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©Pascal Lafay

Fête des voisin·es

"Bientôt la Fête des voisins. Il y a quelques années, avec Mirella, l’infirmière du troisième étage, et ma copine Loulou, du bâtiment A, mère de famille très nombreuse, nous nous sommes motivées pour organiser la première édition.

Tout d’abord, on l’a rebaptisée la « Fête des voisin·es », au grand dam de Jean Manuel, le gardien, qui nous appelle les commères, n’aime pas les femmes aux ­commandes, l’écriture inclusive et les points médians.

La mission sur le papier : un moment de convivialité et de bonne humeur pour créer du lien entre voisin·es. La ­réalité du quartier : une cité décatie d’un côté, quelques petits pavillons désuets de l’autre et le camp de Roms juste derrière la bretelle d’autoroute. Ici, on se regarde, on se respecte, mais à distance. Faut dire que nous sommes dans le ­département le plus pauvre de France, même les petit·es vieilles et vieux des pavillons, les soi-disant « bourgeois·es », sont des anciens pauvres. Ils et elles sont arrivé·es là ­pendant la guerre, fuyant l’Italie, l’Espagne, le Portugal. Ils et elles ont bâti les immeubles où sont venu·es s’entasser avec d’autres ouvrier·ères, d’autres immigré·es et avec la récup des chantiers, ils et elles ont construit leurs maisons. 

Avec Mirella et Loulou, on a mis nos plus beaux sourires, distribué des mots dans les boîtes aux lettres, collé des affichettes dans les cages d’escalier, frappé aux portes des caravanes, fait passer l’info par l’association des parents d’élèves et installé des tables dans l’allée du marché.

Le jour J, on était huit. Sans compter les gamins de Loulou. Alors on a rangé nos sourires, bouffé nos tartes salées et nos salades de pâtes sous le regard narquois de Jean Manuel et des dealers du bâtiment D, auxquels on a proposé une petite assiette conviviale, mais « non merci, Madame, jamais pendant le service »

On n’a pas lâché, et l’année d’après, nous étions une trentaine à partager chips, taboulés, accras et ­quiches aux lardons. 

Et puis le virus est arrivé et, curieusement, c’est là que la sauce a pris. La « Fête des voisin·es » a vraiment commencé. Le soir, tout le monde se posait aux fenêtres, Loulou sortait la sono sur son balcon et on dansait. Celles et ceux des pavillons se dandinaient sur le trottoir d’en face, les jeunes leur faisaient les courses une fois par semaine et, en retour, les mamies cuisinaient pour « la première ligne », qui rentrait tard, entassée dans les bus. Mirella, après le boulot, passait voir les malades enfermé·es chez eux et elles. Même les dealers ont cassé leurs prix.

C’est l’histoire du 31 décembre qui a failli tout gâcher. La police municipale a débarqué dans le camp de Roms, où on était beaucoup plus que six autour du brasero. Mais ce soir-là, c’est Jean Manuel qui a éteint l’incendie. Il a appelé son beau-frère qui connaît bien quelqu’un qui connaît bien quelqu’un à la mairie et, l’instant d’après, Loulou distribuait le ti-punch aux policiers malgré quelques timides « non merci, Madame, jamais pendant le service ».

Du coup, cette année, on a nommé Jean Manuel « ­gardien de la paix du quartier » et coprésident du comité de la « Fête des voisin·es ». À une seule condition : qu’il ne touche pas aux points médians. "

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