Le 29 juin s’est achevée une audience historique de dix mois, réponse judiciaire d’une ampleur inédite à un crime d’une ampleur inédite. Pour les acteur·rices de ce procès qu’on a appelé V13, la machine judiciaire a été longue et intense. Beaucoup d’entre elles·eux ont traversé, presque chaque jour, les couloirs du Palais de justice pour tenter d’enfin comprendre ce qu’il s’est joué il y a sept ans. Comment ce procès hors-norme a‑t-il alors impacté leur vie ? Et que restera-t-il de V13 ? Des parties civiles, des avocates, une journaliste et une dessinatrice apportent à Causette leurs ressentis.
« Bonjour à tous, cette fois nous y sommes. 149e et dernier jour d’audience au procès des attentats du #13Novembre 2015. » Si vous suivez la journaliste Charlotte Piret sur Twitter, vous avez dû voir passer ce genre de tweets sur votre fil ces derniers mois. Dans la Salle des Criées du Palais de justice – réservée aux centaines de médias -, la journaliste au service enquête et justice de France Inter a suivi chaque jour les audiences avec sa consœur Sophie Parmentier. Chaque jour, elles publiaient un live tweet, pour retranscrire ce qu’il se déroulait sous leurs yeux. Des milliers de détails précis et subtils de l’enquête, à la multiplicité des témoignages des parties civiles, en passant par les déclarations des accusés, rien n’a été laissé de côté.
Bien sûr, V13 n’était pas le premier procès en « terro » – comme disent les personnes habituées des cours d’assises depuis les premiers retours de Syrie de djihadistes en 2014 – mais il était « fortement différent » de tous les autres, observe la journaliste. Par sa durée premièrement. Car pour Charlotte Piret, le procès des attentats du 13 novembre n’a pas débuté au Palais de justice le 8 septembre 2021. Il a commencé le soir même des attaques. « J’ai couvert immédiatement les attentats pour France Inter, explique t‑elle. En six ans, je n’ai jamais lâché l'instruction. Je connais les éléments factuels du dossier par cœur. » Par son aspect historique également. Comme pour les avocates interviewées par Causette, ce procès était journalistiquement « l’expérience d’une vie ».
Plongée dans l’horreur
Un traitement et une assiduité qui ont permis à Charlotte Piret d’appréhender au mieux les rouages de la procédure, même si, comme les avocat·es, elle a vécu une plongée en profondeur dans l’horreur de cette nuit. « J’ai encore la tête dedans », affirme la journaliste.
Certaines audiences se sont révélées plus difficiles à suivre et à retranscrire que d’autres. Charlotte Piret évoque notamment un mois et demi extrêmement compliqué avec cinq semaines d’audition de parties civiles, suivi d’une semaine de constatations des scènes de crime. « On a l’habitude avec notre métier d’entendre des choses difficiles, explique la journaliste trentenaire. Un témoignage, ça bouleverse, mais c’est le job. On garde notre distance. Dix-huit par jour pendant des semaines, on sature et au bout d’un moment, la distance est grignotée. Surtout que sociologiquement, la plupart des parties civiles me ressemblait, j’avais l’impression d’entendre une vie qui aurait pu être la mienne. »
Trauma vicariant
Des images, des témoignages et des sons qui ont pu entraîner chez les proches des victimes, chez les juristes comme chez les journalistes, un traumatisme vicariant. C'est-à-dire un traumatisme qui apparaît chez une personne « contaminée » par le vécu traumatique d’une autre personne avec laquelle elle est en contact. Et du contact, on peut dire qu’il y en a eu à profusion au cours de ces mois. « Interrogé comme expert à la barre, le psychiatre Thierry Baubet a fait la liste des symptômes de ce traumatisme. Dans la Salle des Criées, il y a eu un flottement, on s’est tous regardé comme pour se dire “tu peux en cocher combien toi?” Bien sûr, les souffrances ne sont pas comparables avec celles des victimes mais je pense qu’on en avait tous quatre ou cinq symptômes. » Parmi eux, un retrait social, une hypervigilance, des troubles de l’humeur, des insomnies, une extrême sensibilité. Pour la première fois dans un procès, l’aide psychologique aux victimes avait d’ailleurs été élargie aux professionnel·les. « On a été plusieurs à la solliciter », confie Charlotte Piret qui précise y être allée une fois.
« J’avais envie de parler de ce que je vivais mais seulement avec les gens de V13, c’était un huis clos tellement particulier que seuls eux pouvaient comprendre. »
Charlotte Piret, journaliste de France Inter
Si son travail sur France Inter lui a permis de garder un cadre protecteur face à la violence du procès, Charlotte Piret avoue s’être demandé, à un moment, si elle allait pouvoir rester jusqu’au bout. Alors, ce sont les ponts intimes qu’elle a – comme d'autres journalistes – construits avec des parties civiles et des avocat·es qui lui ont permis de continuer. « J’avais envie de parler de ce que je vivais mais seulement avec les gens de V13, c’était un huis clos tellement particulier que seuls eux pouvaient comprendre. »
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![Procès V13, et maintenant ? l Les journalistes et le traumatisme vicariant 2 Capture d’écran 2022 07 13 à 17.33.01](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/07/Capture-d’écran-2022-07-13-à-17.33.01-1024x694.jpg)
Si Charlotte Piret a suivi les audiences dans la Salle des Criées, Élisabeth de Pourquery a, elle, assisté au procès à 50 cm du box des accusés. Élisabeth de Pourquery est dessinatrice d’audience pour le service enquête et reportage du journal de France 2. Comme Charlotte Piret, des procès aux assises, des procès en terro, elle en a couvert. Mais comme la journaliste, V13 a pour elle une saveur particulière.
« Mon travail, c’est de faire revivre des scènes importantes par le dessin. Les dépositions des victimes, le jour où Salah Abdeslam a parlé pour la première fois, l’audition de François Hollande. »
Elisabeth de Pourquery, dessinatrice pour France 2
Avec ses aquarelles, Elisabeth de Pourquery et les huit autres dessinateur·trices ont offert au monde la seule fenêtre sur ce huit-clos. Le seul moyen, pour les personnes n’ayant pas assisté au procès, d'apercevoir les expressions du visage de Salah Abdeslam par exemple, l’émotion des parties civiles ou la rigueur du président de la cour d’assises spéciale, Jean-Louis Périès. « Mon travail, c’est de faire revivre des scènes importantes par le dessin. Les dépositions des victimes, le jour où Salah Abdeslam a parlé pour la première fois, l’audition de François Hollande. Tout ça, c’était très important à la fois pour les parties civiles et les victimes qui ne se sont pas déplacées mais aussi pour la société toute entière. »
Marathon
Pour transmettre une émotion, Élisabeth de Pourquery a dû créer des relations avec les personnes qu'elle a dessinées pendant dix mois. Que ce soit les parties civiles ou les accusés. « Au début c’était très impressionnant, Salah Abdeslam était très fermé quand je m’approchais de lui pour le dessiner et puis au fur et à mesure, il a compris. Tous les matins il me disait bonjour, quand je rentrais le soir et que je racontais ça à mon mari, il faisait une tête étrange » , dit-elle en souriant.
![Procès V13, et maintenant ? l Les journalistes et le traumatisme vicariant 3 Capture d’écran 2022 07 13 à 17.32.33](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/07/Capture-d’écran-2022-07-13-à-17.32.33-1024x606.jpg)
Pour la dessinatrice, le procès s’est révélé être un marathon éreintant. « On ne sait pas s’il se passera quelque chose d'intéressant dans la journée mais il faut y aller quand même tous les jours. » Les dépositions des victimes et les photos de la fosse du Bataclan ont pesé sur la dessinatrice. « J’ai senti que je déprimais, c’était lourd à porter », raconte-t-elle.
Sensation de vide
Mais pourtant, malgré la fatigue et la violence de l’instant, Élisabeth de Pourquery admet ressentir cette même sensation vide que les autres acteur·rices du procès interviewé·es. « C’est une histoire qui vous habite pendant un an. Il me faudra un petit temps pour que je me dise ok c’est fini. Ce procès m’a fait prendre conscience de l’importance de se protéger. »
Charlotte Piret et Élisabeth de Pourquery n’auront que l’été pour souffler, elles rempileront toutes deux à la rentrée pour le procès de l’attentat du 14 juillet 2015 à Nice. L’audience s’ouvrira le 5 septembre prochain, plus de six ans après l’attaque au camion qui a fait 86 mort·es. Synchronisme de l’Histoire, le procès se tiendra pendant trois mois dans la même salle que celle qui a accueilli l’historique et désormais derrière nous V13.
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