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« Des femmes ont cru que la PMA pour toutes allait arri­ver vite, ne sont pas par­ties à l’étranger et c'est désor­mais trop tard » : le dépu­té Guillaume Chiche fait le bilan

Série : Il était une loi 2/6

À quelques semaines des législatives, Causette donne la parole à des député·es qui ont porté des lois marquantes au cours du dernier quinquennat. Ce mercredi, le député des Deux-Sèvres Nouveaux démocrates (ex-LREM) Guillaume Chiche, qui s'est fait un nom en se battant pour la PMA pour toutes, répond à nos questions.

Causette : Qu’est-ce qui vous a le plus marqué en ces cinq années de députation ?
Guillaume Chiche :
Probablement l’énergie qu’il faut déployer pour créer un rapport de force avec le gouvernement pour inscrire un sujet à l’ordre du jour, et je dis ça d’autant plus que j'ai fait partie de la majorité pendant presque trois ans. Qu’on soit dans la majorité ou dans l’opposition, nous sommes confrontés au fonctionnement présidentiel de la Veme République, dans lequel le gouvernement décide à son rythme des réformes qui sont inscrites à l’ordre du jour. Donc pour faire émerger un sujet, il faut être imaginatif dans les moyens à déployer au niveau de la communication et s’impliquer. Je l'ai vu avec la PMA pour toutes, qui pourtant était dans le projet présidentiel de 2017. Pendant les quatre premières années du mandat présidentiel, l’exécutif a freiné des quatre fers sur le sujet, en disant « attention, il faut y aller doucement pour ne pas fracturer le pays. » J'ai eu le sentiment de mener un travail acharné entre 2018 et 2021 pour imposer le sujet.
Mon deuxième apprentissage, c’est qu'on ne peut pas courir après tous les lièvres, on est obligé de se spécialiser dans un secteur pour être efficace à son échelle. Le fantasme de se dire « je vais pouvoir suivre toute la politique et avoir un avis sur tous les sujets », il n'est pas tenable.

Et vous, vous avez décidé de vous spécialiser dans les sujets sociétaux. On vous a vu très actif sur la PMA pour toutes, mais aussi sur l'allongement du délai d'IVG ou encore le congé deuxième parent.
G.C. :
Tout à fait, parce que je considère que l'accès à ces droits est un enjeu d'égalité, et donc au final social autant que sociétal. Les sujets sociétaux, c’est la base de l’action publique parce que la question de fond, c’est quel modèle de société voulons-nous ? Je suis persuadé que ce sont des combats justes, qui permettent de gagner la bataille culturelle pour porter des sujets sociaux par la suite.

"Emmanuel Macron, je pense que c’est quelqu’un d'assez darwinien"

Vous avez claqué la porte de La république en marche (aujourd'hui "Renaissance") en mai 2020. Vous vous êtes senti trahi par la tournure que prenait le quinquennat ?
G.C. :
Je n’en fais pas une affaire personnelle. Emmanuel Macron a été élu avec la promesse de s’appuyer sur des forces de droite comme de gauche et je pense qu’il n’a pas tenu ses engagements, parce que le curseur s’est déplacé complètement sur la droite. Mais je pense qu’on a tous notre part de responsabilité là-dedans. S’il y a eu un virage à droite, c’est que les membres de gauche de la majorité n’ont pas eu suffisamment de force pour l’empêcher. Je me suis battu pendant trois ans au sein de la majorité pour dire « ça part trop à droite, je le vois sur le terrain, les gens ont besoin de gauche » et le constat est que je n’ai pas été assez bon pour me faire entendre. Emmanuel Macron, je pense que c’est quelqu’un d'assez darwinien : « la force va à la force, je vous laisse vous battre et celui qui gagne à la fin est celui qui a raison. » La loi du plus fort. J'ai donc décider d'intégrer un nouveau groupe parlementaire [Ecologie, démocratie, solidarité, aujourd'hui Nouveaux démocrates, ndlr] pour créer un rapport de force favorable d’une autre manière.

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Être en dehors des grands partis, c'est un atout dans l'hémicycle ?
G.C. :
Il faut redoubler d'efforts pour mettre à l'agenda politique les sujets que l'on porte, c'est sûr. Mais c'est surtout libérateur : je ne suis plus Chiche, le député trop agité qui gêne la majorité. Il faut savoir qu'au début de la législature, les députés LREM qui votaient des lois qui n’étaient pas issues de la majorité étaient traités de traîtres en réunion de groupe. 
De fait, à part pour l'extrême droite, je ne regarde pas à quel groupe appartiennent les parlementaires dont les lois correspondent à mes engagements. Je suis ainsi très fier d'avoir co-signé la proposition de loi du communiste André Chassaigne pour garantir aux agriculteurs un minimum retraite de 1000 euros, tout comme d'avoir porté avec le républicain Gilles Carrez le versement de la prime de naissance au septième mois de grossesse et pas après la naissance, parce que beaucoup de femmes en ont besoin à ce moment-là.
En fait, à l'Assemblée, la seule règle qui compte c’est : dans l’hémicycle à l'instant T où le vote de ta loi a lieu, est-ce que tu arrives à avoir la majorité de députés présents avec toi, qu’ils soit 8 ou 400 ?

"Durant la pandémie, on a voté l'état d'urgence très gravement car on avait conscience qu’on empêchait les gens de sortir de chez eux avec les conséquences que l'on connaît : des situations de pauvreté qui allaient se creuser, les violences intrafamiliales qui allaient exploser, des gamins qui, sans accès à l’école, allaient voir leurs parcours de vie profondément marqués"

Quels sont les moments les plus forts que vous vécus ?
G.C. :
Le premier auquel je pense est très positif, c'est quand on a réussi à faire passer l'allongement du délai de recours à l’IVG, porté par ma consœur Albane Gaillot. Ça venait solder une situation de deux ans d’interpellations et de femmes qui ont eu de graves problèmes d'accès à l’IVG durant la pandémie. Presque 50 ans après la loi Veil, je ne m'attendais pas à autant de résistance sur le sujet donc l'émotion a été à la hauteur des témoignages de souffrance qu’on a reçus.
Deuxième moment très marquant pour moi, c’est quand on a voté pour habiliter le gouvernement à restreindre nos libertés d'aller et venir pour lutter contre la pandémie : on l’a fait très gravement car on avait conscience qu’on empêchait les gens de sortir de chez eux avec les conséquences que l'on connaît : des situations de pauvreté qui allaient se creuser, les violences intrafamiliales qui allaient exploser, des gamins qui, sans accès à l’école, allaient voir leurs parcours de vie profondément marqués. En terme de gravité, ça a été vraiment le vote le plus difficile, mais il fallait parer à une crise sanitaire exceptionnelle.

C'est quoi, pour vous, être un bon député ?
G.C. :
À mon sens, c'est chercher à être le représentant d’un territoire, plus que d’une formation politique. Il y a un gros enjeux de crédibilité de la parole à l’Assemblée : est-ce que Chiche est en train de nous vendre une loi parce que c’est son délire ou est-ce que cela correspond à une attente des Françaises et des Français ? Donc je me suis attelé à passer beaucoup de temps en circonscription pour écouter les gens afin de faire remonter leurs préoccupations. Précarité, difficultés de la mobilité, hôpital qui craque, problématique de sécurité dans les quartiers populaires de la ville... Parfois, à la lumière de ta propre vie, il y a des sujets dont tu ne peux pas te rendre compte parce que tu ne les as pas expérimentés. Par exemple, je suis dans une circo rurale dont une grande partie de l’activité économique est liée à l’agriculture et moi je n’ai personne dans ma famille qui ait travaillé dedans, donc aller à la rencontre des concernés et des experts de la société civile permet de se mettre à niveau.
Ensuite, il faut porter les solutions dans les travaux parlementaires, généralement délivrées par les échanges avec le terrain. Je les retravaille en regardant si c’est en phase avec mes convictions et si c’est efficace, ça m’évite de faire pas mal de conneries. Pour la PMA par exemple, en tant que personne qui n'a pas eu besoin de recourir à la PMA pour avoir un enfant, j'ai dû énormément écouter. Ce qui m'a ouvert à des problématiques dont j'ignorais tout, comme la PMA pour les hommes transgenres, la PMA post-mortem [qui permettrait à des femmes dont le conjoint a fait congeler ses gamètes et qui est décédé de pouvoir y recourir, ndlr] ou la méthode ROPA [qui permettrait à un couple de lesbiennes d'inséminer les ovocytes fécondés de l'une dans l'utérus de l'autre, ndlr]. Mes amendements pour créer ces trois droits ne sont pas passés dans la loi modifiant l'accès à la PMA, mais j'espère avoir contribué à sensibiliser sur ces sujets pour une future loi.

C'est frustrant, d'être connu avant tout comme le député qui a œuvré pour la PMA pour toutes ?
G.C. :
Non, je suis fier de cette étiquette de député PMA, c’est une très belle signature. Le souci, c’est que comme tu te spécialises au moins médiatiquement comme le parlementaire PMA, les gens te disent « mais attendez, il n’y a pas que ça, nous la priorité, c’est comment on remplit le frigo et on trouve un job, là. » Les améliorations que j'ai tenté d'apporter au niveau local sont un peu passées sous les radars. Par exemple, j'ai décroché un million d'euros de subventions de l'État pour le budget de l'hôpital de Niort, ainsi que six nouveaux postes de policiers dans le commissariat d'un quartier où il y a des problèmes de sécurité.
J’ai donc choisi d'amorcer la campagne pour ma réinvestiture en juin sur mon bilan et c'était nécessaire car les habitants sont parfois très étonnés et me disent : « Ah bon, on ne savait pas que vous aviez fait ça aussi ! »

"On a glissé un amendement de dernière minute sur le droit au suicide assisté en secret des LR, l'idée était d'éviter de jubiler en séance pour qu'ils ne soupçonnent rien"

Un coup politique dont vous êtes fier ?
G.C. :
C'est un sujet grave mais qui, justement, valait la peine du coup : lors de l'examen de la proposition de loi d'Olivier Falorni, qui visait à créer le droit à une « assistance médicalisée active à mourir », en avril 2021. La veille de la séance de sa niche parlementaire, on se rend compte qu'un quarteron de députés LR a déposé plus de 2 500 amendements pour faire de l’obstruction parlementaire. De quoi purement et simplement empêcher d'aller au bout du texte, puisque ces niches ne correspondent qu'à une journée de débat.
J'ai donc proposé à Falorni de faire un coup : déposer un amendement de réécriture totale du 1er article, le plus important, celui portant sur le suicide assisté, sans en parler à personne. L'idée est que si on arrivait à faire voter cet amendement, ça neutraliserait tous les amendements visant à supprimer l’article 1.
Avec mes collaboratrices parlementaires, qui sont excellentes, ainsi qu'avec les administrateurs de l'Assemblée - parce que tout ça a bien sûr un aspect très juridique qui nécessite leur aide -, on a réécrit tout ça de manière discrète, au milieu des débats, avant de le glisser parmi les autres. L'idée était de ne pas être repéré donc éviter de jubiler pour qu'ils ne soupçonnent rien. Aux alentours de 22h, enfin, mon amendement est arrivé, à la surprise des quatre républicains ! On a pu le voter et l'adopter, à une très grande majorité.
Depuis, Jean Castex a fait la sourde oreille pour inscrire cette proposition de loi à l'agenda des débats du Sénat malgré un courrier qui lui a été adressé par la majorité absolue de l'Assemblée. Je considère que sur un sujet aussi grave que laisser nos concitoyens choisir leur fin de vie, on est dans un déni démocratique.

Des regrets ?
G.C. :
Oui, bien sûr. C’est presque inhérent à l’action politique, mais nos décisions n’arrivent pas suffisamment vite dans la vie des gens. La loi PMA, on a mis très longtemps à la faire et une fois que ça a été adopté, il a fallu encore attendre pour le décret. Ce temps long est très dur à accepter. Pendant trois ans, il y a des femmes qui ont cru qu’on allait le faire rapidement, qui, du coup, ne sont pas parties à l’étranger et pour qui c'est désormais trop tard. À la hauteur d’une vie, c’est catastrophique.

Vous êtes candidat à votre succession dans la première circonscription des Deux-Sèvres. Quelles sont vos priorités ?
G.C. :
Ma priorité, c'est l'accès à la santé. Les habitants de ma circonscription, comme tous les autres dès qu’on sort d’un milieu urbain, n’arrivent plus à accéder en temps et en heure à un médecin, qu’il soit spécialiste ou généraliste. C’est de la perte de chance, de la mise en danger et ce n'est pas acceptable.
J'ai une solution assez simpliste pour y faire face : obliger les jeunes médecins sortant de leurs études à s’installer dans les cinq premières années de leur vie active dans un désert médical. On est dans la même logique que les contraintes de certaines professions réglementées, comme les pharmaciens ou les notaires.
Cela soulagera la patientèle mais aussi les hôpitaux, car si on veut développer les soins en ambulatoire, il faut des médecins de proximité. De la même manière, cela peut aider au maintien des personnes âgées chez elles.
Je pensais faire face à une levée de boucliers de médecins en émettant cette proposition mais même pas : ceux à qui j'ai parlé me disent que j'ai raison parce que leurs cabinets sont saturés et qu'ils pestent contre ceux de leur profession qui quittent Niort pour s’installer à La Rochelle, alors qu'on peut s'y rendre en 50 minutes pour le weekend. Les élus locaux disent aussi y être favorables, parce que ça fait des années qu’ils créent des maisons de santé mais ne trouvent pas de professionnel à mettre dedans. La suppression du numérus clausus c’est bien, mais il va falloir dix ans pour que cela fasse effet.

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