Ils en sont persuadés, leur cause est juste. Militant·es xénophobes, anti-IVG, parents réfractaires aux ABCD de l’égalité… les réactionnaires s’inspirent de la désobéissance civile pour protester et se faire entendre. Gênant.
Décrocher Manu pour dénoncer son inaction climatique et repousser des migrant·es à la frontière franco-italienne dans les Alpes, même démarche contestataire ? C’est le parallèle qu’a osé le porte-parole de Génération identitaire, fin septembre, dans une interview donnée au journal d’extrême droite Politique Magazine : « Dans les deux cas, l’opinion politique personnelle des juges s’est substituée à la rigueur juridique, tantôt pour relaxer les gentils défenseurs de la planète, tantôt pour sanctionner les méchants militants patriotes. »
Après la condamnation, en août, de trois de ses militants à six mois de prison ferme pour « activités exercées dans des conditions de nature à créer dans l’esprit du public une confusion avec l’exercice d’une fonction publique », Génération identitaire, jouant la victime d’un « procès politique », a annoncé de nouvelles actions coup d’éclat afin de poursuivre son œuvre de « résistance » nationaliste. Ce champ lexical, théoriquement réservé à des idées progressistes, vient bousculer l’acceptation générale de la notion de désobéissance civile : il n’y a pas que les citoyens du monde végan et zéro déchet qui savent l’utiliser.
Une conception intégriste
Comme l’a montré Marianne Debouzy dans son ouvrage La Désobéissance civile aux États-Unis et en France : 1970–2014, des militant·es antiavortement s’en sont ouvertement réclamé. « Pierre Debray, journaliste, fervent catholique d’extrême droite, lance un “Appel à la désobéissance civile” dans son Courrier hebdomadaire du 28 octobre 1982 », note l’historienne. L’enjeu ? Mener une grève partielle des impôts pour arrêter de « financer un crime ». Debray déclare également reconnaître « à l’État le droit de [le] poursuivre », s’inscrivant dans la perspective « légaliste » des désobéissants qu’a mis en lumière la philosophe Chloé di Cintio dans son Petit Traité de désobéissance civile : « Les désobéissants ne sont pas contre la loi en tant que telle, mais contre une loi particulière quand ils l’estiment injuste, détaille-t-elle à Causette. Et ils mobilisent à mon sens trois grandes valeurs : la justice, la liberté et la démocratie. » Les militant·es anti-IVG désobéissant·es sont porté·es par une certaine idée de la justice, mobilisant ici une conception intégriste de la morale judéo-chrétienne. « Sauf que la désobéissance civile n’est pas censée être une lutte contre le libre-choix de ses concitoyens, observe Chloé di Cintio. Et le fait que l’avortement soit un droit n’oblige personne à y recourir. »
Cette déviation du concept « pose une vraie question » à la politologue Sylvie Ollitrault : « C’est une forme de liberté d’expression et rien n’empêche des groupes non progressistes de s’en emparer ! » En 2013, on a ainsi vu des maires rappelés à l’ordre par la justice ou par le gouvernement parce qu’ils refusaient de marier des couples homosexuels, et donc de se soustraire à la loi, ou encore des parents protester pacifiquement contre les ABCD de l’égalité, programmes d’éducation à l’égalité et au genre, en retirant leurs enfants des écoles. « On est ici dans une forme d’objection de conscience, un peu comme des conscrits refusant d’aller à la guerre, analyse Chloé di Cintio. Finalement, cela pose les mêmes questions que lorsque le Rassemblement national se présente aux élections : peut-il utiliser des outils démocratiques pour porter au pouvoir des valeurs antidémocratiques ? » La démocratie a les défauts de ses qualités.