqu’on l'a raconté à ma grand-mère, qui n’était d’ailleurs Siroy que par alliance, elle n’a pas franchement rigolé. C’est peut-être le plus surprenant dans cette histoire : elle ne nous a pas crus et n’a d'ailleurs jamais voulu lire l’article. Jusqu’à son décès, à plus de 99 ans en janvier dernier, elle est restée convaincue que nous avions tort et que Jules avait été injustement envoyé au bagne pour une histoire de taureaux vendus. Elle n’a jamais voulu entendre parler des recherches entreprises par mon oncle, après la découverte de l’article, aux archives du bagne. Il y a appris que notre aïeul était un détenu plutôt ordinaire et assez tranquille pour être libéré à la fin de sa condamnation. En revanche, on ne sait pas ensuite ce qu’il a pu devenir. Nous ne savons pas non plus ce qu’est devenue sa femme Madeleine hormis qu’elle a trainé de fermes en fermes pour gagner sa vie. 

Sur les traces d'une possible descendance

Aujourd’hui, je ne sais pas si mon grand-père connaissait la vérité sur la condamnation de Jules. Par contre, il est vrai qu’on a toujours eu un rapport complexe à l’héritage dans ma famille. Nos grands-parents disaient : « Vous n’aurez pas d’héritage, l’héritage c’est nul ». A la lumière de l’histoire de Jules, je comprends mieux cette relation conflictuelle à l’argent, qu’ils aient fait le lien eux-mêmes ou pas. 

Avec mon oncle, nous nous sommes également posé des questions sur la descendance de Jules après son passage au bagne de Cayenne. Je me suis souvenue dernièrement qu’il y a vingt ans, un homme a contacté mon grand-père. Il s’appelait Siroy aussi et cherchait à retrouver tous les Siroy de France. Ce monsieur qui venait des Antilles a été très déçu en rencontrant mes grands-parents car en France, il ne rencontrait que des Siroy blancs. J’ai tenté de le recontacter il y a une dizaine d’années mais il avait semble-t-il abandonné ses recherches. Avait-il trouvé la vérité ? Je n’en sais rien.

Nous avons depuis découvert qu’il existe une forte communauté de Siroy aux Antilles et aux Philippines. Sont-ils les descendants de Jules qui se serait installé là-bas ? Nous n’avons pour le moment pas entrepris de recherches approfondies de ce côté mais ça me titille toujours et ça m'intéresserait de savoir. Par contre, il existe une autre famille Siroy, qui vit à une trentaine de kilomètres de chez nous. Sont-ils des cousins ? Ont-ils une autre version de l’histoire de Jules ? Nous avons tenté plusieurs prises de contact mais ils n’ont pour l’instant jamais répondu.

La construction d'un mythe familial

Au final, je ne sais pas non plus comment s’est construite cette fausse histoire de taureaux. Peut-être que mon arrière-grand-père, le fils de Jules, honteux que son père était un criminel a-t-il brodé au fil du temps un récit plus acceptable, dans lequel son père n’était pas un vil criminel mais une victime du système d’alors. Mais je doute qu’il ait su la vérité. Il a en tout cas tenté de vivre sa vie de la manière la plus droite possible après la condamnation de son père : ancien combattant pendant la première guerre mondiale, il a été décoré de la croix de guerre. Mon grand-père lui-même a eu par la suite la médaille du mérite. Moi, en tant que parent d’élèves, j’ai reçu par la suite les Palmes académiques. 

Avoir un ancêtre bagnard ne m’a jamais gênée. Peut-être que ça a même, d’une certaine façon, poussé les générations successives - moi, mon grand-père et mon arrière-grand-père - à ne pas vivre en marge de la société. L’histoire de Jules était en fait un demi secret de famille. Son existence était connue, même si quelqu’un, à un moment incertain de la transmission du récit, avait travesti la vérité en omettant qu’il était coupable. C’était sans doute impossible quand on grimpe l’échelle sociale par le mérite et le travail, de se dire qu’un ancêtre avait transgressé la loi du mérite. Il a donc fallu réécrire le mythe de cet aïeul peu recommandable. Nous n’aurons peut-être jamais la fin de cette histoire mais en même temps, ça ne me dérange pas, ça nous permet d’imaginer pleins de choses."

Lire aussi : Série d’été « familles », 1/8 : « Je suis née pour remplacer une petite fille qui n’existait plus »

Lire aussi : Série d’été « familles », 3/8 : Gina Lollobrigida et les croqueurs de diamants

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