Info Causette. Elles ne sont que 2800 en France et leur métier, pourtant essentiel, est méconnu. Les assistantes sociales scolaires, réunies au sein d’un tout jeune collectif – mais massif à l'échelle de la profession – disent aujourd’hui leur ras-le-bol de voir leur travail déconsidéré, au détriment des élèves. Fanny, l’une des membres, nous explique leurs revendications.
Causette : Pourquoi vous être réunies au sein d’un collectif ?
Fanny : C’est né d’un sentiment d’injustice. Lors de son discours de politique générale du 30 janvier, notre Premier ministre, ancien ministre de l'Éducation nationale, a évoqué les champs prioritaires de la santé mentale, du harcèlement scolaire et il a annoncé que les infirmières scolaires allaient être revalorisées parce qu'elles faisaient un travail extraordinaire concernant ces thématiques-là. Ce dont nous avons toutes été très contentes, c'est mérité pour nos collègues infirmières. Mais cela nous a aussi donné un sentiment d'injustice très fort, qui est là depuis plusieurs mois déjà. Ces derniers temps, la question du harcèlement scolaire a été très médiatisée, sans qu’à aucun moment le mot “assistante sociale” n'ait été prononcé dans les médias ou par le gouvernement. Alors qu’on est beaucoup à s’occuper de cette problématique – ce n’est pas la mission des enseignants, qui ne sont pas formés pour ça. Ce discours du 30 janvier, ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour beaucoup de collègues.
Cette mobilisation, qui s’accompagne aussi d’une pétition, est en effet inédite…
Fanny : On avait déjà un groupe Facebook qui réunissait près de 900 assistantes sociales scolaires. Du coup, s'est créé relativement vite un groupe WhatsApp pour mobiliser tout le monde. Aujourd’hui, le collectif rassemble environ 1500 assistantes sociales : beaucoup d'assistantes sociales du service social en faveur des élèves [les assistantes sociales scolaires, ndlr], mais aussi des assistantes sociales du Crous (qui interviennent auprès des étudiants) et des assistantes sociales du personnel de l’Éducation nationale, soient des professionnelles des trois services sociaux de l'Éducation Nationale. Ce qui est assez nouveau, c’est qu’il y a beaucoup de personnes qui ne sont pas syndiquées, qui ne l’ont jamais été et qui se disent que là, ce n’est plus possible. Les assistantes sociales scolaires sont oubliées, méprisées. Nous sommes vraiment les invisibles de l’institution.
En quoi consiste votre métier et dans quelles conditions travaillez-vous ?
Fanny : Les assistantes sociales scolaires travaillent dans les établissements scolaires, essentiellement dans le second degré [en collèges et lycées, ndlr]. Nous intervenons auprès des élèves et de leur famille. Parmi nos principales missions, il y a la prévention et la protection de l’enfance, la lutte contre le décrochage scolaire, la lutte contre les violences et le harcèlement scolaire à l’interne et à l’externe [soit dans et hors des établissements, ndlr], l’inclusion des élèves, l’accompagnement social et l’accès aux droits (aides financières, orientation vers différents professionnels), la prévention en matière de santé et de citoyenneté… Soit beaucoup de missions pour peu d’assistantes sociales. Cette année par exemple, je travaille sur trois établissements et ai donc un public de 1700 élèves.
Aujourd’hui, sur l'ensemble trois services sociaux de l’Éducation National, on compte 3200 assistantes sociales. Parmi elles, 2700 à 2800 interviennent dans les établissements scolaires.
Pour 12 millions d’élèves. La dernière circulaire de mission de 2017 le dit très clairement : la couverture exhaustive du territoire n’est pas attendue. Nous intervenons donc en priorité dans les établissements REP+, les établissements ruraux, dans les lycées professionnels, ceux qui ont un internat, ceux qui ont des dispositifs Ulis [qui accueillent des élèves handicapé·es, nldr], Segpa [accueillant des élèves en grande difficulté scolaire] ou UPE2A [pour élèves allophones nouvellement arrivé·es]. Dans un établissement scolaire du centre-ville avec une population plutôt aisée, clairement, ça n’existe pas.
Que demandez-vous aujourd’hui ?
Fanny : Déjà, une revalorisation des salaires, au même titre que nos autres collègues, qui relèvent, comme nous, de la catégorie A. Il faut se rendre compte que, lorsque j’ai commencé, le salaire était de 1270 euros par mois, pour 42 heures de travail par semaine – là où une assistante sociale employée par le Département commence à 1600 euros par mois. Les travailleurs sociaux qui aimeraient travailler dans l’Éducation Nationale le disent : ils ne viennent pas, car nos salaires ne permettent pas de vivre correctement. Il y a un vrai problème d’attractivité. Donc nous demandons une revalorisation salariale et nous demandons aussi à avoir la prime Ségur, qui a été attribuée aux travailleurs sociaux qui exercent dans la fonction publique… mais pas à nous. Enfin, nous demandons une création massive de postes d’assistantes sociales. Il faut qu’un vrai service social du premier degré [en primaire, ndlr] soit créé. Le harcèlement scolaire, la maltraitance, l’inceste, ça ne commence pas à 11 ans. Tout comme ça ne se limite pas aux établissements REP+.
Quelles sont les répercussions, pour les élèves, du peu de moyens accordés aux assistantes sociales scolaires ?
Fanny : Concrètement, ce sont des situations de maltraitances, d’inceste, de violences, qui ne sont pas repérées. Ce sont parfois d’autres professionnels, pas formés, qui vont s’en occuper avec des mots ou des actes maladroits qui viennent aggraver les choses. Ce sont des élèves qui vont se mettre en situation d’échec. Il est très clair que, si on ne prévient pas les violences, il y a plus de risques qu’elles arrivent. Aujourd’hui, un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups d’un parent. Trois élèves par classes sont victimes d’agression sexuelle ou d’inceste. La première cause de mortalité chez les 15–25 ans, c’est le suicide. On ne peut pas faire d'économie sur la santé des enfants et des adolescents. Sans système social et solidaire dans les établissements scolaires, on risque d’avoir des jeunes qui, une fois adultes, deviendront à leur tour soit victimes, soit auteurs de violences.
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