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©Elisabeth de Pourquery / France 2

Procès V13, et main­te­nant ? l Les jour­na­listes et le trau­ma­tisme vicariant

Le 29 juin s’est ache­vée une audience his­to­rique de dix mois, réponse judi­ciaire d’une ampleur inédite à un crime d’une ampleur inédite. Pour les acteur·rices de ce pro­cès qu’on a appe­lé V13, la machine judi­ciaire a été longue et intense. Beaucoup d’entre elles·eux ont tra­ver­sé, presque chaque jour, les cou­loirs du Palais de jus­tice pour ten­ter d’enfin com­prendre ce qu’il s’est joué il y a sept ans. Comment ce pro­cès hors-​norme a‑t-​il alors impac­té leur vie ? Et que restera-​t-​il de V13 ? Des par­ties civiles, des avo­cates, une jour­na­liste et une des­si­na­trice apportent à Causette leurs ressentis. 

« Bonjour à tous, cette fois nous y sommes. 149e et der­nier jour d’audience au pro­cès des atten­tats du #13Novembre 2015. » Si vous sui­vez la jour­na­liste Charlotte Piret sur Twitter, vous avez dû voir pas­ser ce genre de tweets sur votre fil ces der­niers mois. Dans la Salle des Criées du Palais de jus­tice – réser­vée aux cen­taines de médias -, la jour­na­liste au ser­vice enquête et jus­tice de France Inter a sui­vi chaque jour les audiences avec sa consœur Sophie Parmentier. Chaque jour, elles publiaient un live tweet, pour retrans­crire ce qu’il se dérou­lait sous leurs yeux. Des mil­liers de détails pré­cis et sub­tils de l’enquête, à la mul­ti­pli­ci­té des témoi­gnages des par­ties civiles, en pas­sant par les décla­ra­tions des accu­sés, rien n’a été lais­sé de côté. 

Bien sûr, V13 n’était pas le pre­mier pro­cès en « ter­ro » – comme disent les per­sonnes habi­tuées des cours d’assises depuis les pre­miers retours de Syrie de dji­ha­distes en 2014 – mais il était « for­te­ment dif­fé­rent » de tous les autres, observe la jour­na­liste. Par sa durée pre­miè­re­ment. Car pour Charlotte Piret, le pro­cès des atten­tats du 13 novembre n’a pas débu­té au Palais de jus­tice le 8 sep­tembre 2021. Il a com­men­cé le soir même des attaques. « J’ai cou­vert immé­dia­te­ment les atten­tats pour France Inter, explique t‑elle. En six ans, je n’ai jamais lâché l'instruction. Je connais les élé­ments fac­tuels du dos­sier par cœur. » Par son aspect his­to­rique éga­le­ment. Comme pour les avo­cates inter­viewées par Causette, ce pro­cès était jour­na­lis­ti­que­ment « l’expérience d’une vie ».

Plongée dans l’horreur 

Un trai­te­ment et une assi­dui­té qui ont per­mis à Charlotte Piret d’appréhender au mieux les rouages de la pro­cé­dure, même si, comme les avocat·es, elle a vécu une plon­gée en pro­fon­deur dans l’horreur de cette nuit. « J’ai encore la tête dedans », affirme la journaliste. 

Certaines audiences se sont révé­lées plus dif­fi­ciles à suivre et à retrans­crire que d’autres. Charlotte Piret évoque notam­ment un mois et demi extrê­me­ment com­pli­qué avec cinq semaines d’audition de par­ties civiles, sui­vi d’une semaine de consta­ta­tions des scènes de crime. « On a l’habitude avec notre métier d’entendre des choses dif­fi­ciles, explique la jour­na­liste tren­te­naire. Un témoi­gnage, ça bou­le­verse, mais c’est le job. On garde notre dis­tance. Dix-​huit par jour pen­dant des semaines, on sature et au bout d’un moment, la dis­tance est gri­gno­tée. Surtout que socio­lo­gi­que­ment, la plu­part des par­ties civiles me res­sem­blait, j’avais l’impression d’entendre une vie qui aurait pu être la mienne. » 

Trauma vica­riant 

Des images, des témoi­gnages et des sons qui ont pu entraî­ner chez les proches des vic­times, chez les juristes comme chez les jour­na­listes, un trau­ma­tisme vica­riant. C'est-à-dire un trau­ma­tisme qui appa­raît chez une per­sonne « conta­mi­née » par le vécu trau­ma­tique d’une autre per­sonne avec laquelle elle est en contact. Et du contact, on peut dire qu’il y en a eu à pro­fu­sion au cours de ces mois. « Interrogé comme expert à la barre, le psy­chiatre Thierry Baubet a fait la liste des symp­tômes de ce trau­ma­tisme. Dans la Salle des Criées, il y a eu un flot­te­ment, on s’est tous regar­dé comme pour se dire “tu peux en cocher com­bien toi?” Bien sûr, les souf­frances ne sont pas com­pa­rables avec celles des vic­times mais je pense qu’on en avait tous quatre ou cinq symp­tômes. » Parmi eux, un retrait social, une hyper­vi­gi­lance, des troubles de l’humeur, des insom­nies, une extrême sen­si­bi­li­té. Pour la pre­mière fois dans un pro­cès, l’aide psy­cho­lo­gique aux vic­times avait d’ailleurs été élar­gie aux professionnel·les. « On a été plu­sieurs à la sol­li­ci­ter », confie Charlotte Piret qui pré­cise y être allée une fois. 

« J’avais envie de par­ler de ce que je vivais mais seule­ment avec les gens de V13, c’était un huis clos tel­le­ment par­ti­cu­lier que seuls eux pou­vaient comprendre. » 

Charlotte Piret, jour­na­liste de France Inter

Si son tra­vail sur France Inter lui a per­mis de gar­der un cadre pro­tec­teur face à la vio­lence du pro­cès, Charlotte Piret avoue s’être deman­dé, à un moment, si elle allait pou­voir res­ter jusqu’au bout. Alors, ce sont les ponts intimes qu’elle a – comme d'autres jour­na­listes – construits avec des par­ties civiles et des avocat·es qui lui ont per­mis de conti­nuer. « J’avais envie de par­ler de ce que je vivais mais seule­ment avec les gens de V13, c’était un huis clos tel­le­ment par­ti­cu­lier que seuls eux pou­vaient comprendre. » 

Lire aus­si I Procès V13, et main­te­nant ? l Les par­ties civiles, entre sou­la­ge­ment et colère remon­tée à la surface

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©Elisabeth de Pourquery /​France 2

Si Charlotte Piret a sui­vi les audiences dans la Salle des Criées, Élisabeth de Pourquery a, elle, assis­té au pro­cès à 50 cm du box des accu­sés. Élisabeth de Pourquery est des­si­na­trice d’audience pour le ser­vice enquête et repor­tage du jour­nal de France 2. Comme Charlotte Piret, des pro­cès aux assises, des pro­cès en ter­ro, elle en a cou­vert. Mais comme la jour­na­liste, V13 a pour elle une saveur particulière. 

« Mon tra­vail, c’est de faire revivre des scènes impor­tantes par le des­sin. Les dépo­si­tions des vic­times, le jour où Salah Abdeslam a par­lé pour la pre­mière fois, l’audition de François Hollande. »

Elisabeth de Pourquery, des­si­na­trice pour France 2

Avec ses aqua­relles, Elisabeth de Pourquery et les huit autres dessinateur·trices ont offert au monde la seule fenêtre sur ce huit-​clos. Le seul moyen, pour les per­sonnes n’ayant pas assis­té au pro­cès, d'apercevoir les expres­sions du visage de Salah Abdeslam par exemple, l’émotion des par­ties civiles ou la rigueur du pré­sident de la cour d’assises spé­ciale, Jean-​Louis Périès. « Mon tra­vail, c’est de faire revivre des scènes impor­tantes par le des­sin. Les dépo­si­tions des vic­times, le jour où Salah Abdeslam a par­lé pour la pre­mière fois, l’audition de François Hollande. Tout ça, c’était très impor­tant à la fois pour les par­ties civiles et les vic­times qui ne se sont pas dépla­cées mais aus­si pour la socié­té toute entière. »

Marathon 

Pour trans­mettre une émo­tion, Élisabeth de Pourquery a dû créer des rela­tions avec les per­sonnes qu'elle a des­si­nées pen­dant dix mois. Que ce soit les par­ties civiles ou les accu­sés. « Au début c’était très impres­sion­nant, Salah Abdeslam était très fer­mé quand je m’approchais de lui pour le des­si­ner et puis au fur et à mesure, il a com­pris. Tous les matins il me disait bon­jour, quand je ren­trais le soir et que je racon­tais ça à mon mari, il fai­sait une tête étrange » , dit-​elle en souriant. 

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©Elisabeth de Pourquery /​France 2

Pour la des­si­na­trice, le pro­cès s’est révé­lé être un mara­thon érein­tant. « On ne sait pas s’il se pas­se­ra quelque chose d'intéressant dans la jour­née mais il faut y aller quand même tous les jours. » Les dépo­si­tions des vic­times et les pho­tos de la fosse du Bataclan ont pesé sur la des­si­na­trice. « J’ai sen­ti que je dépri­mais, c’était lourd à por­ter », raconte-​t-​elle. 

Sensation de vide 

Mais pour­tant, mal­gré la fatigue et la vio­lence de l’instant, Élisabeth de Pourquery admet res­sen­tir cette même sen­sa­tion vide que les autres acteur·rices du pro­cès interviewé·es. « C’est une his­toire qui vous habite pen­dant un an. Il me fau­dra un petit temps pour que je me dise ok c’est fini. Ce pro­cès m’a fait prendre conscience de l’importance de se protéger. » 

Charlotte Piret et Élisabeth de Pourquery n’auront que l’été pour souf­fler, elles rem­pi­le­ront toutes deux à la ren­trée pour le pro­cès de l’attentat du 14 juillet 2015 à Nice. L’audience s’ouvrira le 5 sep­tembre pro­chain, plus de six ans après l’attaque au camion qui a fait 86 mort·es. Synchronisme de l’Histoire, le pro­cès se tien­dra pen­dant trois mois dans la même salle que celle qui a accueilli l’historique et désor­mais der­rière nous V13. 

Lire aus­si I Procès V13, et main­te­nant ? l La parole est aux avocates

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