En avril, ne te découvre pas d’un fil. Et pourtant, je suis là, nue comme un ver, jambes écartées, les pieds dans les étriers et les seins à l’air, face à ma gynécologue qui me pénètre avec son affreux spéculum tout en me demandant gentiment si ce n’est pas trop froid. Je supporte, courageuse, l’épreuve du frottis qui farfouille mes entrailles et celle de la main gantée qui palpe mes ovaires. Puis je commence à me détendre sous les dix doigts experts qui me malaxent les deux seins, quand je la vois. La grimace. Fugace.
« Vous avez senti quelque chose ? » J’ose demander d’une voix incertaine. Et au lieu de répondre comme ça me ferait tellement plaisir « Poisson d’avril ! » en me tapant sur la cuisse, elle fait la moue, tergiverse : « Je ne suis pas certaine. Je ne trouve plus. Sûrement rien du tout… »
Moi, je la sens bien l’odeur âcre qui monte de mes aisselles. La trouille.
Je descends de la chaise électrique, les jambes en coton, je parle de tout, de rien, je nous étourdis de banalités le temps de l’ordonnance, de la carte Vitale, du chèque, mais la traîtresse revient à l’attaque : « Je sais qu’on a fait une mammographie l’an dernier, mais ce serait bien d’y retourner. Pour vérifier… »
En sortant, je prends le premier rendez-vous disponible pour aller passer mes seins au détecteur de boulettes. Dans trois jours. D’enfer. Et aussi trois très longues nuits où je me fais mon festival du cinéma.
Le matin fatidique, je suis devant l’énorme machine qui va m’irradier, les seins peu radieux, cherchant à se rétracter. Le gauche s’échappe des mains de la manipulatrice qui n’arrive pas à le coincer entre les deux plaques de Plexiglas glaciales. J’ai l’épaule trop haute, le menton trop bas, le buste pas assez incliné, le bras trop ballant. Le droit est plus docile, il se laisse écraser sans couiner, je me dis que si elle continue à l’aplatir, elle va me l’arracher. « Ne respirez plus. Irradiation. Respirez. » Et puis elle me laisse là, longtemps, une éternité, à côté d’une pauvre chaise où gît mon soutien-gorge vide, comme un signe. Je fais le grand huit avec mes émotions.
Quand elle revient pour me dire que le radiologue veut me voir, j’ai une soudaine envie de faire caca, mais je serre héroïquement les fesses, remets mes seins à l’abri et pars bravement à la rencontre d’un monsieur tout bronzé, les rayons sûrement, et très souriant. Trop.
Il m’accueille dans une pièce sombre, se plante d’un air savant devant des clichés de poitrines en gros plan sur le mur lumineux, puis m’annonce, d’un air bonhomme, accompagné d’un petit rire suffisant qui renvoie mes angoisses à des broutilles d’hystérique : « Ce n’est pas la peine de faire cette tête, ma petite dame, ils sont parfaits ! Et s’ils sont aussi beaux au-dehors qu’au-dedans, c’est votre mari qui doit être heureux ! »
J’en reste les seins comme deux ronds de flan. Et la langue dans la poche. Polie et souriante devant la face rayonnante et insouciante du mammographe mâle dominant qui ne se doute même pas de l’examen bien profond que je fais subir à sa prostate, dans mon très très for intérieur.