Ils en sont persuadés, leur cause est juste. Militant·es xénophobes, anti-IVG, parents réfractaires aux ABCD de l’égalité… les réactionnaires s’inspirent de la désobéissance civile pour protester et se faire entendre. Gênant.
![Quand les réacs se piquent de désobéissance civile 1 blaspheme a](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/01/blaspheme_a.jpg)
Décrocher Manu pour dénoncer son inaction climatique et repousser des migrant·es à la frontière franco-italienne dans les Alpes, même démarche contestataire ? C’est le parallèle qu’a osé le porte-parole de Génération identitaire, fin septembre, dans une interview donnée au journal d’extrême droite Politique Magazine : « Dans les deux cas, l’opinion politique personnelle des juges s’est substituée à la rigueur juridique, tantôt pour relaxer les gentils défenseurs de la planète, tantôt pour sanctionner les méchants militants patriotes. »
Après la condamnation, en août, de trois de ses militants à six mois de prison ferme pour « activités exercées dans des conditions de nature à créer dans l’esprit du public une confusion avec l’exercice d’une fonction publique », Génération identitaire, jouant la victime d’un « procès politique », a annoncé de nouvelles actions coup d’éclat afin de poursuivre son œuvre de « résistance » nationaliste. Ce champ lexical, théoriquement réservé à des idées progressistes, vient bousculer l’acceptation générale de la notion de désobéissance civile : il n’y a pas que les citoyens du monde végan et zéro déchet qui savent l’utiliser.
Une conception intégriste
Comme l’a montré Marianne Debouzy dans son ouvrage La Désobéissance civile aux États-Unis et en France : 1970–2014, des militant·es antiavortement s’en sont ouvertement réclamé. « Pierre Debray, journaliste, fervent catholique d’extrême droite, lance un “Appel à la désobéissance civile” dans son Courrier hebdomadaire du 28 octobre 1982 », note l’historienne. L’enjeu ? Mener une grève partielle des impôts pour arrêter de « financer un crime ». Debray déclare également reconnaître « à l’État le droit de [le] poursuivre », s’inscrivant dans la perspective « légaliste » des désobéissants qu’a mis en lumière la philosophe Chloé di Cintio dans son Petit Traité de désobéissance civile : « Les désobéissants ne sont pas contre la loi en tant que telle, mais contre une loi particulière quand ils l’estiment injuste, détaille-t-elle à Causette. Et ils mobilisent à mon sens trois grandes valeurs : la justice, la liberté et la démocratie. » Les militant·es anti-IVG désobéissant·es sont porté·es par une certaine idée de la justice, mobilisant ici une conception intégriste de la morale judéo-chrétienne. « Sauf que la désobéissance civile n’est pas censée être une lutte contre le libre-choix de ses concitoyens, observe Chloé di Cintio. Et le fait que l’avortement soit un droit n’oblige personne à y recourir. »
Cette déviation du concept « pose une vraie question » à la politologue Sylvie Ollitrault : « C’est une forme de liberté d’expression et rien n’empêche des groupes non progressistes de s’en emparer ! » En 2013, on a ainsi vu des maires rappelés à l’ordre par la justice ou par le gouvernement parce qu’ils refusaient de marier des couples homosexuels, et donc de se soustraire à la loi, ou encore des parents protester pacifiquement contre les ABCD de l’égalité, programmes d’éducation à l’égalité et au genre, en retirant leurs enfants des écoles. « On est ici dans une forme d’objection de conscience, un peu comme des conscrits refusant d’aller à la guerre, analyse Chloé di Cintio. Finalement, cela pose les mêmes questions que lorsque le Rassemblement national se présente aux élections : peut-il utiliser des outils démocratiques pour porter au pouvoir des valeurs antidémocratiques ? » La démocratie a les défauts de ses qualités.