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Uber : de nou­velles plaintes pour agres­sions sexuelles

En avril et mai der­nier, deux clientes d’Uber ont por­té plainte après avoir été agres­sées sexuel­le­ment par leur chauf­feur en ren­trant chez elles. Elles dénoncent toutes deux la réac­tion d’Uber. L’une d’elle a vu son appli­ca­tion sup­pri­mée après avoir été accu­sée par la firme d’agression sexuelle.

C’était une soi­rée de tra­vail à Paris. Des rires, du réseau­tage et les verres qui s’enchaînent. « Avec une copine de la boite, on a déci­dé de prendre ensemble un Uber pour ren­trer, his­toire d’être sûres que l’on arrive cha­cune chez nous. » Ce 28 mai 2021, Marie, 31 ans, a trop bu. Leur chauf­feur arrive et lui pro­pose de mon­ter à l’avant pour mieux voir la route et évi­ter les nau­sées. Ils dis­cutent, elle som­nole, sa copine arrive à des­ti­na­tion et descend.

Lorsque Marie se retrouve seule avec lui, le chauf­feur devient insis­tant, com­mence à lui faire des remarques dépla­cées sur son phy­sique, lui fait part de son envie de la revoir, passe l’immeuble de Marie et se gare un peu plus loin, dans une rue adja­cente. Là, dans la voi­ture, il la coince et l’embrasse de force, ce qui consti­tue une agres­sion sexuelle. Il lui demande alors son numé­ro, fait son­ner son télé­phone pour s’assurer qu’elle ne lui en a pas don­né un faux et lui pro­met qu’il revien­dra. « C’était hor­rible, se sou­vient Marie. J’avais l’impression de ne pas pou­voir maî­tri­ser la situa­tion. Je lui ai dit que je n’étais pas dis­po pour le revoir et j’ai pro­fi­té d’un ins­tant d'inattention pour m’enfuir. »

Le chauf­feur sort lui aus­si de la voi­ture, la suit jusqu’à chez elle, la plaque contre un mur et l’agresse une nou­velle fois. « J’ai fini par lui don­ner l’impression qu’on allait se revoir pour qu’il me laisse tran­quille. » Vingt minutes après, il repart et lui envoie un SMS : « Bonne nuit ma ché­rie ».

« On prend un Uber pour être safe et quand on vit une agres­sion, la firme remet en doute notre parole. »

Marie, 31 ans

Quelques heures plus tard, elle se rend au com­mis­sa­riat le plus proche, porte plainte et contacte le ser­vice mis en place pour gérer les « inci­dents » dans les VTC. A plu­sieurs reprises, des per­sonnes de ce ser­vice vont la contac­ter pour avoir des détails sur son agres­sion pré­su­mée. Elle décrit des ques­tions insis­tantes et peu bien­veillantes. « A chaque fois, ils met­taient en doute ma parole et me posaient des ques­tions dépla­cées. » Entre-​temps, la firme contacte le chauf­feur et décide de sup­pri­mer le compte de Marie. Dans un mail daté du 15 juin que Causette a pu consul­ter, Uber l’accuse de « ten­ta­tive de contact phy­sique non consen­suel ». En d’autres termes, ce serait elle qui aurait agres­sé le chauf­feur. « C’était ultra violent de se dire qu'on est dans une situa­tion de vul­né­ra­bi­li­té, on prend un Uber pour être safe et quand on vit une agres­sion, la firme remet en doute notre parole. »

« Navrés de cette erreur »

L’agression pré­su­mée de Marie sur­vient alors que la firme amé­ri­caine tente avec son dis­po­si­tif « Ni dehors ni à bord » qui a débu­té en mars de faire oublier #UberCestOver1. Il s’agit à la fois d’une com­mu­ni­ca­tion publi­ci­taire à l’adresse des client.es valo­ri­sant les enga­ge­ments d’Uber en matière de lutte contre les vio­lences sexuelles et de modules de sen­si­bi­li­sa­tion en ligne à des­ti­na­tion de ses chauffeur·euses. Interrogée par Causette sur la façon dont la parole de Marie a été mise en doute par sa firme, la char­gée de com­mu­ni­ca­tion d’Uber France, Rym Saker, demande de quand datent les faits. « Qu’elle vous en parle en mars [elle se trompe sur le mois] c’est une chose, mais l'incident date de quand ? » Une fois le mois com­mu­ni­qué, elle rétorque : « Ah ! D’accord, heu.. Ecoutez, si c’est le cas, j’en serais assez éton­née. » Comme si le dis­po­si­tif « Ni dehors ni à bord » amor­cé en mars empê­chait désor­mais toute vio­lence sexuelle.

Moins d’une semaine après cette conver­sa­tion télé­pho­nique, Rym Saker admet, dans un mail, que la sup­pres­sion du compte de Marie était une erreur et s’engage à pré­sen­ter des excuses à la vic­time. « L’employé a com­mis une erreur de juge­ment, écrira-​t-​elle. Nous sou­hai­tons réité­rer avec forces que nous sommes du côté des vic­times et que nous pre­nons des actions dès qu’une agres­sion nous est signa­lée. Nous sommes navrés de cette erreur. »

Une façon de clore le dos­sier qui révulse Marie. « Ils m’ont accu­sée d’agression sexuelle, un "navré de cette erreur” ne suf­fi­ra pas. » De son côté, Patrick2, l’agresseur pré­su­mé de Marie, que Causette a pu contac­ter, explique qu’il ne s’est rien pas­sé ce soir-​là. Il nie lui avoir envoyé un SMS, que Causette a pu consul­ter, l’avoir agres­sée ou s’être plaint auprès d’Uber d’avoir été agres­sé par Marie. Il ajoute cepen­dant être régu­liè­re­ment accu­sé d’agressions sexuelles par des clientes qui « veulent se faire rem­bour­ser une course ». « Il n’y a pas un chauf­feur qui n’est pas accu­sé, sur­tout depuis un an et demi. On a pris l’habitude. Moi c’est pas mon genre, mais, oui, je suis accu­sé sou­vent », admet-​il. Questionnée sur ces pro­pos, Uber dément que Patrick ait déjà été accu­sé de vio­lences sexistes ou sexuelles et ajoute que son compte a été supprimé. 

Plusieurs plaintes dépo­sées ces der­niers mois

Si la cam­pagne de com­mu­ni­ca­tion d’Uber tente de ras­su­rer de poten­tielles clientes, la pré­fec­ture de police de Paris confirme, de son côté, que plu­sieurs plaintes ont été dépo­sées pour des affaires de vio­lences sexuelles ces der­niers mois, et refuse de s’exprimer en détail sur les affaires en cours. Parmi les plaintes enre­gis­trées à Paris, se trouve celle de Chyrel, 23 ans.

Après une jour­née de tra­vail haras­sante en avril der­nier, elle rentre chez elle en Uber. « Je sais que c’est un tra­vail ingrat, du coup j’engage tou­jours la conver­sa­tion mais en aucun cas ce n’est une invi­ta­tion à me tou­cher », lance-​t-​elle. Le chauf­feur la regarde, arrête la voi­ture, se retourne, com­mence à lui tou­cher les cuisses et à remon­ter sa combi-​short. Puis redé­marre, s’arrête à nou­veau et recom­mence. « Je lui ai deman­dé d’arrêter je ne sais pas com­bien de fois, en plus j’avais fait un tatouage la veille et il me fai­sait mal en appuyant des­sus. » La course s’éternise et les agres­sions sexuelles se multiplient.

« J’ai pré­tex­té qu’une amie m’attendait chez moi pour lui deman­der qu’il me laisse partir. »

Chyrel, 23 ans

« Il s’arrêtait tous les cent mètres et à chaque fois il se retour­nait et me tou­chait. » Arrivé à côté de chez elle, il gare la voi­ture, lui attrape les mains, la bloque et recom­mence à insé­rer ses mains sous ses vête­ments. « J’ai pré­tex­té qu’une amie m’attendait chez moi pour lui deman­der qu’il me laisse par­tir. » Elle des­cend, attend que sa voi­ture redé­marre et appelle la police. Une patrouille arrive, la prend en charge et tente de joindre le ser­vice en charge des inci­dents d’Uber France. La firme aurait alors refu­sé de com­mu­ni­quer les infor­ma­tions sur ce chauf­feur, la plaque, la voi­ture, son nom. « Cette iden­ti­té aurait per­mis à la police de l’arrêter ce soir-​là, mais non, ils n’ont rien vou­lu savoir », explique Chyrel. Peu après, elle retourne au com­mis­sa­riat et porte plainte.

Ulcérée par la réac­tion d’Uber, elle s’empare de son télé­phone et raconte son his­toire sur les réseaux sociaux. La firme lui répond le jour même et l’appelle la semaine sui­vante. A l’autre bout du fil, une per­sonne se pré­sente comme tra­vaillant pour Uber France. Celle-​ci lui aurait alors expli­ci­te­ment deman­dé de reti­rer son témoi­gnage. Sur cette affaire, la char­gée de com­mu­ni­ca­tion n’a pas sou­hai­té s’exprimer.

Des sel­fies et un bou­ton d’urgence

Avec la cam­pagne de com­mu­ni­ca­tion lan­cée en mars der­nier, Uber a lan­cé des outils pour per­mettre de limi­ter au maxi­mum le nombre d’agressions sexuelles com­mises par ses chauf­feurs. Outre une for­ma­tion dis­po­nible en ligne, la firme signe des chartes, lance une ligne d’écoute et un bou­ton d’urgence en 2018. « C’est une fonc­tion­na­li­té qui per­met de signa­ler une situa­tion de dan­ger, sou­ligne Rym Saker. Cela per­met d’être mis en rela­tion avec le 112. » Pour enclen­cher ce bou­ton, il est néces­saire d’avoir accès à son télé­phone et de pou­voir le déver­rouiller. Ce qui n’est pas tou­jours le cas lors d’une agres­sion sexuelle. Interrogée sur cette contra­dic­tion, la char­gée de com­mu­ni­ca­tion ajoute que « ce bou­ton n’est pas dédié aux vio­lences sexistes ou sexuelles. C’est un bou­ton qui existe pour toute situa­tion liée à la sécu­ri­té [comme] un acci­dent de la route. […] Il ne faut pas prendre les fonc­tion­na­li­tés comme étant l’alpha et l’omega. »

Autre solu­tion mise en avant par Uber, « la chro­nique de la course ». Les chauf­feurs sont géo­lo­ca­li­sés en per­ma­nence ce qui doit per­mettre de remar­quer « un arrêt qui n’a pas lieu d’être », conti­nue la char­gée de com. Là encore, cet outil n’est pas infaillible. Pour la course signa­lée par Marie, Uber affirme ne pas avoir remar­qué d’activité sus­pecte, alors que le VTC aurait sta­tion­né 20 minutes non loin de chez elle. « Si la course a été mar­quée comme ter­mi­née, nous ne sommes pas en mesure de voir que le chauf­feur est arrê­té pen­dant vingt minutes. » 

« Une barbe mal rasée, un masque ou une pho­to floue et hop, vous pou­vez reprendre les courses sans problème. »

Une source policière

Enfin, la firme demande des sel­fies aux chauf­feurs, en moyenne une fois par semaine et de façon aléa­toire. Ils sont tenus de se prendre en pho­to pour prou­ver que ce sont bien eux der­rière les comptes uti­li­sés. Sans ce cli­ché, leur compte est blo­qué et inuti­li­sable. Seulement, Marie, elle, a por­té plainte contre X parce qu’elle ignore si la per­sonne qui condui­sait ce soir-​là était celui qu’elle avait vu en pho­to sur l’application. Une source poli­cière confirme qu’il est assez fré­quent que les comptes soient ven­dus ou par­ta­gés. « Une barbe mal rasée, un masque ou une pho­to floue et hop, vous pou­vez reprendre les courses sans pro­blème. » Là encore, la char­gée de com­mu­ni­ca­tion d' Uber assure qu’une atten­tion par­ti­cu­lière est por­tée aux cli­chés envoyés par les chauffeurs.

Ces cas d’agressions sexuelles ou viols dans des VTC ne sont pas signa­lés qu’en France. Aux Etats-​Unis aus­si, les témoi­gnages ont défer­lé sur les réseaux sociaux en 2018 – 2019. A tel point que la firme amé­ri­caine a déci­dé de publier son rap­port interne sur la sécu­ri­té de ses client·es, en 2019. Celui-​ci fait état de 3.045 cas de vio­lences sexuelles, dont 235 viols, lors d’un tra­jet en Uber. Des don­nées pro­ba­ble­ment sous-​estimées puisque ce ne sont là que les chiffres connus par la firme amé­ri­caine. La firme note aus­si neuf meurtres. 

Côté fran­çais, impos­sible de connaître les chiffres. Rym Saker explique ne pas vou­loir com­mu­ni­quer à ce sujet avant d’ajouter que « ce comp­tage n’a pas été fait et que nous n’avons pas ce type de don­nées ». Une façon, là encore, de clore le dossier.

  1. Lancé en 2019, par Anna Toumazoff, la créa­trice de la page Insta @MemesPourCoolKidsFéministes, ce hash­tag a vu des cen­taines de témoi­gnages affluer. Les vic­times y décrivent des viols, des dis­cri­mi­na­tions ou encore des agres­sions sexuelles subies dans les VTC Uber, par les chauf­feurs.[]
  2. Le pré­nom a été modi­fié[]
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