Benjamin Rossi, infec­tio­logue : « Notre sys­tème de san­té ne résis­te­ra pas à une nou­velle vague de Covid-19 »

Entretien avec le médecin infectiologue dans un hôpital de Seine-Saint-Denis Benjamin Rossi, qui raconte son expérience de la pandémie et sa colère à l'encontre du manque de moyens de l'hôpital dans le livre-témoignage En première ligne.

Photo Benjamin Rossi
Ben jamin Rossi © Alys Thomas

Médecin infectiologue dans un hôpital de Seine-Saint-Denis, Benjamin Rossi s'est retrouvé en première ligne de la crise du Covid-19. Cette pandémie, le jeune homme l'a vécu comme nombre de ses confrères et consœurs : noyé sous le travail et démuni. On le sait, les carences structurelles en effectifs et en moyens de l'hôpital public ont fait plonger nombre de soignant·es dans un cauchemar éveillé.

Dans En première ligne, publié le 10 novembre aux éditions Prisma, Benjamin Rossi nous offre le témoignage brut de cette période cataclysmique, dans laquelle il a touché aux limites de la philosophie profonde de son métier de soignant. Il ne s'agissait plus de restaurer la santé des gens mais de se demander : quel patient sauver ? A quel titre ? Interview d'un homme en colère contre ce que le désengagement du politique a fait à l'hôpital, mais toujours en poste.

Causette : Vous avez tenu un carnet de bord pendant cette crise. Pourquoi avoir écrit un livre sur votre expérience ?  
B.R. : Ce carnet, je l’avais fait pour moi au départ. Je n’imaginais pas l’utiliser dans un livre. A la fin de la première journée de travail quand je suis revenu de ma quarantaine, j’étais complètement sous le choc, comme sidéré. J’avais l’impression d’être dans une fiction. Je me suis dit qu’il fallait que je garde une trace. J’avais peur d’oublier. J’ai tenu le carnet pendant la durée de la première vague presque tous les jours pendant 2 mois. Ainsi, écrire un livre sur mon expérience revenait alors à prendre de la distance avec ce que je vivais et c’est ensuite devenu une façon de témoigner de la violence de la situation et de la chute vertigineuse de l’hôpital.  

Le conseil scientifique a affirmé fin octobre qu’environ un lit sur cinq est fermé dans les grands hôpitaux publics, faute de personnel. Vous dites qu’il y a 60 % de lits fermés dans votre service à l’hôpital Robert Ballanger d’Aulnay-Sous-Bois. Comment expliquez-vous le départ massif des soignants de l’hôpital public ?  
B.R. : Dans notre service, on a pu remonter à 30 % de lits fermés, cela uniquement grâce à une infirmière qui s’est engagée récemment à nos côtés. Dès son arrivée, on pu ouvrir 8 lits de plus. Mais - sans surprise - elle ne va pas rester… Voilà où l’on en est. Comme je dis dans le livre, une ancienne infirmière du service m’a confié avant de partir qu’elle n’était pas suffisamment payée pour être maltraitante. Depuis des années, nous devons faire plus avec de moins de moyens. Les soignants qui ont le souci de l’autre ne tolèrent plus de ne pas pouvoir prendre le temps de s’occuper des patients. S’il s’agit de faire un travail d'abattage, autant faire un métier mieux payé.  

Cette phase de départ s’est-elle accélérée par la crise du Covid-19 puis par l’obligation vaccinale des soignants mi-septembre ?  
B.R. : Oui, le covid est un accélérateur de trajectoire. Mais il a surtout confirmé que rien de bon ne sera fait pour l’hôpital puisque rien n’a été fait pendant la période covid. L’hôpital est un bien commun. Pourtant, les soignants ont l’impression d’être les seuls à se battre pour cette cause. Inutile de vous dire que cet effondrement aura des conséquences sur le coût de la santé pour tout le monde… Moi, je partirais dans le privé, je gagnerais mieux ma vie… C’est pour cela que l’on ne comprend pas que les gens ne se battent pas plus, pour eux ou pour leurs enfants. L’obligation vaccinale a causé des départs et a donc logiquement aggravé la pénurie de personnels. Je suis pour la vaccination des soignants mais il y a quelque chose d’assez injuste à laisser partir sans indemnités chômage, sans point formation, des soignants qui se sont battus pendant deux ans contre cette épidémie.   

Frédéric Valletoux, président de la Fédération Hospitalière de France souhaite que la santé devienne l’un des grands sujets du prochain quinquennat. Quelles sont à ce jour les principales revendications des soignants ?   
B.R. : Bien sûr c’est indispensable. Cela devait être dans tous les débats politiques mais pour le moment, c’est silence radio. Il faudrait que les gens le réalisent et s’en emparent. Les politiques sont des suiveurs. Mais comme ils ne se polarisent que sur des sujets comme l’immigration et qu’ils jouent sur un climat anxiogène au possible eh bien, on n'y arrivera pas. Il s’agit pourtant d’un sujet de fond. Les revendications sont simples (pouvoir bien soigner) mais les solutions sont complexes : il faut discuter d’une réorganisation du système de financement des hôpitaux et de la médecine privée qui dépend également de l’argent public ! Il faut redéfinir les rôles de chacun, il y a à présent trop d’administratifs dans le personnel par rapport au nombre de soignants opérationnels sur le terrain. Se pose enfin la question de la modulation du nombre de soignants en fonction de la lourdeur des soins nécessaires. Bref, c’est tout un programme… Malheureusement aujourd’hui, nos campagnes électorales se dispensent de programme et se font à coups de petites phrases. Vous ne trouvez pas dingue que l’on puisse se déclarer candidat et faire la Une des journaux sans avoir déposé son projet ?  [Et même faire la Une des journaux sans encore être déclaré candidat, ndlr.]

"Une société qui abandonne ses hôpitaux et les personnes fragiles n'est plus une civilisation. C'est la restauration de la loi du plus fort." 

Jean Castex a annoncé en mars dernier dans le cadre du Ségur, un « effort inédit » qui implique un plan d’investissement de 19 milliards d’euros pour l’hôpital, piloté par les territoires. Est-ce que pour vous le Ségur a changé quelque chose sur le volet médical ?   
B.R. : Non. On a trop attendu. On a transféré une partie du trou de la sécurité sociale dans le déficit des hôpitaux en changeant leur mode de financement. Les politiques se gargarisent de résultats qui sont en fait des cache-misères. Je crois qu'il faut à présent arrêter avec l'irresponsabilité des économies d'échelle mais qu'on se pose, en tant que collectivité. Arrêtons les enfantillages et les mesures électorales mais cherchons à résoudre les problèmes en s'attaquant au fond. La paresse et la peur nous empêchent de faire ce qu'il faut faire. Une société qui abandonne ses hôpitaux et les personnes fragiles n'est plus une civilisation. C'est la restauration de la loi du plus fort.     

Le ministre de la Santé, Olivier Véran a reçu la semaine dernière des dirigeants d’établissements pour étudier les pistes permettant de « passer cette période difficile ». L’engagement du gouvernement vous semble-il à ce jour suffisant ?    
B.R. : Non. Toujours pas… Pour le moment, les « mesurettes » prises ne permettent pas d’endiguer un problème qu’on a laissé pourrir depuis plus de vingt ans. Les augmentations proposées sont insuffisantes par rapport au gel des salaires qui a perduré toutes ces années et aux conditions de travail déplorables. Il faudra plus d’imagination dans les mesures pour insuffler un nouveau départ.   

Alors que le Covid-19 progresse de nouveau en France, quelles sont vos recommandations pour ne pas subir une énième crise de l’hôpital dans laquelle les soignants seront une fois de plus en première ligne ? 
B.R. : La crise à l'hôpital est déjà là. L'unité entre les soignants se fragmente. Une nouvelle vague dans ce contexte serait de l'huile sur le feu. Notre système de santé n'y résistera pas. Je ne crains pas d'être à nouveau en première ligne. Je vous réponds de mon hôpital et on vient de passer une partie de l'après-midi à chercher une place en réanimation pour un jeune homme de 32 ans non vacciné, atteint d'un covid sévère. Plus personne n'accepte cette surcharge de travail. En première ligne, on navigue à vue. Sans projet solide et sans port, on se noie ou on prend le large... Il est temps de scruter l’horizon pour déterminer un cap. 

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