À l’heure où nous publions cet article, Habannou S alias Marvel Fitness, suivi par 150 000 abonnés sur Youtube, s'apprête à passer sa deuxième nuit en prison. Dans l’affaire de cyber-harcèlement qui l’oppose à huit personnes dont la plupart viennent aussi du milieu du fitness, le youtubeur a été condamné par le tribunal de Versailles, ce 21 septembre, à deux ans de prison dont un ferme. Son avocat a d’ores-et-déjà fait appel.
Lundi 21 septembre, le youtubeur Habannou S. alias Marvel Fitness a été reconnu coupable de harcèlement moral sur huit personnes (dont cinq femmes et trois hommes) et de violences sur avocat. Allant au-delà des réquisitions du parquet, la cour a condamné à deux ans de prison dont un ferme avec mandat de dépôt, l’homme de 31 ans. Créateur de Marvel Fitness Channel, une chaîne Youtube suivie par 150 000 abonnés, Habannou S. a également interdiction d’exercer une activité de création sur internet.
En matière de cyber-harcèlement, cette décision est « historique » selon maître Laure Alice Bouvier, avocate des plaignant.es mais aussi elle-même victime des agissements de Marvel Fitness. « Ce jugement est appelé à dépasser les frontières du tribunal de Versailles pour servir d’exemple et montrer qu'Internet n’est pas une zone de non droit. » Et la femme de loi de rappeller que depuis le procès de la journaliste Nadia Daam, cyber-harcelée pour son militantisme féministe, la loi de 2018 contre le cyber-harcèlement de groupe et les raids numériques punit sévèrement une personne qui envoie un message de haine et initie une cabale sur les réseaux sociaux : elle encourt trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. C’est exactement ce que risquait Habannou S., même si les termes de « raid numérique » n’apparaissent pas dans les motifs de comparution. Il était, en effet, poursuivi pour « envoi de messages haineux, outrageants ou insultants ayant entraîné une dégradation des conditions de vie et une altération de la santé physique ou mentale des victimes », « envoi de messages malveillants réitérés en vue de troubler la tranquillité », mais aussi pour « violences sur avocat ».
Une campagne de haine contre d’autres influenceurs
Les faits se sont déroulés entre janvier 2019 et juin 2020. Tout a commencé lorsque les victimes ont exprimé dans des commentaires leur désaccord avec une vidéo de Marvel Fitness dans laquelle il attaquait Tristan Defeuillet-Vang, l’un des plaignants. Marvel avait surnommé ce dernier Katsuni, du nom de l’ancienne actrice porno, et, entre autres délicatesses, ajouté qu’il se serait prostitué à Bangkok. Dès lors, les plaignant.es dont la plupart se présentent comme des influenceur.euses du milieu de fitness subissent une campagne de haine et de harcèlement en ligne de la part de Marvel Fitness et de ses abonnés.
« Il a réalisé une vidéo me faisant tenir des propos que je n’ai jamais tenus à l’encontre de mon coach, confie une victime de 25 ans qui préfère garder l’anonymat. Puis ont suivi des partages de photos de moi, des moqueries et des messages de haine. J’ai quitté les réseaux sociaux et changé de salle de sport pour ne pas croiser Marvel. »
Laurie Bambin, 22 ans, et sa soeur jumelle sont deux influenceuses du fitness présentes sur Instagram, Youtube et Tik-tok. Depuis 2017, Marvel Fitness dénigrait régulièrement leur travail dans ses vidéos. Des attaques devenues plus violentes quand il a su qu’elles faisaient partie des plaignant.es. Autre influenceuse, même traitement. Aline Dessine, elle, a droit au doux sournom de « l’autre folle ». Marvel Fitness a passé au peigne fin sa vie professionnelle et personnelle pour mieux la viser. Son ex, son nouveau compagnon, et même son père ont fait l’objet de vidéos humiliantes de la part du youtubeur. Ayant reçu des menaces de mort, la jeune femme de 25 ans ne sort plus de chez elle depuis un an. Pourquoi tant de haine ? Selon l’avocate des plaignant.es : « S’attaquer à d’autres influenceurs apporte encore plus de visibilité aux vidéos de Marvel Fitness, puisque celles-ci sont également vues par les abonné.es de ces personnes. »
Ce procès a ceci de particulier que l’avocate des plaignant.es avait elle-même porté plainte contre l’accusé pour des faits de violences sur avocat. Elle était donc elle-même représentée par un avocat. Me Laure Alice Bouvier a été, en effet, attaquée par le youtubeur et sa communauté en sa qualité d’avocate des victimes. Le 26 mars 2019, le lendemain du jour où elle demande à Marvel Fitness de supprimer la vidéo très violente à l’égard de Tristan Defeuillet-Vang, le prévenu réalise une vidéo intitulée “Tristan et son avocate” dans laquelle il les traite d’« ennemis ». « À partir de là, je n’ai pas eu un seul moment de répit. J’étais l’objet d’une cinquantaine de publications par jour. Le prévenu s’est attaqué à mon activité professionnelle et a appelé à des raids numériques contre mon cabinet. »
![Tribunal de Versailles : un youtubeur condamné pour avoir initié des raids numériques 2 20200921 132908](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/09/20200921_132908-1024x768.jpg)
devant le tribunal de Versailles © C.B.
Durant son procès, Habannou S. n’a manifesté aucun regret ni expliqué son comportement. Pire, il s’est affiché à l'extérieur du tribunal tout souriant, prenant la pose pour des selfies avec des fans venus le soutenir. Son avocat Me Marc Goudarzian a plaidé la liberté d’expression mais aussi la nullité du procès en relevant plusieurs vices de procédure dont le conflit d’intérêt que représente le double statut de victime et d’avocate de Me Laure Alice Bouvier. Il a, par ailleurs, expliqué que les plaintes visaient des infractions en droit de presse, pour lesquelles, le délai de prescription de trois mois n’a pas été respecté. Selon lui, le parquet a requalifié « par opportunisme » les faits prescrits en infraction générale de harcèlement sur internet et de messages malveillants réitérés. « C’est un scandale pour la justice française et la liberté d’expression », s’agace-t-il au lendemain de l’audience. Il a d’ores-et-déjà fait une déclaration d’appel et demandé une remise en liberté de son client.
Selon les chiffres 2020 de Microsoft, 62 % des Français.es déclarent avoir été exposés au harcèlement en ligne (contre 70 % au niveau mondial). La grande majorité des victimes sont des femmes. 79 % d’entre elles se sentent moins en sécurité sur Internet contre 66 % des hommes. « C’est un soulagement pour les victimes et pour moi aussi, réagit le lendemain d’une audience qui a duré jusqu’à 21h30 Me Laure Alice Bouvier, la voix encore enrouée de fatigue. On ne pourra jamais éradiquer la haine en ligne mais cette décision sonne comme un coup de tonnerre à l'égard de ceux qui pensent qu’on peut tout dire sur les réseaux sociaux, injurier voire humilier en toute impunité. »