ÉDITO. « On constate que les cadres familiaux et éducatifs ont explosé. Une immense majorité des personnes interpellées vient de familles monoparentales ou de l'Aide sociale à l'enfance. Cela montre que le chantier de la famille est essentiel. » Dans son interview au journal Le Point, Emmanuel Macron a une fois de plus pointé du doigt les familles monoparentales et leur supposée responsabilité dans les émeutes qui ont émaillé la première année de son deuxième quinquennat.
Dans cet entretien fleuve, le président de la République semble faire la sourde oreille à la colère et à la lassitude d'une grande partie de la population au moment des émeutes. Surtout, il semble en oublier l'origine. À savoir : une violence policière ayant conduit à la mort du jeune Nahel. Lui n'y voit qu'un « immense déferlement de violence » et une « volonté de vengeance contre les forces de police, l'État, et tout ce qu'il représentait ».
Plutôt que questionner une violence systémique, ou a minima, de reconnaître cette violence policière-là, le Président préfère désigner des coupables tou·tes trouvé·es : les familles monoparentales et l'Aide sociale à l'enfance (ASE). En juillet, lors d'une interview télévisée, le chef de l'État avait déjà pointé du doigt ces jeunes « qui, pour une écrasante majorité, ont un cadre familial qui est fragilisé, soit parce qu’ils sont dans des familles monoparentales – ils sont élevés par un seul de leurs parents – soit parce qu’ils sont à l’Aide sociale à l’enfance », avant d'appeler à « un retour de l’autorité à chaque niveau, et d’abord dans la famille ».
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La France compte 1,5 millions de familles monoparentales. Et clairement, ces dernières ne méritent pas de se voir une nouvelle fois caricaturées. Parce qu'il n'y a qu'un·e seul parent·e – qui est une femme, dans 80% des cas –, il y aurait forcément un cadre familial « fragilisé » ou « explosé » ? Des lacunes dans l'éducation des enfants ? Un manque d'autorité ? Forcément, elles laisseraient traîner leurs fils et leurs filles ? C'est non seulement stigmatisant mais aussi extrêmement humiliant pour elles. C'est insinuer que, sans figure paternelle, puisque c'est bien de cela qu'il s'agit, il n'y aurait pas d'autorité possible.
Lors des émeutes de 2005, on avait déjà entendues ces insinuations, comme le rappelle le thérapeute familial Jean-François Le Goff, dans un article paru en 2011 dans la revue Dialogue : « Les familles monoparentales ont alors été accusées d’être l’une des causes de ces désordres sociaux ; on décrivait des mères débordées et impuissantes – ayant subtilement éliminé ou discrédité la fonction paternelle, laissant ainsi leurs enfants, sans repère, aller à la dérive, subir de "mauvaises influences" et incapables de s’intégrer à la société. »
Alors, quoi, on stigmatise et on recommence ? On laisse penser que la solution est de « sanctionner financièrement » les familles, comme l'avait lancé Emmanuel Macron cet été, imaginant « une sorte de tarif minimum dès la première connerie » commise par un enfant ? Ne faudrait-il pas, plutôt, les accompagner, ces mères, en particulier financièrement ? Car c'est bien la précarité qui crée de la tension, de la violence, et des journées sans fin pour ces femmes qui doivent cumuler trois journées en une… « J'ai parlé de décivilisation il y a quelques mois. C'est bien cela que nous avons vu. Il faut donc s'atteler à reciviliser », a conclu le locataire de l'Élysée dans Le Point. Pour espérer du civisme, il faudrait commencer par considérer les gens dignement.
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