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© Lokz Phoenix pour Causette

Série d’été « familles », 1/​8 : « Je suis née pour rem­pla­cer une petite fille qui n’existait plus »

La famille. Celle qu'on subit, celle qu'on ché­rit, celle qui se brise ou celle qu'on rafis­tole. Tout au long de l'été, chaque ven­dre­di, Causette plonge au cœur de vos récits de lignées et d'hérédités. Dans notre pre­mier épi­sode, Annette, 61 ans, revient sur le décès de sa grande sœur, Annie, sur­ve­nu quatre ans avant sa nais­sance et sur les traces indé­lé­biles qu'il a laissées. 

"Je suis née en février 1960 dans une famille modeste du sud de la France. Je suis la qua­trième d’une fra­trie de huit enfants. Ou plu­tôt devrais-​je dire, la cin­quième d’une fra­trie de neuf enfants. Quatre ans avant ma nais­sance, mes parents ont en effet per­du tra­gi­que­ment une petite fille, Annie. Je suis née pour rem­pla­cer cette petite fille qui n’existait plus. Je suis ce qu’on appelle un enfant de remplacement. 

Annie a vu le jour en juin 1954 dans la ferme fami­liale. À l'époque, mes parents vivaient avec ma grand-​mère pater­nelle, Clémentine, qui selon ma mère avait tout de la marâtre aca­riâtre. Annie a attra­pé très tôt la mala­die de la coque­luche qui se tra­dui­sait par des quintes de toux vio­lentes et incon­trô­lables. Une nuit, alors que la petite fille de 2 ans ne fai­sait que de tous­ser, ma grand-​mère qui ne sup­por­tait pas le bruit a deman­dé à ma mère d’installer le lit d’Annie dans l’arrière cui­sine, ce qu’elle fit à contre­cœur. Elle ne s’est jamais par­don­née d’avoir cédé au caprice de sa belle-​mère : Annie est décé­dée le len­de­main matin, dans ses bras, le 3 juillet 1956. On ne sau­ra jamais si elle aurait pu être sau­vée en ne dor­mant pas dans l’arrière-cuisine. Ce qui est cer­tain en revanche c’est que sa mort a lais­sé des traces indé­lé­biles. Mes parents et ma grand-​mère ne s’en sont jamais remis et s’en sont tou­jours voulu. 

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Michel et Annette, à droite. ©A.T.

Deux ans après le décès d’Annie, ma mère est retom­bée enceinte. Pendant toute sa gros­sesse, elle n'a eu qu'un seul sou­hait : avoir une fille. Manque de bol, c'est mon grand frère Michel qui est né en 1958. Je ne sais pas si cela a un rap­port avec l’espoir de ma mère d’avoir une fille, mais Michel a tou­jours été mal dans sa peau et très effé­mi­né. Il reste qu’en février 1960, le vœu de ma mère s’est enfin exau­cé. Tout de suite, mes parents et ma grand-​mère ont vou­lu m’appeler Annie. L'officier d’état civil leur a dit que ce n’était pas pos­sible. Tant pis, ils m’appelleront Annette. 

Je n’arrive plus à me sou­ve­nir d'à quel âge j’ai appris l’existence d’une grande sœur qui por­tait qua­si­ment le même pré­nom que moi. Comme si, au final, je l’avais tou­jours su. Je me sou­viens seule­ment que mes parents n’ont jamais pris le temps de nous expli­quer les cir­cons­tances de son décès. D’ailleurs, per­sonne dans ma famille hor­mis ma mère ne par­lait d’Annie et c'est en l'écoutant que, peu à peu, j'ai gran­di en gla­nant des infor­ma­tions. Elle me répé­tait et me répète encore aujourd’hui à quel point Annie était en avance pour son âge, à quel point cette petite fille joyeuse et mer­veilleuse leur avait don­né tant de bon­heur. Je la revois encore me dire « c’est tel­le­ment dom­mage, elle était si souriante. » 

D’elle, il n’existe qu’une seule pho­to prise post mor­tem comme sou­vent à l’époque lorsque les enfants mour­raient en bas-​âge. Ma mère l’a gar­dée cachée pen­dant très long­temps dans le tiroir de sa table de che­vet. Aujourd’hui, je ne sais plus où elle est. D’ailleurs, je ne sais même pas quelle ver­sion ont mes frères et sœurs de cette his­toire. Nous n’en par­lons jamais. À chaque fois qu’une per­sonne demande com­bien nous sommes d’enfants, nous répon­dons tou­jours huit. 

Ma mère a pro­je­té sur moi l’idée d’avoir une fille iden­tique à Annie et moi j’ai gran­di avec la sen­sa­tion que je ne serai jamais à sa hau­teur. Pourtant, petite, je n’ai fait qu’essayer de lui res­sem­bler. J’ai cru pen­dant long­temps que ma sœur était blonde alors je sup­pliais ma mère et ma grand-​mère de me faire des sham­poings à la camo­mille pour éclair­cir tou­jours davan­tage mes che­veux. J’étais aus­si la chou­choute de ma grand-​mère. Elle qui n’était pas d’une grande ten­dresse avec les autres me cou­vrait d’amour et de cadeaux, comme pour se faire par­don­ner incons­ciem­ment de la mort d’Annie. 

« Ma mère ché­ris­sait tel­le­ment le sou­ve­nir d'Annie que je me suis dit qu’il fal­lait être morte pour être aimée. »

À la mai­son, même si j’étais sans cesse entou­rée de mes frères et sœurs, je me sen­tais très seule. J’étais très per­tur­bée par l’ombre de cette sœur que je n’avais pas connue mais qui pre­nait pour­tant tel­le­ment de place. Je me suis sou­vent deman­dé qui j’étais, pour­quoi j’étais en vie et pas elle. À l’école, je n’avais évi­dem­ment pas de bons résul­tats. J’avais quelques amis mais pas de pas­sions et sur­tout pas de pro­jet. La seule chose que je vou­lais, c’était être aimée de mes parents. Ma mère ché­ris­sait tel­le­ment le sou­ve­nir d'Annie que je me suis dit qu’il fal­lait être morte pour être aimée. C’est pour­quoi, à l’âge de dix ans, j’ai vou­lu m’étouffer à l’aide d’un sac plas­tique. Ma grand-​mère est inter­ve­nue à temps et m’a sau­vé la vie. 

Plus tard, à 17 ans, je suis tom­bée dans l’anorexie. J’ai ces­sé de me nour­rir pour pou­voir enfin dis­pa­raître et ne plus exis­ter, tant j’avais l’impression qu’il n’y avait pas de place pour moi. J’ai été hos­pi­ta­li­sée et ma mère n’est venue me voir qu’une seule fois. C’est là que j’ai com­pris que je ne serai pas davan­tage aimée si je mour­rais. J’ai eu un déclic de sur­vie à 25 ans. J’ai repris mes études et je me suis construite, à des mil­liers de kilo­mètres de la mai­son fami­liale. Quelques années plus tard, j'ai enta­mé une psy­cha­na­lyse pour me déta­cher de l’ombre de ma sœur et ne pas trans­mettre mes souf­frances à ma propre fille. 

Ma grand-​mère et mon père sont décé­dés depuis long­temps main­te­nant et si les rela­tions avec ma mère sont par­fois encore dif­fi­ciles, je ne lui en veux plus. Je me suis libé­rée de l’ombre d’Annie et j’ai res­sen­ti, il y a une tren­taine d'années, le besoin de lui dire sym­bo­li­que­ment au revoir. De lui dire « je ne suis pas toi et je ne le serai jamais. Je suis Annette. » Je ne regrette d’ailleurs pas de por­ter ce pré­nom que j’aime beau­coup. Nous por­tons donc presque le même et j’aime me dire que, d’une manière ou une autre, elle m’accompagne."

Lire aus­si : Série d’été « famille » 2/​8 : « Pendant des années, la mytho­lo­gie fami­liale contait que mon aïeul avait été vic­time d’une injus­tice qui l’avait conduit au bagne de Cayenne »

Lire aus­si : Série d’été « familles », 3/​8 : Gina Lollobrigida et les cro­queurs de diamants

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