Unknown
Les notes de pré-rentrée de Diane © A.C.

Rentrée : « Quand le pro­vi­seur a énu­mé­ré la liste des profs qui man­quaient encore, je me suis dit, punaise, on n’est pas rendu ! »

Pour cette nou­velle année sco­laire, Causette vous pro­pose de voguer sur la galère de celles et ceux qui ont choi­si le répu­té « plus beau métier du monde » avec sa série « Tohu Bahut » : un rendez-​vous régu­lier avec Diane, jeune prof d'anglais qui débute dans un lycée de la région pari­sienne, la fleur au fusil.

Tohu Bahut, épi­sode 1

Diane1 est une jeune femme de 24 ans, l'œil doux, les convic­tions en ban­dou­lière et « la taille des élèves de 4e » qu'elle a eus l'année der­nière en Bretagne. Désormais, il est pro­bable qu'elle soit plus petite que certain·es de ses élèves, puisqu'elle vient d'intégrer un lycée du Val‑d'Oise (95), où elle ensei­gne­ra l'anglais à des élèves de tout niveau.

Alors que l'actualité de cette ren­trée sco­laire est satu­rée par le sac de nœuds que repré­sente le recru­te­ment de 4 000 contractuel·les (per­sonnes qui n'ont pas pas­sé le concours de recru­te­ment des ensei­gnants) pour com­bler le manque de profs, Causette a déci­dé de don­ner la parole pen­dant toute une année à cette pro­fes­seure débu­tante pour com­prendre les rouages d'un métier exer­cé avec pas­sion et pour­tant si décrié. D'un com­mun accord, nous avons choi­si de rendre son témoi­gnage ano­nyme, afin qu'elle soit plus libre de ses pro­pos. Pour ce pre­mier épi­sode, nous avons cueilli Diane dans un café, au len­de­main de sa pré-​rentrée, pour com­prendre dans quel état d'esprit elle se trouve à la veille de ren­con­trer ses pre­miers élèves.

Premiers pas. « Hier, c'était la pré-​rentrée des profs, et j'ai décou­vert mon lycée, qui accueille envi­ron 1 600 élèves et 150 pro­fes­seurs. C’est très grand, laby­rin­thique même, mais il est bien. Les col­lègues m'ont paru de pre­mier abord super sym­pas, très soli­daires. Figurez-​vous que le rendez-​vous avait été déca­lé au jeu­di après-​midi, car il a fal­lu en urgence répa­rer une panne élec­trique qui a duré 36 heures et a même tou­ché les loge­ments de fonc­tion.
Après la par­tie pape­rasse admi­nis­tra­tive, on a eu une grosse réunion avec l'ensemble du per­son­nel, dans laquelle le pro­vi­seur nous a rap­pe­lé des règles en matière d'utilisation des télé­phones por­tables ou com­ment pro­cé­der pour un rap­port d'incident. On nous a même rap­pe­lé les règles sur la tenue ves­ti­men­taire répu­bli­caine. Personnellement, quand il fait 32 degrés, qu'une élève porte un crop top ne me dérange pas, mais c'est comme ça.
Bon, cette réu a sur­tout été l'occasion de prendre la mesure du pro­blème natio­nal de recru­te­ment, qui se pose très concrè­te­ment chez nous. Le pro­vi­seur a annon­cé que nous allons com­men­cer l'année sans infir­mière ni assis­tante sociale. Puis, quand il a énu­mé­ré la liste des profs qui man­quaient encore, je me suis dit, punaise, on n’est pas ren­du ! En anglais, il man­quait encore quatre profs donc, appa­rem­ment, ils ont trou­vé en catas­trophe une contrac­tuelle, et une étu­diante en Master 2 va venir faire son stage chez nous, mais ça ne fait tou­jours que deux sur quatre… »

Contractuel·les. « On peut se moquer de la pré­ci­pi­ta­tion avec laquelle on cherche ces contrac­tuels et des for­ma­tions réduites à por­tion congrue qui font rica­ner, sur le mode, "toi aus­si, deviens prof en trente minutes", mais tout ça, ce n'est pas la faute des contrac­tuels. La situa­tion est due aux choix poli­tiques opé­rés en amont.
Récemment, il y a eu une polé­mique dans le milieu, parce que l'académie de Créteil a sem­blé prio­ri­ser les postes des contrac­tuels plu­tôt que les titu­laires sur zone de rem­pla­ce­ment [TZR, qui sont des fonc­tion­naires de l'Éducation natio­nale, Ndlr]. De mon côté, j'aimerais qu'on soit un peu plus soli­daires, parce qu'on est tous dans la même galère.
Il y a de très bons contrac­tuels, comme de mau­vais titu­laires. Après, les envoyer au front avec si peu d’heures de for­ma­tion… La chute va être un petit peu rude. »

Enfant de la balle. « J'ai obte­nu mon Capes en juin 2021. J’ai tou­jours vou­lu être prof, c'était même un peu un rêve quand j’étais petite. Il faut dire que mes parents le sont, cer­tains oncles et tantes aus­si. Surtout, j'ai eu la chance dans ma sco­la­ri­té de tom­ber sur de super profs. Quand je suis par­tie en fac d'anglais, ma mère m'a fait com­prendre que je n'aurai pas beau­coup d'autres oppor­tu­ni­tés de car­rière que de faire prof, mais je n'ai pas ques­tion­né cette cer­ti­tude. En fait, j'ai tou­jours trou­vé ça impor­tant de me rendre utile au ser­vice public. »

Lycée en ban­lieue. « L'année der­nière, pour mon stage, je me suis retrou­vée dans un col­lège plu­tôt bour­geois de Rennes, où j'étudiais. Ça a été l'année la plus dif­fi­cile de ma vie, car je crois que se faire res­pec­ter par des col­lé­giens en tant que jeune prof femme, fluette, c'est vrai­ment très dur. C'est pour ça que je me suis débrouillée pour être en lycée cette année. J'ai l'espoir que ce soit plus calme, face à des élèves plus matures. La contre­par­tie à cette demande de chan­ge­ment d'affectation, c'est d'accepter de par­tir pour un lycée de ban­lieue pari­sienne. Vu ce que j'ai vécu l'année pas­sée, ça ne m'a pas fait peur. »

Machine à broyer. « En mars, j’ai été arrê­tée deux semaines pour épui­se­ment pro­fes­sion­nel. J’ai car­bu­ré au Xanax pour dor­mir et aux anti­dé­pres­seurs pour m'apaiser. La cause, c'est l'immense pres­sion d'une tran­si­tion ultra­vio­lente entre une année confi­née à bacho­ter seuls chez nous et le grand bain avec, bim, trente élèves par classe d'un coup. C'est sur­tout l'indiscipline de cer­tains de mes élèves, qui m'en ont fait baver. Peut-​être que le confi­ne­ment de l'année d'avant en a per­tur­bé cer­tains. Je crois aus­si que j'ai péché par naï­ve­té et can­deur, j’y allais en pen­sant qu’ils allaient tous être accro­chés à mes paroles.
Mais pour que le tableau soit com­plet, il faut quand même dire que j'ai pu comp­ter sur le sou­tien de cer­tains col­lègues. Et des élèves qui m'ont mar­quée en bien, parce qu'ils appré­ciaient la matière et que nous avons eu de beaux échanges. »

Lire aus­si l Profs : com­ment font-​ils pour gar­der la foi ?

Bonnes réso­lu­tions. « Lorsque je suis retour­née en classe après cet arrêt mala­die, je me suis pro­mis de rela­ti­vi­ser pour pou­voir conti­nuer. J’ai appris à mettre plus de dis­tance, à me dire que je n’étais pas res­pon­sable des dys­fonc­tion­ne­ments et ça m’a un peu sau­vée. Cette année, pour mes débuts à Paris, j’ai déci­dé de faire pareil. J’ai déci­dé, pour ma sta­bi­li­té psy­cho­lo­gique, de faire les choses bien mais de ne pas me blâ­mer si cela ne mar­chait pas comme je le vou­lais.
J'ai aus­si envoyé ma sous­crip­tion à un syn­di­cat, pour faire valoir mes droits en cas de nécessité. »

Distance. « J’ai eu de la chance de trou­ver un chouette appart dans Paris, mais ça, vu mon salaire, c'est parce que j'ai aus­si la chance d'emménager avec mon copain. Sinon, j'aurais dû trou­ver en grande ban­lieue.
Bon, du coup, je vais avoir tous les jours deux heures de trans­port, métro puis RER. D'après ce que j'ai com­pris, on est beau­coup de profs du bahut à habi­ter sur Paris, les trans­ports, ça fait par­tie du charme. »

Emploi du temps. « Avec en tout sept niveaux dif­fé­rents (secondes, pre­mières, ter­mi­nales géné­rales ou tech­no­lo­giques et BTS), je trouve que mon emploi du temps n’est pas trop dégueu. Si ce n’est ces deux fois deux heures de trous le mer­cre­di, que je vais essayer de faire modi­fier. J'ai dix-​huit heures et demi de cours, et en comp­tant leur pré­pa­ra­tion et la cor­rec­tion des copies, j’estime mon bou­lot heb­do­ma­daire à cin­quante heures. Il fau­dra ajou­ter à cela les réu d'équipe, les réu parents-​profs et les conseils de classe. »

Salaire. « En sep­tembre, je vais pas­ser éche­lon 2. Avec la reva­lo­ri­sa­tion du point d'indice, l'indemnisation pro­fes­seure prin­ci­pale et les cours don­nés aux BTS, j'ai cal­cu­lé que je devrais être à 1 650 euros nets après impôts. Et je vais rece­voir deux coups de pouce ponc­tuels : une prime d'entrée dans le métier et une prime d'installation, pour un total de 3 500 euros. »

Prof prin­ci­pale. « À la base, je ne vou­lais pas vrai­ment le faire, parce que je ne me trouve pas assez expé­ri­men­tée. Mais mon chef d’établissement m’a appe­lée en catas­trophe en juillet, avant que le bahut ferme, pour me le deman­der, parce qu’il ne trou­vait per­sonne. Je suis prof prin­ci­pale d'une classe de pre­mière et ce rôle consiste sur­tout à accom­pa­gner leur orien­ta­tion. Donc en l'occurence, faire le lien avec tous les profs des spé­cia­li­tés qu'ils se sont choi­sies, pour veiller à ce qu'ils soient à l'aise dans ces cours, qu'il n'y ait pas de mal-​être. Et les accom­pa­gner dans la com­pré­hen­sion de ce qui est atten­du d'eux pour leur épreuve anti­ci­pée du bac, le français. »

Déterminisme social. « C'est vrai que j'ai pas­sé un bac très dif­fé­rent de celui que mes élèves pas­se­ront. Lorsqu'on a eu les pre­mières infos sur la réforme Blanquer, je me suis dit "ah, cool", parce que j’avais pas­sé un bac lit­té­raire avec et huit heures de phi­lo, ça fait beau­coup. Mais je me suis vite ren­du compte que tant le Grand Oral que les choix d'orientation exi­gés si jeunes, si les élèves ne sont pas bien accom­pa­gnés, c'est très dif­fi­cile. Donc pour moi, cette réforme accroît une forme de déter­mi­nisme social. Et je ne parle même pas du bor­del qu'est Parcoursup, qui laisse encore sur le car­reau des élèves qui ont eu leur bac en juillet. D'où l'importance du rôle de pro­fes­seur prin­ci­pal. J’ai une col­lègue qui ne veut plus l'être parce qu’elle a pas­sé son été à rap­pe­ler ses élèves pour leur dire "n’oublie pas de vali­der ce voeu-là". »

Numérique. « Bonne nou­velle : les élèves ont tous un ordi por­table, dis­tri­bué par la Région. Ça va m'être utile, parce qu'on nous tanne un peu pour inté­grer l'usage du numé­rique dans nos cours. L'année der­nière, la plu­part de mes élèves étaient issus de milieux rela­ti­ve­ment aisés, où l'ordinateur à la mai­son allait de soi. Mais je ne perds pas de vue qu'il y a une frac­ture numé­rique à prendre en compte, j’ai donc pris l’habitude de fonc­tion­ner aus­si avec un dia­po et des feuilles impri­mées. Ce n'est certes pas très éco­lo, mais s’il faut choi­sir entre l'écologie et lais­ser des élèves sur le car­reau, j’ai fait mon choix. »

Premiers cours. « Pour com­men­cer l'année, je vais d'abord tes­ter les acquis en anglais par des petits jeux. Une reprise en dou­ceur après l'été qui occa­sionne des oublis.
Je pioche dans les manuels ce qui me plaît, mais mon plai­sir en tant que prof, c’est aus­si de créer des cours que j’aime, parce que si tu fais des choses que tu n’aimes pas, les élèves le voient et tout le monde s’emmerde.
Avec une amie ren­con­trée quand j'ai pas­sé mon Capes, on tra­vaille cer­tains de nos cours en duo et c'est vrai­ment très moti­vant. On a essayé de pré­pa­rer des sujets sym­pas, tout en res­pec­tant le pro­gramme en matière d'acquis et des axes thé­ma­tiques impo­sés. On a pré­pa­ré des séquences sur les fake news, les droits LGBT, l’environnement pour les élèves de seconde. Pour les pre­mières et les ter­mi­nales, on va par­tir sur les films de mafieux ou encore la chasse aux sor­cières, avec, si j'y par­viens, des liens avec leur prof d'histoire. Je veille à ce que les sujets ne les plombent pas trop, parce que l’actu est suf­fi­sam­ment angois­sante pour eux en ce moment. »

  1. le pré­nom a été modi­fié[]
Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.