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À l'intérieur de la boutique éphémère de Shein (©Clément Boutin)

« On est un peu tiraillés » : à la ren­contre des client·es de la bou­tique éphé­mère Shein, entre bonnes affaires et « conscience écologique »

Pendant quatre jours, le nou­veau géant chi­nois du prêt-​à-​porter Shein ouvre une bou­tique éphé­mère à Paris. Ce ven­dre­di matin, Causette est allée à la ren­contre de ses premie·ères jeunes client·es. La plu­part font état d'un conflit interne entre leur enga­ge­ment pour la pla­nète et leur envie de pro­fi­ter des avan­ta­geux bas prix pra­ti­qués par la marque.

Ce ven­dre­di matin, en plein cœur du Marais, à Paris, il y a foule. Des passant·es et des cyclistes regardent, amusé·es et surpris·es, plus d'une cen­taine de per­sonnes se pres­ser devant l'enseigne Archive 18–20. Un homme âgé, qui attend le bus 75 direc­tion Pantin, s'interroge. « La marque de prêt-​à-​porter chi­noise Shein s'installe tem­po­rai­re­ment ici », lui explique-​t-​on. Il ne la connaît pas, mais nous lance, légè­re­ment aba­sour­di : « Ils font la queue pour ça ? » Jusqu'à lun­di soir, une bou­tique éphé­mère pro­pose de pal­per la mar­chan­dise du mas­to­donte chi­nois de la vente en ligne Shein.

Fondée en 2008, la marque de fast-​fashion connaît, en effet, depuis quelques années un engoue­ment monstre chez les jeunes. Des col­lec­tions variées, de nom­breuses tailles, des prix imbat­tables… Le nou­veau géant de la mode répète une for­mule écu­lée, mais qui fait mouche chez les moins de 25 ans. Derrière le mar­ke­ting colo­ré de Shein se cache pour­tant une autre réa­li­té : empreinte car­bone désas­treuse, alertes d'ONG sur les condi­tions de tra­vail de ses four­nis­seurs, et accu­sa­tions de recours au tra­vail des Ouïghours

Conscience éco­lo­gique
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Une par­tie de la queue pour entrer au sein de la bou­tique éphé­mère
(©Clément Boutin)

Interrogées devant la bou­tique éphé­mère, les jeunes client·es se disent en majo­ri­té « tiraillés » entre leurs convic­tions éco­lo­giques nais­santes et l’irrésistible attrait des col­lec­tions de ce nou­veau géant de la mode. Clarisse, une lycéenne fran­ci­lienne de 18 ans, assure essayer d'acheter le moins pos­sible chez eux, « seule­ment des maillots de bain de temps en temps », mais recon­naît que les prix sont incom­pa­rables par rap­port aux autres marques de mode, qui lui sont inac­ces­sibles, infla­tion ou non. « Quand on voit ce que ça coûte, on se demande com­ment ils font… », ajoute-​t-​elle, avant d'affirmer avoir pour­tant une « conscience éco­lo­gique ». « Je refuse de prendre l'avion pour des tra­jets en France, je prends au maxi­mum les trans­ports en com­mun, je fais le plus de tra­jets à pied, énumère-​t-​elle. J'essaie aus­si de réduire au maxi­mum ma consom­ma­tion de plas­tique... »

Non loin d'elle, Virginie, 44 ans, se dit « cliente régu­lière » du site de vente et vient sur place pour mieux voir à quoi res­semblent les pièces. « Shein pro­pose des prix bas, mais aus­si un large éven­tail de modèles, pour tous les goûts et toutes les tailles », explique celle qui tra­vaille comme cadre ban­caire en Île-​de-​France. Cette der­nière indique connaître, elle aus­si, les cri­tiques qui entourent le groupe chi­nois, mais oppose que des concurrent·es, « comme Nike », sont aus­si concerné·es. « Je sais que mon empreinte car­bone n'est pas géniale, admet-​elle. J'essaie donc de recy­cler au maxi­mum mes vête­ments pour com­pen­ser : soit je les donne à des asso­cia­tions, soit je les vends. J'achète aus­si la majo­ri­té des vête­ments auprès de marques sérieuses. C'est sur­tout pour des petits achats, comme des affaires de vacances, que je me tourne vers Shein. »

« Ce n'est pas la seule marque qui fait ça »

Kendra, une étu­diante infir­mière de 23 ans, affirme de son côté ne pas être au cou­rant des cri­tiques qui sont faites à Shein : « Depuis trois ans, j'achète tous les mois des vête­ments chez eux. Je les trouve pas chers et j'aime bien leur style. » Son amie Sarah, 24 ans, a eu vent de ce qui dit contre la marque de prêt-​à-​porter. « La vie est dure », avance-​t-​elle, avant d'indiquer essayer d'acheter cer­taines de ses pièces en seconde main.

Franck, un chef d'entreprise de 55 ans, fait la queue pour sa fille, une ado­les­cente de 12 ans en vacances en dehors de Paris. « Au début, je n'étais pas chaud pour qu'elle com­mande sur ce site, j'avais peur que ce soit de la merde, mais en fait ça va », explique-​t-​il. Quand on lui fait remar­quer qu'il existe une empreinte car­bone non négli­geable autour de la fabri­ca­tion et du trans­port de ces vête­ments depuis les usines chi­noises jusqu'aux boites-​aux-​lettres des client·es français·es, ain­si que des signa­le­ments d'ONG et de médias sur l'exploitation des ouvrier·ères (quand il ne s'agit tout bon­ne­ment pas de tra­vail for­cé dans les camps d'internement des ouïghour·es), Franck balaie tous ces argu­ments. « Ce n'est pas la seule marque qui fait ça. J'ai pas­sé 25 ans en Chine, je peux vous dire que 80% des pro­duits que nous uti­li­sons viennent de là-​bas. Concernant l'empreinte car­bone, douze des plus grands cli­ma­to­logues au monde affirment que le réchauf­fe­ment cli­ma­tique ne pro­vient pas des émis­sions de car­bone mais d'une tem­pête solaire », explique-​t-​il très sérieu­se­ment. Le mon­sieur reprend là un « hoax cli­ma­tique », une fausse infor­ma­tion, répan­du « dans la blo­go­sphère cli­ma­tos­cep­tique », expli­quait dans un article Le Monde en 2015, avant de le démystifier. 

Mais là n'est pas la ques­tion. Une étude de la carte de paie­ment pour adolescent·es Pixpay 1, consa­crée à leur impact car­bone, a été dévoi­lée en juin 2022. Selon elle, la mode concerne 1/​3 des émis­sions de CO2 des jeunes. Shein est la 5e marque la plus consom­mée par ces dernier·ères et pèsent 12% dans leurs émis­sions de CO2, contre 6% pour McDonalds et 5% pour Amazon. Des consé­quences non négli­geables, quoi qu'en disent certain·es, pour la planète.

« On a conscience de ne pas être parfait »

Plus de 10.000 client·es sont attendu·es pour les quatre jours d'ouverture de la bou­tique, indique à Causette Marion Bouchut, direc­trice de la com­mu­ni­ca­tion de Shein en France, qui s'appuie sur le chiffre d'affluence de leur der­nier pop-​up à Lyon, esti­mé autour de 8000 per­sonnes. Lors de la pré-​ouverture, jeu­di, où étaient invité·s médias et influenceur·euses, « tout s'est très bien pas­sé » et « aucune mani­fes­ta­tion » d'anti ne s'est tenue devant la bou­tique éphé­mère. « On a conscience de ne pas être par­fait », assure la com­mu­ni­cante, avant d'ajouter que cer­taines cri­tiques naissent, selon elle, d'une « incom­pré­hen­sion » sur la manière dont la marque de prêt-​à-​porter fonc­tionne : « Nous pro­dui­sons à la demande, ce qui mini­mise notre stock et donc notre impact sur l'environnement. Nos concur­rents ont 25% d'invendus, nous, moins de 10%. Notre busi­ness model est donc plus durable. »

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À l'intérieur de la bou­tique éphé­mère de Shein (©Clément Boutin)

Marion Bouchut met en avant des nou­veau­tés, allant dans le bon sens affirme-​t-​elle : l'ouverture de « Shein exchange », sorte de pla­te­forme d'upcycling simi­laire à Vinted, leur col­lec­tion « evoluSHEIN » réa­li­sée à par­tir de matières recy­clées ou encore l'ouverture de centres de fabri­ca­tion et d'exportation au Brésil et en Turquie, pour réduire leur impact car­bone. Au sein de la bou­tique éphé­mère pari­sienne, il est d'ailleurs éga­le­ment pos­sible d'amener des vête­ments et des chaus­sures pour qu'ils soient recy­clés. Une ini­tia­tive dont les client·es interrogé·es par Causette n'étaient pas au cou­rant. À l'intérieur de la bou­tique, au bout d'une heure d'ouverture, seule­ment trois pièces se trouvent dans la boîte pré­vue à cet effet. 

Un salaire plus élé­vé que la moyenne en Chine

Concernant les condi­tions de tra­vail de leurs employé·es et sous-traitant·es, Marion Bouchut affirme que plu­sieurs audits ont été réa­li­sés. Si dans cer­taines usines, des heures sup­plé­men­taires sont effec­tuées et ne sont « pas res­pec­tées », les salaires des ouvrier·ères sont « au-​dessus de la moyenne des salaires chi­nois ». Ces don­nées sont dis­po­nibles dans un rap­port en ligne indi­quant, en effet, que dans 150 usines répar­ties dans huit villes du sud de la Chine, « les tra­vailleurs des four­nis­seurs de Shein gagnent des salaires beau­coup plus éle­vés que la moyenne », chiffres à l'appui. Concernant les inquié­tudes sur le recours au tra­vail des Ouïghour·es, elle donne les mêmes élé­ments de réponse que son groupe, à savoir qu'il « ne se source pas dans la région du Xinjiang » où l'ethnie musul­mane est, selon des ONG, vic­time d'un géno­cide par les auto­ri­tés chinoises.

« On est mas­si­ve­ment cri­ti­qués, alors que l'on n'est pas pires que les autres et que notre busi­ness model per­met de limi­ter notre impact envi­ron­ne­men­tal » estime, enfin, Marion Bouchut. Malgré ses déné­ga­tions et ses quelques efforts, Shein a néan­moins une empreinte car­bone indé­niable et nour­rit les envies de sur­con­som­ma­tion, avec ses bas prix et ses bou­tiques éphé­mères. Pour espé­rer entrer dans celle qui vient d'ouvrir, comp­tez envi­ron une heure de queue, le lieu ayant une capa­ci­té de 70 à 80 per­sonnes maxi­mum. Un temps d'attente qui pour­rait aus­si être mis à pro­fit pour écu­mer les nom­breuses fri­pe­ries dont regorge le quar­tier du Marais, où les vête­ments de seconde main pour­raient sou­la­ger les consciences éco­lo­giques de certain·es.

  1. enquête basée sur les don­nées Pixpay des 100 000 uti­li­sa­teurs ado­les­cents entre le 22 avril 2021 et le 10 avril 2022[]
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