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Cartes pos­tales : kitsch et sexisme sur présentoir

Elles sont kitsch, beaufs, ringardes voire complètement sexistes. Si elles donnent l'impression de sortir du siècle dernier, les cartes postales potaches ne sont pourtant pas si démodées. Causette a voulu comprendre qui les fabrique encore et surtout qui les achète. Retour sur ces souvenirs de vacances qui participent pour les plus craignos d’entre-eux à la culture du viol.

Une marmotte adossée à une bouteille de champ’ qui demande tout naturellement « on s’en siffle une ? » tandis qu’une autre, casquette à l’envers, envoie de « gros bisous » de la montagne. Qui n’a pas un jour reçu ce genre de cartes postales dans sa boîte aux lettres ? En vacances, on les retrouve par dizaines sur les présentoirs des tabacs et des bureaux de presse, à côté des porte-clés et autres souvenirs de vacances qu’on oublie une fois rentrés. Qu’elles soient ensuite jetées au fond d’un tiroir ou qu’elles tapissent fièrement les murs de vos toilettes, il faut bien avouer que ces cartes postales ringardes font chaque année leur come-back, comme un bon son des années 80 qui vieillit plus ou moins bien. 

Que ce soit des marmottes, des dauphins, des chatons affalés sur des transats ou des paysages désuets dignes d’un 13 heures de Jean-Pierre Pernault, en matière de cartes postales, on peut dire que le choix est pléthorique. Leur point commun : avec leurs couleurs saturées et leur police d’écriture qui nous rappelle l’époque glorieuse d’MSN, ces bouts de cartons rectangulaires sont clairement démodés. Et pour cause, la grande majorité de ces modèles a été créée dans les années 80 et 90, âge d’or de la carte postale kitsch. « On en fabrique très peu de nouvelles, indique Patrick, le responsable de PEC-As de cœur, l’une des principales sociétés d’édition de cartes postales en France. Ce n’est plus vraiment dans l’air du temps même si ça se vend encore très bien dans les stations de ski et dans les stations balnéaires sur la côte d’Azur et sur la côte Atlantique. Pour le reste de la France, on produit quand même beaucoup plus de cartes postales sérieuses avec des monuments touristiques ou des paysages. »

 « C’est alors devenu une habitude voire même une obsession. Mes amis m’en envoient et moi dès que je pars en vacances j’en ramène obligatoirement une que j’accroche immédiatement »  

Bertille, étudiante en médecine de 21 ans.

Pour Bertille, étudiante en médecine de 21 ans, hors de question de rapporter dans ses valises une carte postale où figure un monument. Non, ce qu’elle aime, elle, ce sont les marmottes et autres animaux mis dans des situations burlesques. Elle les aime et elle les collectionne. « Ça a commencé il y a quatre ans lorsqu’une amie m’a envoyé une carte avec une marmotte de ses vacances à la montagne, raconte Bertille à Causette. C’est alors devenu une habitude voire même une obsession. Mes amis m’en envoient et moi, dès que je pars en vacances, j’en rapporte obligatoirement une que j’accroche immédiatement. » Dans les toilettes de sa coloc à Poitiers, on peut d’ailleurs admirer une quarantaine de spécimens. « Ça surprend les gens quand ils arrivent chez nous, souligne Bertille. La première fois que mon copain est venu, il a quand même demandé "c’est qui la grosse beauf ?" mais maintenant, tout le monde s’accorde à dire que les toilettes sont la meilleure pièce de l’appart. »

Sexisme en barre  

Si les chatons et les marmottes de Bertille peuvent nous faire sourire, il existe un tout autre style de carte postale, qui lui, passe beaucoup moins bien. Sur les présentoirs à côté des modèles certes kitsch mais inoffensifs, trônent des dizaines de cartes où posent des femmes nues ou vêtues de maillots très échancrés (et ce même sous la neige). On peut y voir les fesses d’une joueuse de pétanque avec l’inscription ahurissante « vacances épuisantes : la journée on pointe, le soir on tire ». Ou encore une cycliste qui gravit le mont Ventoux en string (!) mais aussi cinq paires de fesses sur un joli fond de champ de lavande avec « Bisous de provence » plaqué en haut à droite. Question design, comme pour les marmottes et les chatons, les modèles semblent eux aussi venir d’une autre époque. « Ça fait des années qu’on n’édite plus ce genre de cartes postales, affirme sans ambage, l’éditeur de PEC-As de cœur. D'ailleurs, ça n'intéresse plus personne. » Si le marché est anecdotique, comment expliquer alors qu’on en retrouve toujours à foison dans les maisons de presse et bureaux de tabac ?  

« C’est vrai que les éditeurs proposent beaucoup moins de modèles qu’il y a quinze ans mais ça se vend toujours bien l’été. On en écoule entre 8 000 et 10 000 par an, nous explique Laurent, vendeur dans une maison de presse face à la plage de Mimizan (Nouvelle-Aquitaine), qui en possède une dizaine qu’il vend à cinquante centimes l’unité. La carte postale potache reste le souvenir de vacances par excellence. Les gens aiment toujours en envoyer pour faire rire les copains ou les collègues. Mais toujours à prendre au second degré ! » Même constat de l’autre côté des Pyrénées. « Ça devient difficile de trouver de nouvelles cartes car il y a peu de renouvellement dans les modèles mais j'ai l’impression que c’est toujours à la mode, même encore plus qu’avant, souligne Jean-Claude, gérant du magasin de souvenirs Coup de Cœur du Sud à Fréjus (Var). C’est d’ailleurs le type de carte qu’on vend le plus. » 

Succès auprès des millenials 

Ophélie peut d’ailleurs en témoigner, ces cartes postales au goût douteux ont encore et toujours le vent en poupe. En cinq ans, les toilettes de cette bibliothécaire de 26 ans qui vit avec son petit-ami sont devenues un petit musée de la carte postale rétro. « C’est maintenant une tradition dans notre groupe de potes, indique-t-elle à Causette. On envisage même de lancer un concours pendant les vacances d’été pour trouver la pire possible ! ». Comme Ophélie, Laura, 30 ans, envoie et reçoit tous les ans des cartes postales « avec des culs ». « On se les envoie pour le côté old school avec beaucoup de second degrés,  indique-t-elle à Causette. On ne les prend pas du tout au sérieux. »

Sérieux ou second degré, les millenials seraient donc le cœur de cible de ces cartes postales« Ce sont plus des jeunes entre 20 et 30 ans qui nous achètent la plupart de nos modèles », explique le vendeur de Mimizan. Jean-Claude voit même venir des client·es de plus en plus jeunes dans sa boutique de Fréjus. « Tout le monde en achète, surtout des jeunes et même des enfants. » Si Bertille et Ophélie affichent leurs pépites dans leurs toilettes, pour certain·e, la passion peut se révéler inavouable. « Je ne crie pas sur tous les toits que je possède une petite collection de cartes postales où posent des femmes et des hommes dénudés, confie Laura. Je sais que certaines personnes ne comprendraient pas que je puisse trouver ça drôle alors je les garde dans un tiroir. »

Ras le bol 

En effet, certain·e en ont clairement ras le bol de recevoir des paires de fesses ou des paires de seins. Lisa, 25 ans, reçoit chaque année sa carte postale « osée » de la part d’une amie. « Ça me fait rire trois secondes après je la mets directement à la poubelle, confie-t-elle à Causette. Je n’aime pas cela car je trouve que c’est une instrumentalisation patriarcale du corps de la femme, qui n’est d’ailleurs jamais diversifié. C’est toujours un corps qui rentre dans les codes esthétiques de la société. » Lisa n’a pas tort. Le seul moment où des corps « gros » et « vieux » sont mis en avant sur papier glacé, ils sont toujours moqués et tournés en dérision. Pour autant, la jeune femme n’a jamais osé dire à son amie qu’elle n’aime pas en recevoir. « J’ai peur de la blesser, et au fond je trouve la démarche mignonne, j’adore ouvrir ma boîte aux lettres et voir autre chose que des factures. Mais je ne me vois pas du tout accrocher une paire de nichons chez moi », précise-t-elle. Ophélie abonde dans ce sens : « ça me met quand même mal à l’aise de recevoir des photos de seins et de fesses parce que c’est toujours des femmes dessus et qu’on ne voit jamais leurs visages », exprime-t-elle. Les modèles masculins existent bien sûr mais, société patriarcale oblige, elles sont moins nombreuses et, surtout, moins « attrayantes » que leurs collègues féminines. 

Culture du viol 

Sur les tourniquets des vendeurs, le corps des femmes accessoirise donc les champs de lavande et autres spécialités régionales. Il devient alors une attraction locale, une source de divertissement au même titre qu’un monument ou un paysage. « Je me suis encore énervée l’autre jour en Corse lorsque j’ai vu dans un tabac quelques cartes de ce genre. Elles étaient visibles de tous, mes enfants auraient pu les voir, indique à Causette, la sociologue Stéphanie Le Gal. Ces cartes sont abjectes, en montrant des femmes dans des positions lascives et de soumissions, elles imposent une image dégradante,  participent à la culture du viol et à la banalisation des violences faites aux femmes. »  

Un ras-le-bol qui a poussé le mouvement féministe Femmes solidaires à partir en guerre en août 2018 contre ces cartes postales qui « renforcent le stéréotype de la femme-objet, consommable et jetable, sous prétexte de loisirs et de divertissement ». Pour lutter contre le fléau, les militant·es du mouvement avait été invité·es à dénicher partout en France les cartes les plus sexistes qu’elles trouvaient. Femmes solidaires, qui, à l’époque, en a reçu une centaine, les a ensuite publiées sur son compte Twitter pour alerter sur l’ampleur du phénomène. 

D'ailleurs Ophélie le reconnaît volontiers, « certaines cartes sont très sexistes voire vulgaires ». « Sur le coup, tu achètes la carte “pour rire” avec second degré. Mais maintenant que j’y pense, oui, ces cartes participent à la culture du viol, observe t-elle. Je dois avouer que d’y penser, ça me fait un peu l’effet d’une douche froide. » Du côté des éditeurs, on botte en touche. « Les femmes nues, ça a presque complètement disparu. On en propose encore dans nos catalogues car il nous reste du stock mais on ne fabrique plus ce type de cartes postales, se défend lui aussi le gérant des éditions Cellard à Lyon. Ça ne porte atteinte à personne. » Et sur le terrain, si Jean-Claude, le patron de Fréjus, reconnaît que « les paires de fesses à la queue leu leu, c’est moyen », ce sont selon lui « les femmes qui en achètent le plus pour le côté humoristique ». 

Reste que Femmes solidaires avait bien essayé d’interpeller en 2018 la secrétaire d’État aux Droits des Femmes, Marlène Schiappa, la ministre de la Culture Françoise Nyssen, le CSA et même l’Union professionnelle de la carte postale sur ces « cartes sexistes, parfois pornographiques qui participent à la culture du viol ». En vain, puisque cet été, les paires de seins côtoient toujours les monuments régionaux sur les présentoirs. 

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