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Marine Le Pen le 12 avril sur France Inter © Capture d'écran YouTube

Présidentielle : Marine Le Pen, la stra­té­gie du fémi­nisme dilettante

Héritière du programme profondément patriarcal du Front national, la candidate a modéré le discours du Rassemblement national pour coller à l'air du temps féministe.

Depuis le début de la campagne présidentielle, elle est la seule femme éligible et en joue. S'offrant les colonnes du Figaro le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, avec une « Lettre aux Françaises » qu'elle amorce d'un nostalgique « Madame, Mademoiselle », Marine Le Pen écrit : « L'élection présidentielle qui arrive est l'occasion de porter ces préoccupations [celles qui nous habitent « toutes » en tant que femmes, ndlr] au sommet de l'État en élisant une femme, c'est-à-dire, je le crois, en privilégiant une approche plus concrète et sûrement plus protectrice de l'exercice du pouvoir. Ce serait, nous en sommes conscientes, une révolution. Mais le pays y est prêt. »

En demandant aux femmes de l'élire à la présidence de la République en tant que pionnière, la candidate Rassemblement national (RN), qui a obtenu au premier tour de l'élection présidentielle, le 10 avril, 23,1% des suffrages derrière Emmanuel Macron (27,8%), cherche à flatter les aspirations paritaires de nombreuses de nos concitoyennes : « J'espère contribuer [à ce que les femmes prennent « toute leur place dans la société »] par mon engagement au premier plan de la vie publique, mais surtout je les appelle à vaincre une forme de réserve souvent injustifiée pour viser, par et pour elles-mêmes, les postes à responsabilité. »

Féministe avec une astérisque

Pour mieux se défaire de l'héritage fondamentalement patriarcal légué par son viriliste père Jean-Marie Le Pen, MLP se rêve role model pour les Françaises et a fait évoluer son discours. Encore en 2016, lors de sa deuxième candidature à la fonction suprême, la politicienne répondait à la presse : « Je ne sais pas ce que ça recouvre, le féminisme » quand cette dernière lui demandait si elle en était. En 2021, #MeToo est passé par là, et MLP avance sur une ligne de crête pour ratisser large : « Je suis une féministe qui n'exprime pas d'hostilité à l'égard des hommes. »

Une carte à jouer d'autant plus essentielle que son principal concurrent sur le terrain des idées, Éric Zemmour, est identifié comme un misogyne tendance masculiniste, et est accusé par une dizaine de femmes de harcèlement et agressions sexuelles. L'Express révélait ainsi qu'en octobre, après les enquêtes de presse sur les accusations dont fait l'objet l'ex-candidat Reconquête, Marine Le Pen avait décroché son téléphone pour passer la consigne à son équipe : « Je demande à tous les orateurs : il faut parler de l'attitude d'Eric Zemmour avec les femmes, allez-y quand vous êtes sur les plateaux télé, ce n'est plus possible ! »

Polissage du discours sur l'IVG

L'évolution stratégique de Marine Le Pen vis-à-vis des droits des femmes est notamment visible en ce qui concerne un enjeu emblématique des problématiques féministes, le droit à l'avortement, que Jean-Marie Le Pen se proposait, lui, de supprimer. Si elle n'a pas repris cette idée à son compte, Marine Le Pen s'est positionnée en 2012 sur le plan de la morale quant à l'IVG, en souhaitant lutter contre « les avortements de confort », conspuant celles qui « abuse[raient] de ce droit ». Dix ans après, la candidate ne se risque plus à ces outrances, se bornant seulement à préciser qu'elle est opposée au récent allongement du délai d'IVG. Comme sur tant d'autres sujets de société, la candidate d'extrême droite apparaît embarrassée quand il s'agit de s'expliquer sur ses alliances européennes ultra-conservatrices : « En l’espèce l’avortement n’est pas interdit en Pologne », divaguait-elle en décembre dans une interview donnée en marge d'un déplacement dans le pays auprès du premier ministre Mateusz Morawiecki, qui a interdit l'IVG sauf en cas de viol ou de danger pour la vie de la femme enceinte.

En matière de santé des femmes, elle propose aussi la gratuité de la contraception pour toutes les femmes (actuellement, elle est gratuite jusqu'à 25 ans) et a évoqué la création d'un « statut » pour les femmes atteintes d'endométriose sans indiquer ce qu'il recouvrirait.

Côté mesures économiques favorables aux femmes, la cheffe de file du Rassemblement national propose une unique disposition : le doublement de l'aide aux familles monoparentales (dont 85% sont des mères seules), de 116 à 230 euros mensuels. En conformité avec ses positions natalistes, Marine Le Pen propose en outre un allongement de la durée du congé parental, plutôt qu'un nouvel allongement du congé deuxième parent. Une mesure étonnante, quand on sait que le congé parental est très peu pris par les hommes, en raison de son coût pour le ménage. Mais la candidate sous-entend vouloir le revaloriser : « S’il est correctement indemnisé, les hommes le prendront », disait-elle à Femme actuelle.

Surfer sur les mobilisations féministes

Muette au sujet des féminicides, la candidate met en avant un volontarisme en matière de violences conjugales : elle souhaite faire des affaires de violences conjugales et contre les enfants une « priorité pénale », afin que les auteurs de violences soient jugés le plus rapidement possible. Rebondissant sur les critiques émises par de nombreuses femmes quant à l'accueil dans les commissariats et gendarmeries via le mouvement #DoublePeine, Marine Le Pen entend aussi développer les cellules dédiées aux victimes de violences intrafamiliales dans les commissariats.

Mais le sujet droits des femmes dans lequel la candidate se sent véritablement à l'aise, c'est la lutte contre le harcèlement de rue, avec lequel elle cible à l'envi les populations immigrées, en laissant entendre toute honte bue que les hommes blancs, eux, n'harcèlent pas. « Je ferai baisser la tête à ceux qui croient pouvoir ignorer qu'en France on respecte les femmes, écrit-elle dans sa Lettre aux Françaises. En plus des sanctions pénales lourdes, j'inscrirai les harceleurs de rue au fichier des délinquants sexuels et déciderai l'expulsion des étrangers qui se livrent à ces pratiques outrageantes. » Pour celel qui surfe sur là encore sur les mobilisations féministes actuelles, le harcèlement de rue est « une pratique importée » au même titre que « les mariages forcés, les certificats de virginité, les excisions ou les crimes d'honneur ». Une vision très confortable pour la candidate, préférant pointer les communautés étrangères pour éviter de devoir s'atteler à combattre le patriarcat de culture française.

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