1200x680 4670224 complement d enquete cette sequence opengraph 1200 2
Magali Berdah à gauche, Nathanya Sion à droite. ©Capture d'écran Complément d'enquête

Violences sexuelles, ravages de la méde­cine esthé­tique : dans "Complément d'enquête", les femmes paient l'addition de l'influence

Le dernier volet du magazine d’investigation Complément d’enquête diffusé dimanche soir s’est intéressé au business douteux du milieu de l'influence (dropshipping, promotion de la contrefaçon) mais aussi aux coulisses encore plus sombres : une médecine esthétique dangereuse pour la vie de celles qui s'y adonnent et un traitement des affaires de violences sexuelles problématique.

372 000 visionnages en replay en 24 heures. C’est un record dans l’histoire de France Télévisions. Il faut dire que le dernier numéro de l'émission Complément d’enquête a beaucoup fait parler depuis sa diffusion dimanche soir en deuxième partie de soirée sur France 2. Le documentaire, intitulé Arnaques, fric et politique : le vrai business des influenceurs, proposait une plongée dans le système financier de l'influence, dans lequel des influenceur·ses vantent produits, marques et services à leurs followers contre une grosse rémunération, qui peut atteindre des milliers d’euros pour un seul contrat.

L’émission avait été tout d'abord programmée pour le 22 septembre prochain pour être diffusée dans sa case habituelle, mais France 2 avait finalement fait le choix de ne pas attendre. Quasiment la moitié des intervenant·es du reportage faisaient en effet pression par le biais de leur avocat·e pour ne plus apparaître à l’écran. À l’instar de la patronne de l'agence d'influence Shauna Events Magali Berdah, du couple d’influenceur·ses installé·es à Dubaï Alex et Nina ou encore de l’influenceuse et candidate de télé-réalité Milla Jasmine. 

La course au bistouri…

Et pour cause. La papesse de l’influence, Magali Berdah, à la tête d'une entreprise de 60 salarié·es fondée en 2016 et rachetée par la tentaculaire société de divertissement Banijay, était interrogée par Complément d’enquête sur des dérives courantes dans le milieu. Dropshipping, vente de contrefaçons mais aussi promotion de la chirurgie esthétique et de la médecine esthétique.

Pourtant, en France, l’article 19 du code de déontologie médicale interdit totalement la publicité et la promotion de la chirurgie esthétique. Sur le plateau de Complément d’enquête, la big boss Magali Berdah a affirmé que ni elle, ni son agence n’en faisait la promotion. Une affirmation aussitôt contredite par le journaliste et présentateur de l’émission Tristan Waleckx, images d'une de ses stories à l'appui. « Une fois, en cinq ans, j’ai montré une femme qui me faisait des piqûres », est alors forcée d'admettre l’influenceuse en cheffe.

Dans la vidéo diffusée, on voit Magali Berdah se filmer en train de recevoir des injections dans les joues et expliquer : « Toutes les femmes qui ont besoin comme moi, elle est France encore quelques jours […] et franchement c’est la meilleure ». Sur le plateau de Complément d’enquête, Berdah s’est défendue assurant avoir payé de sa poche pour cette intervention esthétique et ne pas avoir été rémunérée pour en faire la promotion. « Les réseaux sociaux, vous y montrez votre vie. J’ai le droit de dire ce que je pense », a-t-elle argué.

… au péril de sa vie 

La multiplication des posts d’influenceuses vantant les bienfaits d'injections d’acide hyaluronique dans les lèvres ou dans les fesses renforce un culte de l'image sexiste déjà très présent et encourage de nombreuses femmes à y recourir pour atteindre de nouveaux standards de beauté inatteignables. Une impitoyable course au visage et corps « parfait », que certaines ont payé de leur santé. Marie M., dite Luna Skye, est passée tout près de la mort après une intervention qui a mal tourné. Cette influenceuse de 26 ans et ancienne candidate de télé-réalité affirme ainsi dans Complément d'enquête avoir reçu pas moins de quatre-vingt injections d’acide hyaluronique dans les fesses en juin 2021 par Benjamin Azoulay, chirurgien célèbre chez les stars de télé-réalité. C'est deux fois plus que la limite préconisée. L’intervention se serait déroulée dans la chambre d'une amie à Dubaï, alors qu’elle nécessite un milieu stérile.

De retour chez elle aux États-Unis, ses plaies commencent à s’infecter et Luna Skye est hospitalisée d’urgence. S’en suivent alors quatre septicémies et un long séjour dans un hôpital parisien. Si, aujourd’hui, la jeune femme est tirée d’affaire, elle regrette les injections qu’elle a faites, détaille-t-elle, par désir de ressembler à Kim Kardashian. « Toutes les influenceuses s’inspirent d’elle, ça devient le critère de beauté principal, on a l’impression que si on ne rentre pas dedans, on est pas jolies », explique-t-elle face à la caméra de Complément d’enquête. Interpelé par le magazine, le docteur Azoulay a fait savoir par le biais de son avocat qu’il « n’entend ni commenter ni répondre à ces allégations ». 

La banalisation de ces interventions chirurgicales a popularisé de manière effrayante ces dernières années la médecine esthétique auprès des jeunes femmes et des adolescentes. Nombreuses sont les anonymes qui n’hésitent plus, selon une enquête de Libération publiée en janvier dernier, à avoir recours comme Luna Skye à des injections d’acide hyaluronique. Selon le syndicat national de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique (SNCPRE), à l’instar de l’influenceuse, beaucoup de jeunes femmes ont été hospitalisées ces derniers mois, à la suite de complications gravissimes d’injections réalisées par des esthéticiennes, des coiffeuses ou encore des masseuses « sans aucune formation ».     

La loi du silence 

Autre point soulevé par le magazine d’investigation, les dénonciations de violences sexuelles dans le petit monde de l’influence et la loi du silence qui semble y régner. Parmi les intervenant·es du reportage qui ont envoyé des courriers de pression au magazine, Magali Berdah a menacé de poursuites judiciaires les équipes de France 2 afin d’enlever un passage compromettant. Selon des informations du média en ligne Pure médias, il s’agirait de la diffusion de l’enregistrement vocal que la madone de l’influence aurait envoyé en 2019 à une ancienne candidate de télé-réalité et ex-cliente de Shauna Events, Nathanya Sion. Dans ce dernier, selon Nathanya Sion, Magali Berdah lui aurait demandé de se taire quant aux accusations de violences sexuelles que la jeune femme portait à l’époque à l’encontre d’un autre influenceur, Illan Castronovo. Ce dernier était alors lui aussi rattaché à l'écurie Shauna Events.

Nathanya Sion est l’une des lanceuses d’alertes du #Metoo de la téléréalité qui a secoué le milieu en décembre 2021. À l’époque, Illan Castronovo est accusé par plusieurs femmes de tentative de viols et d’agressions sexuelles. L’une d’entre elles a d’ailleurs porté plainte pour « harcèlement sexuel » quelques mois plus tôt. À la lumière de ces révélations, d’anciens propos de candidat·es au sujet du jeune homme refont surface. Parmi eux, le témoignage de Nathanya Sion. 

Lire aussi I Alix Desmoineaux brise l'omerta des violences sexuelles dans le milieu de la téléréalité

En juin 2019, la jeune femme qui a alors 22 ans révèle sur les réseaux sociaux avoir été victime, quelques mois auparavant, d’une agression sexuelle de la part d'Illan Castronovo. Ce dernier se serait, selon Nathanya Sion, masturbé à côté d’elle dans un lit après lui avoir demandé un rapport sexuel qu’elle a, à plusieurs reprises, refusé. Nathanya Sion a porté plainte pour « harcèlement sexuel » en décembre près de trois ans après les faits. 

Dans l’enregistrement vocal diffusé dimanche pendant le reportage, on entend Magalie Berdah dire à Nathanya Sion : « Chérie, le problème, c'est que là, tu parles de branlette... Des trucs sur les réseaux... Ce n'est pas joli pour nous... Laisse-le dans sa merde. Tu n'as pas besoin d'aller employer des mots comme ça sur les réseaux sociaux. Là, je parle pour ton image. T'as une marque... Les partenariats et tout... Ce n'est pas toi, quoi ! Tu n'es pas dans ce délire-là, toi ! » Face à la caméra de Complément d’enquête, Magali Berdah conteste fermement avoir dissuadé Nathanya de parler publiquement de cette agression.

Pour se défendre, elle affirme que ce message vocal a été sorti de son contexte et a porté plainte contre Nathanya Sion pour diffamation. Selon Magali Berdah, à l’époque, les deux influenceurs étaient en couple. « Pour Nathanya ça reste une agression mais à l’époque où elle me le dit, elle le vivait pas comme ça […] J’ai tout fait pour aider Nathanya. » Il faudra tout de même attendre qu’une troisième accusation sexuelle éclate quelques mois plus tard dans la presse à l’encontre d’Illan Castronovo pour que Magali Berdah se sépare de son influenceur. 

« Piégée » par l’émission 

Au lendemain de la diffusion du numéro, Magali Berdah a confié sur Virgin Radio s'être sentie « piégée » par l’émission. Elle estime que les journalistes n'ont retenu qu'une partie de son interview, omettant volontairement certaines parties portant notamment sur la gestion de son entreprise. « Tout ce qui était constructif pour les gens, tout ce que les gens attendaient comme réponse à la question “Qu'est-ce que vous faites en tant qu'agence pour protéger les consommateurs et les influenceurs ?”... Rien n'a été montré ! Pas une seule minute ! Ça m'énerve ! », s'est-elle écriée à la radio.


Une enquête ouverte à l’encontre de la société de Magali Berdah 

Shauna Events, l’agence d’influenceur·euses de Magali Berdah est désormais dans le viseur de la justice. Une enquête pour « pratiques commerciales trompeuses » a été ouverte le 6 septembre, à la suite d’une plainte déposée cet été par le rappeur Booba. Elle a été confiée au commissariat d’Antibes, ville où est immatriculée la société Shauna Events. De son côté, Magali Berdah, qui accuse Booba de harcèlement depuis plusieurs mois, a obtenu l’ouverture d’une enquête en juin dernier par le parquet de Paris pour « menace de mort, harcèlement par un moyen de communication électronique et injure publique à raison de l’origine et du sexe ». Magali Berdah a annoncé au micro de Virgin Radio qu'elle organisait d'ailleurs une conférence de presse ce mercredi 14 septembre, durant laquelle elle compte « rendre publics tous les éléments de l'affaire de cyberharcèlement par Booba dont elle est victime ».

Vous pouvez voir ou revoir cet épisode de Compléments d’enquête en replay sur le site de France.tv.

Partager
Articles liés
annick niquet 1

La "camion­neuse", his­toire d'un cliché

Les clichés hétéros vont jusqu’à faire de « camionneuse » un pur synonyme – péjoratif – de « lesbienne ». Mais au fait, d'où vient ce terme ? Et pourquoi il est un cliché sur pattes ? « J’écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles...

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.