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© Capture écran Mediapart / CBS News

Qu’est-ce que les “dog whistles”, ces mes­sages codés pri­sés de la fachosphère ?

Dans un récent tweet, le député insoumis David Guiraud a fait référence aux “dragons célestes”, ces personnages de manga devenus une référence antisémite. L’occasion de faire le point sur les dog whistles, ces messages codés qu’utilisent racistes et ultra-réactionnaires pour se reconnaître et pour déjouer la censure.

À première vue, ce n’est qu’un simple extrait de dessin animé. Le 31 décembre, le député (LFI) David Guiraud a réagi à une plainte déposée contre lui par l’Observatoire juif de France pour “apologie du terrorisme et provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence”, à la suite de ses propos incriminant l’armée israélienne. En guise de commentaire, l’élu insoumis a partagé sur X une courte séquence de la série One Piece, adaptée du manga du même nom. “Ils ont envoyé un assassin pour me faire taire ?” s’y demande un personnage, à terre, pourchassé parce qu’il dénonce les crimes des “dragons célestes”. Soit une caste de nobles descendants des rois fondateurs du Gouvernement mondial, qui sont éminemment riches, puissants, jouissent d’une impunité permanente et écrasent celles et ceux qui ne sont pas de leur rang.

Moins de vingt-quatre heures après avoir publié cette vidéo, David Guiraud a retiré son tweet, accusé de reprendre et de nourrir une rhétorique antisémite. S’il a récemment reconnu s’être intéressé, plus jeune, au conflit israélo-palestinien via les vidéos d’Alain Soral et de Dieudonné, le député nie toute référence au judaïsme. “Les dragons célestes ne sont pas une religion ou une ‘race’ et si vous le pensez vous avez mal lu One Piece”, s’est-il défendu dans un second tweet. Mais toujours est-il que la mention des “dragons célestes” est bel et bien un dog whistle antisémite depuis plusieurs années.

C’est quoi, un “dog whistle?

Un dog whistle, c’est un clin d’œil, un appel du pied, qui consiste à utiliser un terme a priori anodin pour le grand public, mais qui permet d’adresser un message politique aux franges racistes, anti-progressistes et bien souvent d’extrême droite. Un concept qui tient son nom du “sifflet à chien” (dog whistle, en anglais), dont les ultra-sons sont audibles par les chiens, mais pas par les humain·es. Ce phénomène, qui a émergé aux États-Unis dans le sillage du mouvement des droits civiques des années 1960, s’est aussi développé à compter du milieu années 1990 en Australie, sous l’influence du Premier ministre conservateur John Howard et de ses partisan·es, qui ont utilisé cette technique pour adresser des messages anti-immigré·es en évitant les accusations de racisme.

Ainsi, quand Donald Trump met en garde des journalistes contre “le calme avant la tempête”, en 2017, ou qu’il partage une photo de lui avec le message “The storm is coming” (la tempête arrive), en 2022, il ne fait pas seulement référence à sa possible victoire électorale : il s’adresse directement aux membres du mouvement complotiste Qanon – qu’il déclarait ne pas connaître, en 2020 –, pour qui la “tempête” marquera la fin du règne de l’“État profond”.

De même, quand Marine Le Pen accuse Xavier Bertrand d’être “un mondialiste” en pleine campagne pour les élections régionales, qu’elle fustige “la vision mondialiste” d’Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle, ou qu’elle dénonce “le nouvel ordre mondial”, elle ne s’oppose pas seulement à une politique pro-mondialisation économique : elle mobilise sciemment un vocable né dans l’extrême droite antisémite, selon laquelle des sociétés secrètes oeuvreraient à instaurer un gouvernement mondial dirigé par les élites juives et hostile aux peuples. Enfin, quand Gérald Darmanin balance à la journaliste Apolline de Malherbe “Calmez, madame, ça va bien se passer”, il ne fait pas seulement preuve de condescendance sexiste. Il reprend mot pour mot une expression très en vogue dans les sphères masculinistes, leur faisant par là même un appel du pied.

Émoticônes “arbre” et “chances pour la France”

Mais il n’y a pas que les politiques à user des dog whistles. Sur les réseaux sociaux, les différents courants de la fachosphère utilisent couramment des références codées qui leur permettent de se reconnaître et/ou de propager des discours haineux en échappant à la censure. On se souvient par exemple des innombrables mèmes de la grenouille Pepe the Frog (parfois affublée d’une casquette “Make America great again”, d’un uniforme SS ou d’une cagoule du Klux Klux Klan), devenue un symbole de ralliement des trolls nationalistes à travers l’Occident - à tel point que son créateur a préféré la tuer.

On pense également au mème Larry “La chance”, créé – comme souvent en France – sur le forum 18-25 du site Jeuxvideo.com. Cette image du visage de Larry Silverstein, propriétaire du World Trade Center, est agrémentée de la légende ironique “la chance”. Comprendre : le 11 septembre 2001 est un complot (juif) dont il avait connaissance. Il y aussi “Issou”, ce mème ou ce gif sur lequel on voit l’humoriste espagnol El risitas éclater de rire : pur produit du forum 18-25, dont il est devenu la mascotte, il est utilisé par les identitaires pour troller sur Internet. Repris par des partisan·es d’Éric Zemmour, il a même eu pendant un temps un compte Twitter à son nom, “Issou lives matter”, pour se moquer du mouvement Black Lives Matter. Tandis qu’en 2017, dans une de ses vidéos (supprimée depuis), le “patriote” Florian Philippot le collait sous sa tasse, espérant séduire la communauté du 18-25.

Depuis une quinzaine d’années, l’Internet français regorge également de références aux “chances pour la France” (parfois abrégé en CPF), une expression raciste qui désigne narquoisement les personnes noires et arabes. Lesquelles sont aussi régulièrement désignées comme “les Suédois”. Parfois, c’est simplement un émoji : l’émoticône “arbre” est ainsi utilisée par la fachosphère pour désigner “les Arabes”, quand le signe “Ok” permet de mentionner son adhésion au suprémacisme blanc (la jonction du pouce et de l’index formant le sommet du "P", et les autres trois doigts tendus un "W", soit WP ou white power). On peut citer la question “Qui ?”, cette fausse interrogation apparue avec la pandémie du Covid, notamment dans les milieux antivax. Derrière ces trois lettres, plusieurs questions possibles : “qui” est responsable de la “dictature sanitaire” ? De la soumission des médias ? Qui profite de la crise du Covid ? Et une seule et même réponse : les élites juives, bien sûr.

En 2022, sur le blog du Club de Mediapart, un abonné étudiant en sciences politiques a entrepris de répertorier ces indénombrables dog whistles de la fachosphère française. Difficile cependant – pour ne pas dire impossible – d’être exhaustif, tant ces références codées se réinventent sans cesse. Il n’y a qu’à voir les “dragons célestes” : alors que la référence a été identifiée comme un dog whistle antisémite, certain·es internautes préfèrent désormais utiliser le terme d’origine japonais, tenryubito, pour déjouer les signalements et la censure. Même si sur le X d’Elon Musk, ils et elles ne risquent pas grand-chose.

Lire aussi I Enfin un super­marché du cul pour les patriotes !

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