Se procurer du sperme sur Internet pour une insémination « maison » est passible de 30 000 euros d’amende et de deux ans de prison. Pourtant, en ligne, la manip semble très simple, à condition d’écarter les donneurs qui se croient sur Tinder…
![Bienvenue dans le dark Web, où il est possible d'acheter du sperme pour une insémination "maison" 1 mere4 a](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/03/mere4-a-393x1024.jpg)
Quand j’ai « googlé » « sperme à domicile », le World Wide Web m’a d’abord mis un gros stop. « Le fait de procéder à une insémination artificielle par sperme […] provenant de dons est puni de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende », m’a prévenue Légifrance. Mais, deux clics plus loin, je flirtais déjà avec l’illégalité. Sur Facebook, notamment, on trouve une ribambelle de groupes pour partager ses demandes, ses offres de semence ou son témoignage, dans le plus grand des calmes. « Votre donneur a‑t-il envoyé un bon volume de sperme ? Je n’ai quasi rien eu », s’interroge une internaute. « Il a enroulé une seringue de sperme dans du papier et a simplement mis un sac de glaçons dans le colis », déplore Stéphanie, se demandant si le procédé est « normal ». Ça ne sentait pas très bon.
S’injecter le sperme avec une seringue
Heureusement, on m’informe que la crème de la crème (vous l’avez ?) se trouve plutôt du côté de Donneur naturel. Sur cet élégant forum imagé de gros spermatozoïdes volants et où les femmes ont un pseudo rose et les hommes un pseudo bleu, 2 099 preux chevaliers offrent de partager leurs petites graines. Il existe trois méthodes, m’apprend le site. La « naturelle », qui consiste en « un rapport sexuel classique avec un homme ». La « semi-naturelle », pendant laquelle la pénétration intervient après que chacun·e se soit masturbé·e solo, « peu avant l’éjaculation », pour « écourter » le coït. Et l’« artisanale ». Celle-ci n’est pas expliquée. C’est Aude*, ex-utilisatrice de 34 ans, qui éclaire ma lanterne. « Il se masturbe, je récupère le sperme et je me fais une insémination avec une seringue. » Suffit de se procurer « un pot stérile en pharmacie », m’informe Camille*, une autre adepte.
Je contacte une vingtaine d’hommes. Olivier, « grand blond aux yeux bleus », ressemble en fait à Cauet et approche les 50 balais, gage de fertilité s’il en est. Pierre me rassure : chez lui, « tout fonctionne en bas ». Ouf ! Après le classique échange de banalités, je préviens les wannabe-géniteurs que « n’étant pas à l’aise avec la pénétration, je préfère la méthode artisanale ». Manière de tester le niveau de gratuité de leur geste. C’est la débandade. « La méthode naturelle est plus efficace », tente de me convaincre Olivier. « Je bloque avec l’aspect médical de la méthode artisanale », pleurniche Christophe. Pléthore d’autres gentlemen m’assurent que leur souhait le plus cher étant de m’aider à procréer, il me faudra passer à la casserole, puisque la méthode sans pénétration « est très aléatoire ». Sur quarante discussions, Camille m’indique que trois hommes l’ont acceptée. Et « au moment du rendez-vous, soit vous n’avez plus de réponse, soit il prétexte un empêchement, soit personne ne vient ».
Je contacte un datajournaliste pour cracker les données du site et estimer l’arnaque. Il en ressort que 55 % des donneurs annoncent ouvertement refuser de donner du sperme sans pénétration. L’asso Mam’en solo me confirme que c’est très fréquent. Aude, qui a écumé les forums, aussi. Parfois, même les donneurs soi-disant pro-méthode artisanale changent de discours au fil du temps et exercent une pression. Et « certaines filles ont tellement envie d’un bébé qu’elles cèdent au chantage », relate-t-elle. « Des hommes déclarent aussi l’enfant derrière leur dos », ajoute Mam’en solo.
Quelques belles histoires existent. Jasmine a trouvé pénis à son pied sur Facebook. Un « sportif avenant qui bossait dans les assurances ». Elle l’a vu « deux fois par mois pendant trois mois » dans un hôtel (méthode naturelle 100 % consentie), avant d’être enceinte. Le petit a 2 ans. Il n’empêche. Le dark Web du sperme porte bien son nom.
Copapa, où t’es ?
Les annonces peuvent faire penser à celles que l’on trouve sur les sites de rencontres. Sauf qu’il ne s’agit pas de dénicher l’âme sœur, mais le meilleur des éducateurs. Après tout, pas besoin de s’aimer pour partager les devoirs et les sorties au parc ! Sur le forum de Co-Parents, l’un des sites consacrés au sujet à l’instar de Coparentalys, on trouve toutes sortes de recherches de parentalité partagée. Comme celle de Marine, 31 ans : « Le projet de devenir maman est de plus en plus présent en moi. Le temps passe et je me dis que, si je ne fais pas le nécessaire, je n’aurais jamais la joie de connaître la maternité », a‑t-elle écrit au mois de décembre. Sept hommes lui ont déjà fait part de leur intérêt de principe, comme Marius, 34 ans. « Mon envie de paternité est si forte que je ne peux attendre cet amour soi-disant nécessaire et qui n’arrivera peut-être jamais, plaide-t-il sur le fil de discussion. Si une femme a la même envie, je suis prêt à répondre à toutes les questions afin de réaliser un rêve commun. »
À l’origine, ce sont surtout les couples gay et lesbiens qui ont opté pour cette solution afin de créer une famille. Les célibataires y ont aussi recours, désormais, pour engager une relation platonique centrée autour de l’éducation d’un enfant. Attention, pour devenir le copapa officiel, il faut que le géniteur reconnaisse l’enfant à sa naissance. « En matière de filiation, les choses sont assez simples, rappelle l’avocate en droit de la famille Caroline Mecary. La mère sera celle qui aura accouché et le père, celui qui aura reconnu l’enfant. » Tiphaine Thuillier
Paye ton coach
La fertilité est un business, le plus souvent non remboursé : l’offre naissante est déjà pléthorique, entre yoga de la fertilité, naturopathes, doulas et psys spécialisés en PMA. Au Danemark, Helene Jakobsen a suivi une formation en ligne de six mois et facture entre 40 et 400 euros la séance : elle propose aux mères solos accompagnement individuel, aide pour le choix du donneur, conseils en matière de techniques reproductives et de logistique prénatale. En France, Bijou Bulindera exerce une activité de coach bénévole et négocie, via sa page Facebook « Concevoir en solo », des réductions avec certaines cliniques. C. G.