Sous couvert d’“encadrement”, la droite a voté hier, au Sénat, l’interdiction de la prise en charge médicale des mineur·es transgenre. Décryptage.
C’est dans une ambiance houleuse que le Sénat a adopté, mardi 28 mai, la proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales dans les transitions de genre chez les mineur·es – soit 294 jeunes concerné·es en 2020. Présenté par la sénatrice (LR) du Val‑d’Oise Jacqueline Eustache-Brinio, le texte reprend les préconisations du rapport – à charge – sur “la transidentification des mineurs” publié fin mars par un groupe de travail des Républicains. Et a donc été adopté, hier, par le centre et la droite sénatoriales, avec 180 voix pour et 136 voix contre.
Composée de quatre articles, cette loi qui doit encore être examinée par l’Assemblée nationale, vient ainsi confier le diagnostic et la prise en charge des mineur·es présentant une dysphorie de genre à des centres de référence spécialisés, listés par arrêté, sur le modèle des consultations hospitalières qui existent aujourd’hui. Contrairement à ce que prévoyait initialement le texte, elle n’interdit pas la prescription des bloqueurs de puberté, mais en encadre plus strictement la prescription.
Ces derniers, dont les effets sont réversibles, sont des hormones de synthèse visant à suspendre le développement des caractères sexuels secondaires (poitrine, voix, pilosité). Utilisés depuis plusieurs décennies dans le cas de pubertés précoces, parfois administrés pour traiter le cancer de la prostate ou de l’endométriose, ils peuvent aujourd’hui être prescrits à des mineur·es souffrant d’une dysphorie de genre, dans le cadre d’un suivi médical. Avec cette loi, le Sénat veut réserver la prescription initiale de ces traitements aux médecins exerçant dans les centres de référence, après évaluation du dossier par une équipe médicale pluridisciplinaire (c’est déjà le cas dans la pratique) et après un délai minimal de deux ans. Ce qui, pour les opposant·es au texte, revient à interdire indirectement le recours à ces bloqueurs de puberté.
Jusqu’à deux ans de prison encourus par les médecins
En parallèle, le Sénat a purement et simplement interdit la prescription aux mineur·es d’hormones croisées. Ces molécules, dont les effets sont en partie irréversibles, permettent de développer des caractéristiques physiques secondaires correspondant à l’identité de genre du ou de la jeune. À l’heure actuelle, elles sont le plus souvent prescrites autour de 15 ans, toujours dans le cadre d’un suivi médical.
Enfin, le Sénat a également interdit la réalisation de chirurgie de réassignation sur les mineur·es. Lesquelles sont, en réalité, déjà réservées aux adultes, à l’exception des torsoplasties (réduction du volume mammaire) – qui peuvent, dans certains cas, être réalisées sur des mineur·es de plus de 16 ans. Sur ces deux interdictions, le Sénat prévoit une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende pour les médecins qui contreviendraient à ces règles. “Un précédent préoccupant”, a estimé Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la Santé. Alors que le gouvernement a laissé planer le flou sur ses intentions jusqu’en fin de soirée, le ministre a finalement rejeté en bloc l’initiative LR, après avoir écouté tous les groupes, dénonçant “une approche totalement dogmatique, subjective, où les arguments médicaux et scientifiques ont peu d'importance”.
“L’une des lois les plus restrictives d’Europe”
Des associations de défense des droits LGBTQIA+ et de nombreux·euses sénateur·rices ont également reproché l’intégration à ce texte d’un article consacré à la mise en place d’une stratégie nationale pour la pédopsychiatrie. Alors même que “l’incongruence de genre” (soit un sentiment d’inadéquation entre le genre et le sexe de naissance) a été exclue de la catégorie des troubles mentaux par l’Organisation mondiale de la santé en 2018.
“Cette proposition de loi veut interdire ce qui est mieux pour les jeunes et aller contre la science”, s’est indignée hier Daisy Letourneur, secrétaire de l’association Toutes des femmes, lors d’un rassemblement devant le Sénat. Dans l’hémicycle, peu avant le vote de la loi, des sénateur·rices de gauche ont, pour leur part, dénoncé “l’une des lois les plus restrictives en Europe”. Trois semaines plus tôt, c’est la défenseure des droits qui s’inquiétait, dans un avis publié le 6 mai, des effets de ce texte, “de nature à porter atteinte aux droits et à l’intérêt supérieur” de l’enfant.
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