Maraudes numériques, formation des professionnel·les, lutte contre les négligences policières… Ce lundi 15 novembre, le secrétaire d’État chargé de l’Enfance et des Familles Adrien Taquet a détaillé à quoi serviraient les 14 millions d'euros que l'Etat va allouer à la protection des mineur·es se prostituant.
« Le sujet est grandissant, aigu et préoccupant » a martelé lundi 15 novembre lors d'une conférence de presse le secrétaire d’État chargé de l’Enfance et des Familles Adrien Taquet pour justifier du branle-bas de combat et de l’enveloppe de 14 millions d’euros. C’est ce que va mettre le gouvernement sur la table pour financer son premier Plan national de lutte contre la prostitution des mineur·es, qui concernerait selon les estimations de l’Etat entre 7 000 et 10 000 enfants, la plupart du temps des filles. Armelle Le Bigot Macaux, la présidente de l'association Agir contre la prostitution des enfants (ACPE) présente lors de la conférence de presse, table plutôt sur un chiffre de 15 000 enfants, tout type de prostitution confondu.
Le plan national, piloté par Adrien Taquet, a été pensé à la suite de la publication mi-juillet du rapport d'un groupe de travail composé d’associations, de représentants des forces de l’ordre et des magistrats mais aussi de victimes et de leurs familles. Il s’articule autour de quatre grands axes déroulés au cours de l'année 2022 et qui mobiliseront plusieurs ministères (Famille, Intérieur, Justice, Ville, Éducation nationale). Premièrement, sensibiliser la population, dès le premier trimestre 2022. Le plan prévoit une campagne de communication nationale ; le financement de travaux de recherche pour mieux cerner le phénomène ; des interventions dans les établissements scolaires mais aussi dans les foyers de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ; la création d’une plateforme d’écoute unique à l'adresse des mineur·es comme des adultes confrontés au phénomène.
Appui sur les associations
La conférence de presse du 15 novembre s'est ouverte sur le témoignage poignant de Nina Delacroix, rescapée de la prostitution infantile et qui a fait paraître en 2020 le livre Papa, viens me chercher, co-écrit aux éditions de l'Observatoire avec son père. Avec courage, la jeune femme qui se sent « chanceuse » d'avoir arrêté la prostitution et la drogue qui souvent l'accompagne décrit l'opportunité « de vendre [son] corps » à la suite de « mauvaises fréquentations » pour se faire « de l'argent facile ». « On croit qu'on le fait en pleine conscience mais les séquelles sont réelles, souffle celle a trouvé un travail stable. Aujourd'hui, j'ai encore beaucoup de mal à croire en l'amour. »
Dans le parcours de Nina Delacroix, la rencontre avec le milieu associatif a été déterminant pour s'extraire de la prostitution. « Les assos sont très importantes parce qu'elles créent un lien, ne jugent pas et aident les jeunes femmes à croire en elles », souligne-t-elle. Car comme tant d'autres, l'adolescente a « pendant longtemps eu honte du mot "prostitution" ». « Les enfants victimes ne se considèrent pas toujours comme victimes et en parlent avec des euphémismes, par exemple "escorting" ou "michetonnage", abonde Adrien Taquet. Ces mineurs ont souvent des antécédents de violences sexuelles [dans 70 à 80% des cas selon le rapport publié cet été, ndlr] et de harcèlement scolaire. » Le deuxième axe du plan consiste donc à se donner les moyens de repérer les enfants victimes et les faire bénéficier d'une prise en charge associative. Ce repérage nécessite la mise en place d'une formation des professionnels au contact des enfants (travailleur·euses sociaux·ales, professionnel·les de santé, communauté éducative, juges, forces de l'ordre mais aussi les hôteliers dont les établissements, parfois, abritent les passes). « L'enjeu est de détecter les conduites à risque grâce à des signaux tels que le changement de train de vie d'un élève ou ses absences répétées », souligne ce 15 novembre la secrétaire d'État chargée de la Jeunesse et de l'Engagement Sarah El Haïry. Ensuite, le lien devra être fait avec les associations qui apportent « force territoriale, proximité et confiance », selon les mots de la Secrétaire d'Etat et dont les subventions devraient être renforcées pour mener à bien cet accompagnement.
Statut de mineur en danger
Une action inédite (mais pas encore budgétée) viendra compléter cet axe au second trimestre 2022 : le financement de maraudes numériques d’associations, permettant « d’aller vers » les victimes et créer une relation de confiance avec elles. C'est l'expression utilisée par Vincent Dubaele, lui aussi présent à la conférence de presse et directeur de l'association de prévention lilloise Entr'actes. Sur le modèle des maraudes de rue ciblant les prostitué·es mineur·es menées par Entr'actes, des maraudes dans l'océan des réseaux sociaux devraient être donc mises sur pied, dès le second trimestre 2022, après appel à projet. Réseaux sociaux qui devraient eux aussi être mis à contribution, tant ces plateformes sont devenues un outil d'intermédiaire entre ados et proxénètes puis entre mineur·e se prostituant et les client·es. Le gouvernement veut contraindre ces plateformes à renforcer leur effort de modération et de signalements (utilisateur·trices vers plateforme et plateforme vers autorités) des situations prostitutionnelles.
Le troisième axe du plan concerne la protection des victimes, pour laquelle l'Etat se donne l’ambition d’un changement de paradigme. Par modification du code civil, le gouvernement souhaite que tout enfant en situation prostitutionnelle obtienne le statut de mineur en danger, « même s'il affirme le contraire ». Cela lui permettra de bénéficier d'une prise en charge spécifique dans un centre d'hébergement spécialisé ainsi que d'une prise en charge médicale systématique de ces ados dans le cadre des Unités d’accueil pédiatrique – Enfance en danger (UAPED).
Lutter contre les négligences des forces de l'ordre
Enfin, le dernier axe s'attaque au renforcement de la répression du proxénétisme des mineur·es. Lors de la conférence de presse, le témoignage effarant de Jennifer Pailhé a fait prendre la mesure de l'indifférence que démontrent encore certain·es policier·ères ou gendarmes à ces situations. Mère d'une adolescente tombée dans la prostitution, elle s'est heurtée à de nombreux murs dans les commissariats et gendarmeries auprès desquelles elle s'est rendue pour trouver de l'aide. « Ma fille était sous la coupe d'un "amoureux" et, malgré les preuves de violences physiques que j'apportais, les policiers ne reconnaissaient pas l'emprise, ils me disaient qu'elle était consentante », explique Jennifer Pailhé. La jeune femme a dû « elle-même enquêter », en se faisant passer pour un client auprès de sa fille sur internet, de façon à corroborer ses soupçons. Puis, elle se fera passer « pour un policier avec un mandat judiciaire auprès de SFR » afin d'obtenir accès aux échanges numériques de sa fille. « J'ai vu des images que je n'aurais pas dû voir », souffle-t-elle, en larmes. Elle finira par tomber sur un gendarme à l'oreille attentive, qui prendra en charge son lourd dossier.
Au-delà du caractère aberrant de la situation particulière de Jennifer Pailhé, c'est l'ensemble de l'institution policière qui est invitée à se remettre en question. Une directive sera donc établie en 2022 pour que les commissariats et gendarmeries prennent prioritairement en charge (à la manière de ce qui est déjà censé se faire pour les violences conjugales) les affaires de fugues adolescentes « laissant présager une situation prostitutionnelle ». Dès le début d'année prochaine, les forces de l'ordre pourront en outre s’appuyer sur une « trame d’audition » pour entendre les victimes, afin de limiter les risques de négligence.