Liberté de la presse : le rap­port annuel de RSF alerte sur les dégâts de la désinformation

Mardi, l’ONG Reporters sans fron­tières a dévoi­lé son clas­se­ment annuel de l'état mon­dial de la liber­té de la presse. La France, qui a gagné deux places, est 24e, loin der­rière la Norvège en tête de clas­se­ment. Cette année, dans son rap­port, l'ONG s'inquiète éga­le­ment des effets de la dés­in­for­ma­tion et de la pro­pa­gande sur la liber­té de la presse. 

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© engin akyurt

«​En 2023, la dés­in­for­ma­tion au sens large est plus que jamais une menace majeure pour la liber­té de la presse dans le monde », c’est le constat alar­mant que dresse l’ONG Reporters sans fron­tières (RSF) dans son 21e clas­se­ment annuel publié mar­di 2 mai, à l’occasion de la jour­née mon­diale de la liber­té de la presse. Pour l’ONG, les nou­veaux « moyens tech­no­lo­giques per­mettent de dif­fu­ser le faux, de le pré­sen­ter pour le vrai, d'amplifier les rumeurs, la pro­pa­gande », et leur « inten­si­té est inédite ».

Comme tous les ans, l'ONG pré­sente en pre­mier lieu son clas­se­ment mon­dial de la presse. Et pas de chan­ge­ment pour le lea­der : pour la 7e année consé­cu­tive, la Norvège conserve sa place de modèle en liber­té de la presse. En bas de clas­se­ment en revanche, le trio de fin est, cette année, com­po­sé du Vietnam, de la Chine et de la Corée du Nord. Dans le détail, la situa­tion est « très grave » dans 31 pays, « dif­fi­cile » dans 42 et « pro­blé­ma­tique » dans 55. Elle est à l'inverse jugée « plu­tôt bonne » dans 52 pays. Ainsi, dans sept pays sur dix, les condi­tions d’exercice du jour­na­lisme sont mauvaises. 

Bien que la France a, elle, pro­gres­sé de deux places cette année, RSF juge tou­te­fois que « si le cadre légal et régle­men­taire est favo­rable à la liber­té de la presse et à l’indépendance des rédac­tions, les outils visant à lut­ter contre les conflits d’intérêts sont insuf­fi­sants, inadap­tés et dépas­sés ». L’ONG indique éga­le­ment que les repor­ters exer­çant en France conti­nuent de faire l’objet de vio­lences poli­cières en plus des agres­sions de la part de manifestant·es, mal­gré l’adoption d’un nou­veau sché­ma de main­tien de l’ordre, jugé plus res­pec­tueux des droits des journalistes.

Pour Christophe Deloire, secré­taire géné­ral de RSF, « le clas­se­ment mon­dial prouve l’existence d’une très grande vola­ti­li­té des situa­tions, avec des hausses et des baisses impor­tantes, des chan­ge­ments inédits. […] Cette insta­bi­li­té est l’effet d’une agres­si­vi­té accrue du pou­voir dans de nom­breux pays et d’une ani­mo­si­té crois­sante envers les jour­na­listes sur les réseaux sociaux et dans le monde physique. »

« L’industrie du simulacre »

Cette édi­tion 2023 met sur­tout en avant les effets de la dés­in­for­ma­tion. Dans les deux tiers des pays éva­lués par le clas­se­ment, la majo­ri­té des répondant·es aux ques­tion­naires « signalent une impli­ca­tion des acteurs poli­tiques » dans des « cam­pagnes de dés­in­for­ma­tion mas­sive ou de pro­pa­gande ». C’est le cas de la Russie, de l’Inde, de la Chine ou du Mali. Pour Christophe Deloire, c’est « la crois­sance de l’industrie du simu­lacre, qui façonne et dis­tri­bue la dés­in­for­ma­tion, et donne des outils pour la fabriquer ». 

À l’origine de cette dés­in­for­ma­tion, les « diri­geants de pla­te­formes numé­riques qui se moquent de dis­tri­buer de la pro­pa­gande ou de fausses infor­ma­tions ». C'est le cas d'Elon Musk, le pro­prié­taire de Twitter, qui démontre « que les pla­te­formes sont des sables mou­vants pour le jour­na­lisme », explique l’ONG. En effet, en fin d'année der­nière, Twitter avait pro­cé­dé au ban­nis­se­ment des comptes de plu­sieurs jour­na­listes de manière pure­ment arbi­traire, rap­pelle cet article de RSF.

Manipulation et propagande 

Autre phé­no­mène, les faux conte­nus créés par les Intelligences Artificielles (IA). « Midjourney, une IA qui génère des images en très haute défi­ni­tion, ali­mente les réseaux sociaux en faux de plus en plus vrai­sem­blables », sou­ligne RSF, citant de fausses pho­tos de l’arrestation de Donald Trump « reprises de manière virale ».

L'ONG évoque éga­le­ment « des pro­duc­tions mani­pu­la­toires à grande échelle » par des socié­tés spé­cia­li­sées, pour le compte de gou­ver­ne­ments ou d’entreprises. En février, une vaste enquête du col­lec­tif de jour­na­listes d’investigation Forbidden Stories avait ain­si révé­lé les acti­vi­tés d’une socié­té israé­lienne bap­ti­sée « Team Jorge » et spé­cia­li­sée dans la dés­in­for­ma­tion. Pour RSF, toutes ces « capa­ci­tés de mani­pu­la­tion inédites sont uti­li­sées pour fra­gi­li­ser celles et ceux qui incarnent le jour­na­lisme de qua­li­té, en même temps qu’elles affai­blissent le jour­na­lisme lui-​même ».

Cette fra­gi­li­sa­tion de la liber­té de la presse a lais­sé notam­ment à la Russie un ter­rain pro­pice à l’expansion de sa pro­pa­gande. Classée 164e sur 180 pays (elle a per­du 9 places), la Russie a inter­dit, blo­qué et décla­ré « agents de l’étranger » les der­niers médias indé­pen­dants russes. Et, dans l’objectif d'« éta­blir un contrôle total sur le Donbass et le sud de l'Ukraine » entre juin et août 2022, « des chaînes de télé­vi­sion et de radio pro-​russes sont sor­ties de terre dans plu­sieurs villes ukrai­niennes rava­gées par la guerre ; une "école de jour­na­lisme" a ouvert pour recru­ter de nou­veaux "jour­na­listes" », détaille RSF.

Un focus sur l’Europe

Le clas­se­ment révèle que l’Europe et plus pré­ci­sé­ment l’Union euro­péenne est la région du monde où les condi­tions d’exercice du jour­na­lisme sont les plus faciles, mal­gré une situa­tion miti­gée sur le conti­nent. Sur l’année 2022, l’Allemagne a enre­gis­tré un nombre record de vio­lences et d’interpellations de jour­na­listes, ce qui lui a fait perdre 5 places dans le clas­se­ment. À l'origine des menaces, du har­cè­le­ment et des agres­sions que subissent les jour­na­listes, de la part d'acteur·rices de l’extrême droite, mais aus­si de membres de l’extrême gauche et de la police, pré­cise l'ONG. La Grèce, qui est en der­nière place sur le clas­se­ment de l’UE, fait, elle, sur­veiller ses jour­na­listes par des ser­vices secrets et par un logi­ciel espion puis­sant. Effectivement, en août der­nier, les ser­vices natio­naux de ren­sei­gne­ment avaient déci­dé d'espionner Nikos Androulakis, chef du par­ti d'opposition socia­liste grec Pasok et membre du Parlement euro­péen, et le jour­na­liste Thanasis Koukakis. Ils ont éga­le­ment uti­li­sé le logi­ciel mal­veillant Predator pour les sur­veiller. Predator per­met d'accéder aux mes­sages, mêmes cryp­tés, aux pho­tos mais aus­si d'activer le micro et la camé­ra, et ce même à dis­tance, explique Euronews.

Ce sont les pays de l’Asie cen­trale (Ouzbékistan, Kazakhstan ou encore le Kirghizistan) qui font bais­ser le score euro­péen, en rai­son du nombre d’attaques contre les médias. Enfin, le Turkménistan, éga­le­ment situé en Asie cen­trale et à la 176e du clas­se­ment, où la cen­sure et la sur­veillance ont encore été ren­for­cées après l’élection du fils du pré­sident sor­tant, Serdar Berdimoukhamedov, en mars 2022, fait tou­jours par­tie des cinq der­niers pays en matière de liber­té de la presse.

À lire aus­si I La jour­na­liste démis­sion­naire Zhanna Agalakova dénonce un sys­tème média­tique russe aux ordres du Kremlin

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