Mi-juillet, un rapport d’expert·es associatif·ves a été remis au secrétaire d’Etat à la Protection de l’enfance pour alerter sur la hausse du nombre de mineur-es victimes de proxénétisme. S’il a toujours existé, les réseaux sociaux facilitent désormais son développement. Entretien avec Arthur Melon, secrétaire général d’Agir contre la prostitution des enfants (ACPE), association co-autrice du rapport.
Causette : Combien de mineur·es sont concerné·es par la prostitution aujourd’hui en France ?
Arthur Melon : On ne sait pas exactement. Les chiffres qui sont souvent repris parlent d’entre 5 000 et 10 000, mais ce sont des estimations vieilles de presque 10 ans… Ce qui est assez probable, c’est qu’il s’agisse d’estimations à la baisse et qu’on soit au-dessus des chiffres annoncés. La difficulté réside dans le fait qu’il est difficile de définir précisément la prositution et qu’il s’agit de pratiques discrètes et cachées qui ne sont pas forcément repérées par les institutions. Mais c’est la même chose pour la prostitution chez les adultes. Des études sont actuellement menées et on espère des chiffres plus précis d’ici l’année prochaine.
Comment, dès lors, pouvez-vous communiquer autour d’une hausse du phénomène ?
A.M : On est certains qu’il y a une augmentation. C’est un constat qui est unanimement partagé par tous les professionnels, qui témoignent de plus en plus de cas et qui sont débordés. Mais on est incapables de savoir si c’est un doublement, un triplement… Il est aussi difficile de savoir quelle est la part de l'augmentation réelle et l’augmentation apparente due au fait qu’on repère mieux…
Quelle définition donnez-vous à la prostitution ?
A.M : Il est très difficile de retenir une seule définition. Celle qui fait référence sur le plan juridique actuellement nécessite des contacts physiques entre la personne qui achète l’acte sexuel et celle qui se prostitue. Or, on sait qu’il y a beaucoup de conduites sexuelles qui passent par Internet et donc qui n'impliquent pas de contacts physiques. A l’ACPE, nous considèrons que ça, ça relève de la prostitution mais ce n’est pas de le cas du point de vue de la jurisprudence. Ensuite, par exemple, des militants vont considérer que l’industrie pornographique est une industrie de prostitution, d’autres non…
Un groupe de travail composé de plusieurs associations dont la vôtre a remis un dossier alarmant sur le sujet au gouvernement. Qu’est-ce que vous demandez aux pouvoirs publics ?
A.M : Beaucoup de choses ! Le rapport contient 100 préconisations ! Mais j’en retiens deux principales. Tout d’abord, c’est la nécessité d’agir en amont et en prévention. On sait que dès lors qu’un mineur est exploité sexuellement, c’est très difficile de l’en sortir. C’est donc beaucoup plus efficace d’agir en prévention et ça aura des effets bénéfiques pas que sur l’exploitation sexuelle mais sur l’ensemble des violences relationnelles, sexuelles, sexistes… D’ailleurs, il y a déjà une loi qui existe depuis 20 ans qui prévoit trois séances d’éducation à la vie sexuelle, amoureuse et affective par an depuis l’école primaire jusqu’au lycée. Donc théoriquement, 36 heures minimum mais elles ne sont pas réalisées, par manque de moyens : il y a ici un gros chantier.
Et la deuxième revendication principale ?
A.M : C’est de donner les moyens humains, financiers et techniques à tous les professionnels de l’enfance pour faire leur travail. Il y a de vraies marges d’amélioration. L’aide sociale à l’enfance est vraiment sous équipée dans certains départements, en termes d’effectifs, de structures d’accueil, de capacité de soin… On peut parfois compter plusieurs mois avant de pouvoir proposer une assistance éducative à une famille ou à un enfant ou pour obtenir des rendez-vous spécialisés en psycho-trauma. Il y a également besoin de moyens au niveau des services de justice pour pouvoir mener autant d'enquêtes qu’il le faut et pour mettre en place les procès des proxénètes et des clients.
Aujourd’hui, où en est-on au niveau de la législation ?
A.M : La prostitution des mineurs est interdite, contrairement à celle des adultes qui ne l’est pas. Un mineur qui se prostitue n’est pas un délinquant mais un mineur en danger donc il relève de la protection de l’enfance. D’un point de vue pénal, acheter un acte sexuel à un mineur de plus de 15 ans est puni de 5 ans d’emprisonnement. C’est 10 ans pour les moins de 15 ans. Du côté des proxénètes, les actes de proxénétisme à l’égard d’un enfant de plus de 15 ans sont punis de 10 ans de réclusion criminelle, contre 20 lorsque cela concerne les mineurs de moins de 15 ans.
Donc le cadre juridique est plutôt solide ?
A.M : Oui, il a bien bordé la problématique. Il y a juste un vide juridique à cause de la définition de la prostitution qui ne correspond plus à la réalité car elle date de 1996 [voir question sur la définition de la prostitution, ndlr]. Il y a eu des changements de pratiques, notamment celles sur Internet, qui sont aujourd’hui difficiles à qualifier juridiquement. Par contre, avec la nouvelle loi du 21 avril 2021, le code pénal sanctionne plus précisément le fait de commander des actes sexuels, des photos ou vidéos à caractère pornographique sur Internet. Surtout, elle a également fixé l’âge de non-consentement à 15 ans et il s’applique aussi aux mineurs en situation de prostitution. Ca veut dire que même si l’enfant se livrait à la prostitution, l’acte est considéré comme un viol et plus comme un simple recours à la prostitution. La peine encourue est donc de 20 ans de réclusion criminelle et plus de dix.
Qui sont les mineur·es concerné·es ?
A.M : Ce sont en grande majorité des filles. Ces jeunes viennent de milieux très variés car la dimension financière et le niveau de catégorie socioprofessionnelle n’a pas tant d’influence sur le risque prostitutionnel. En effet, cette pratique ne peut pas se résumer à un simple appât du gain ou à un accès facile et rapide à l’argent. L’acte prostitutionnel, comme d’autres conduites à risques, s’explique beaucoup plus par des considérations psychologiques, sociales ou familiales. Ces jeunes peuvent avoir des familles dysfonctionnelles, avec des comportements violents ou déloyaux, mais pas forcément. Ce sont des mineurs qui ont des vulnérabilités particulières : des jeunes sous emprise, des victimes de violences sexuelles traumatiques qui créent un rapport biaisés à la sexualité, des consommateurs de stupéfiants, des personnes harcelées… En fait, souvent, ils font ça pour se faire accepter et valoriser car ils manquent d’estime personnelle et ont des carences affectives. C’est parfois une véritable quête identitaire. Ensuite, ces vulnérabilités sont exploitées… On a jamais rencontré un adolescent qui a spontanément eu l’idée de vendre des actes sexuels : c’est toujours à l’initiative d’un client ou d’un proxénète.
Quel rôle jouent les réseaux sociaux dans cette hausse de la prostitution des jeunes ?
A.M : Ils sont de plus en plus importants dans le recrutement. Il y a encore quatre ou cinq ans, la plupart des victimes étaient recrutées par des personnes qu’elles connaissaient. Maintenant, on se rend compte que ce sont des personnes qu’elles ne connaissaient pas qui les contactent sur des réseaux grand public. Ça passe sous forme de posts d’annonces avec des hashtags comme « plans sous », « plan argent » ou « plan escort », souvent accompagnés de photos de liasses de billets. Les jeunes les contactent en messages privés et s’en suivent très rapidement des rencontres. De plus, les réseaux sociaux permettent aussi aux clients de contacter directement les adolescents.
Internet et les réseaux sociaux ont-ils banalisé ces pratiques ?
A.M : Ce n’est pas Internet qui cause l’exploitation sexuelle mais c’est un facteur facilitant et accélérant, qui peut en outre accroître la vulnérabilité d’un adolescent. Je ne dirais pas qu’Internet a entraîné une banalisation de la marchandisation du corps car cette culture est promue de manière générale dans la société. Internet ne fait que s’inscrire dans ce contexte social contemporain, au même titre que la télé-réalité ou la pub, par exemple. Cet outil permet de s’initier plus facilement à des pratiques de marchandisation du corps et à des conduites pré-prostitutionnelles comme l’envoi de photos ou vidéos par exemple. L’intermédiaire de l’écran et le fait qu’il soit possible de ne pas impliquer le contact de son corps facilitent le passage à l’acte.
Les adolescent·es se rendent-ils·elles compte qu’ils·elles sont victimes de proxénétisme ?
A.M : Non, pas tout le temps. Et, en effet, la difficulté principale de cette problématique c’est de parvenir à aider un adolescent qui ne veut pas d’aide. Si c’est lui qui vient directement demander de l’aide, 99% du travail est fait car on peut trouver de quoi le loger, le soigner, l’accompagner. Au contraire, comment lui faire reconnaître qu’il est en danger ? Ils ne se rendent pas compte qu’elles sont victimes, parfois ils ne se rendent même pas compte que c’est de la prostitution, ils disent que c’est juste de l’escorting. Parfois c’est de bonne foi, mais parfois ils doivent savoir que c’est de la prostitution mais c’est difficile de porter cette étiquette qui reste très stigmatisante dans notre société. Ils refusent le cliché de la prostituée sur le trottoir avec un gros proxénète musclé derrière qui gagne de l’argent car leur situation peut être bien différente et va à l’encontre de ce qu’on a comme image de la prostitution.
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A notre échelle, qu’est-ce qu’on peut faire ?
A.M : Pour les personnes qui ont des enfants dans leur entourage, surtout n’ayez pas peur de laisser les établissements scolaires ou d’autres professionnels aborder les questions de vie amoureuse et sexuelle avec vos enfants. Ce n’est pas fait pour les pervertir, au contraire c’est fait pour qu’ils vivent de la manière la plus épanouie possible leur vie sexuelle et affective et limiter les risques. Il ne faut pas avoir de tabou et si vous ne savez pas comment aborder le sujet vous-mêmes, il existe pleins d’outils à mettre à disposition des enfants pour les informer. Ensuite, on a trop tendance à oublier le rôle des hommes dans les questions d’exploitation sexuelle et les questions de prostitution. C’est hyper important de sensibiliser les jeunes garçons à ces thématiques car ce n'est pas parce qu’ils sont garçons qu’ils ne sont pas concernés. Ils peuvent être victimes et ils peuvent être impliqués en tant que clients ou proxénètes. On aurait tort de penser la prévention uniquement à destination des filles car la lutte contre les violences c’est aussi faire de la prévention auprès des potentiels auteurs de violence. Il y a encore du travail pour savoir comment lutter contre les représentations virilistes qui conduisent, in fine, à des violences telles que la prostitution.