Fin juillet, le parquet de Paris a confié à un juge d’instruction une enquête sur la plainte avec constitution de partie civile d’une femme accusant depuis 2018 l’acteur Gérard Depardieu d’agression sexuelle et de viol. La comédienne avait vu sa première plainte classée sans suite par le parquet de Paris. Son avocate espère que l’instruction aboutira cette fois à une mise en examen de l’acteur… Et rappelle la difficulté pour sa cliente à porter plainte contre un « monument » du cinéma français.
Intouchable Gérard Depardieu ? L’acteur est à nouveau dans le collimateur de la justice, pour les mêmes accusations d’agression sexuelle et de viol qui avaient abouti, en juin 2019, à un classement sans suite. La plaignante, qui accuse l’acteur de l’avoir agressée sexuellement et violée les 7 et 13 août 2018 au domicile de ce dernier, s’est constituée partie civile dans une nouvelle plainte. L'acteur de 71 ans conteste « absolument » les faits. Mais saisi de cette nouvelle plainte, le parquet a confié à un juge d’instruction une enquête judiciaire fin juillet. De quoi satisfaire l’avocate de la plaignante, Me Élodie Tuaillon-Hibon : « C’est une bonne nouvelle, en ce sens que le juge d’instruction va pouvoir aller au-delà de la simple enquête préliminaire, conduite par le parquet et la police, déclare-t-elle à Causette. Désormais, ma cliente va pouvoir avoir accès au dossier de l’instruction et va avoir son mot à dire sur une procédure qui la concerne. Cela va un peu équilibrer l’affaire. »
Car, concrètement, oser s’attaquer au « monstre sacré » du cinéma français pour demander justice, c’est être prêt·e à devoir lutter aussi sur le front médiatique. Dimanche 2 août, Me Tuaillon-Hibon, a tenu à mettre les points sur les i dans un thread sur Twitter : contrairement à ce qu’a laissé entendre le magazine Voici sur son site internet, l’avocate n’a pas de doute sur les accusations portées par sa cliente.
Le 2 août, le magazine people a publié – sous le titre « Gérard Depardieu accusé de viol : l’avocate de la plaignante fait part de ses doutes, “ce sera très difficile” » – un article reprenant les propos de l’avocate dans une interview donnée au Parisien. Pour Me Tuaillon-Hibon, le titre de l’article donne le sentiment à ses lecteur·rices qu’elle-même ne croit pas en la véracité de l’agression sexuelle et du viol pour lesquels sa cliente a porté plainte à l’encontre de Gérard Depardieu. Et de recadrer : « Je n’ai pas fait part de mes doutes sur le déroulement de la procédure. Je garde ma confiance à la justice de notre pays. J’ai souligné [dans l’interview donnée au Parisien, ndlr] la difficulté d’une telle procédure pour une jeune femme face à un “monument” et si j’ai exprimé des doutes, ils concernent uniquement l’issue de toute procédure relative à une plainte pour viol. » Dans un contexte où encore seule une plainte pour viol sur dix aboutit à une condamnation, l’avocate affirme que « le traitement de ces plaintes est encore problématique en France ». Et d’ajouter : « La célébrité n’arrange rien, sans que cela induise un “complot”. »
"Si elle accusait son boulanger, ça ne se passerait pas comme ça et elle serait un peu plus tranquille"
Maître Tuaillon-Hibon
Ce que l’avocate entend par là, détaille-t-elle à Causette, c’est que le nom de Gérard Depardieu suscite des crispations qui entraînent « une pression médiatique et populaire sur [sa] cliente ». « Si elle accusait son boulanger, ça ne se passerait pas comme ça et elle serait un peu plus tranquille, tance-t-elle. Qui dit célébrité, dit argent, puissance et pouvoir. » En l’occurrence, ce « pouvoir » se traduit par la précipitation des ami·es de l’acteur issu·es du milieu du cinéma à voler à son secours dans les médias. En 2018, l’actrice Sandrine Kiberlain « ne pouvait que le défendre » et l’agent Dominique Besnehard fustigeait des « apprenties comédiennes arrivistes » qui « profèrent des accusations pour se faire connaître ». Depuis la réouverture de l’enquête judiciaire en juillet, ces levées de boucliers ont repris de plus belle : commentaires en dessous des articles, invectives sur les réseaux sociaux… Et même une certaine presse se lâche à l’encontre de la plaignante.
Le 1er août, le magazine Gala titrait « Gérard Depardieu : qui est l’actrice qui l’accuse de viol ? », avec ce sous-titre en forme de réponse : « Une comédienne ambitieuse ». « Comme si le fait d’être ambitieuse était nécessairement un défaut pour une femme, s’exclame Me Tuaillon-Hibon. Mais je ne vois vraiment pas le lien avec les accusations qu’elle porte. Je voudrais bien savoir dans quel manuel d’apprentie comédienne il est écrit : “Ma fille, pour le bien de ta carrière, tu porteras des accusations de viol à l’encontre d’un des piliers du cinéma français”. Ça n’a aucun sens. »
La priorité pour l’avocate est donc pour l’heure de préserver au maximum sa cliente et de protéger son anonymat. « Jusqu’ici, à quelques exceptions près, je trouve les médias plutôt très respectueux, précise-t-elle. Ce n’est pas toujours le cas. De mémoire, il me semble que certains s’étaient livrés à une sorte de chasse à l’identité de l’accusatrice de Luc Besson. Je pense que ça avait dû l’affecter… C’est très violent quand ça se passe ainsi. »
"Il s'agit de basses attaques contre l’un de nos grands acteurs"
Le ministre de la Culture Jack Lang en 1991
Ces précautions sont aussi dues au souvenir d’une polémique entre médias français et américains concernant l’acteur, icône vivante de l’hédonisme à la française. En 1991, alors qu’il est en lice pour l’oscar du meilleur acteur pour son interprétation de Cyrano de Bergerac, le Time Magazine déterre ses propos tenus à la fin des années 1970 dans une interview donnée au magazine Film Comment : « J’ai violé tant de fois que je ne peux pas les compter », disait-il à propos de son enfance à Châteauroux. Ce genre d’enfance d’un autre temps où les gamins, livrés à eux-mêmes, découvraient la sexualité en abusant collectivement des filles de leur âge, comme a pu le raconter François Cavanna dans Les Ritals.
Mais en 1991, certain·es aux États-Unis ne tolèrent plus la nonchalance avec laquelle Depardieu raconte ce passé trouble. Tempête des féministes américaines, tempête dans un verre d’eau pour le ministre de la Culture de l’époque, Jack Lang, qui dénonce de « basses attaques contre l’un de nos grands acteurs ». Même Marguerite Duras commentera d’un blasé et ironique : « Quand j’avais 8 ans et demi, j’ai volé une pomme du jardin ». Car pour la France, c’est la grandeur de l’artiste qu’on cherche à écorner, alors qu’il se retrouve dans la course à l’oscar face à l’Américain Kevin Costner. Finalement, ce sera le Britannique Jeremy Irons qui le décroche cette année-là.
Trente ans ont passé, mais en 2020, notre pays semble avoir toujours autant de mal à accepter sereinement que certaines idoles puissent potentiellement être bousculées sur leur piédestal. Comme le dit Me Tuaillon-Hibon : « Il y a certes une présomption d’innocence, mais il y a aussi une présomption de bonne foi de la plaignante qu’il ne faudrait pas oublier. »