C’est officiel : l’Assemblée nationale vient de reconnaître l’existence du « covid long ». Une forme persistante de la maladie, dont les femmes sont les premières victimes. Alors qu’elles seraient quatre fois plus touchées que les hommes, elles restent bien moins prises au sérieux.
C’est peut-être un détail pour vous, mais pour Patricia Mirallès et toutes les femmes malades (ou futures malades) du Covid-19, ça veut dire beaucoup. C’était « le combat » de cette députée (LREM, première circonscription de l’Hérault) et victime, depuis un an, d’une forme longue du Covid-19 : l’Assemblée nationale vient, ce mercredi 17 février, de reconnaître officiellement le « covid long » comme une affection de longue durée.
Une proposition de résolution a été adoptée – à l'unanimité – en ce sens. À l’initiative de la parlementaire (et présentée par trois groupes parlementaires), elle est destinée à « mieux connaître ce qu’est le covid long et ne pas laisser les patients dans l’errance médicale », nous explique-t-elle. Des patient·es aux histoires variées, allant de la persistance d’un covid « classique » à de brutales rechutes, suivies de problèmes inexpliqués (brûlure d’articulation, troubles neurologiques etc.). Des patient·es dont les symptômes, s’ils n’étaient pas précédés par une hospitalisation ou un passage en réanimation, ne pouvaient a priori pas être considérés comme maladie professionnelle. Des patient·es, mais surtout des patientEs. Alors que l’on se penche à peine sur ces formes durables de la maladie, il est un fait encore largement méconnu : elle touche principalement les femmes.
60% à 80% de femmes parmi les malades
Selon la European Society of Clinical Microbiology and Infectious Diseases, elles sont quatre fois plus nombreuses que les hommes à en souffrir. Les soignant·es d’un hôpital américain ont aussi montré que sur 20 000 malades, « 60% à 80% des patients covid-long sont des femmes », rapporte le pure player féminin The Lily. Et une étude chinoise publiée par la revue The Lancet, référence dans le monde médical, a conclu, en janvier 2021 à « un plus grand risque de dégâts pulmonaires, d’anxiété, de dépression, de fatigue et de faiblesse musculaire » chez elles six mois après leur contamination. Viet-Thi Tran, médecin épidémiologiste à l’APHP, supervise une étude* sur le vécu des formes longues de Covid-19 auprès de patient·es volontaires. Parmi les participant·es, il rapporte qu'« environ 75% sont des femmes ».
« On ne note pas de différence majeure dans les atteintes d'organe du covid entre les hommes et les femmes, précise-t-il. En revanche, c’est différent pour les conséquences de la maladie. Beaucoup plus de femmes rapportent des symptômes inexpliqués persistants, qu’il s’agisse de patientes hospitalisées ou non. Des syndromes post-traumatiques et de la fatigue chronique, en particulier. »
« Brouillard permanent »
Comme Alice, doctorante en communication dans le nord. « Avec l’arrogance de mes vingt-cinq ans, je pensais que si je chopais le covid, j’aurais une forme asymptomatique », témoigne-t-elle. Raté : elle morfle encore, plus de trois mois après sa contamination. « Ça a été un peu mieux au bout de huit semaines, mais trois semaines plus tard, j’ai brutalement rechuté. » Pour cette habituée des manifs vénères, « marcher était devenu une torture. » Elle s’en rend compte lors d’une « simple promenade », qu’elle est maintenant obligée de qualifier « d’effort physique trop important ». Penser aussi. « Je vivais dans un brouillard permanent. Ton cerveau connaît le mot ‘lundi’. Il comprend le concept de ‘premier jour de la semaine’. Mais il ne parvient plus à connecter les deux. »
Ou comme Agnès, 48 ans, déléguée médicale dans le Poitou-Charente et malade depuis mars 2020. Elle qui faisait des « nuits de cinq-six heures » sans souci avant le covid est encore obligée de s’allonger l’après-midi. Elle compare cette fatigue chronique à un « écrasement, comme quand vos yeux se ferment tout seuls lorsqu’on vous fait une anesthésie générale à l'hôpital ». Exemples. « Si je fais mon lit ou que j’ouvre les volets, je suis essoufflée comme si j’avais couru jusqu’au bout de la rue. Il m’arrive de tanguer dans la file d’attente au supermarché. J’ai aussi le nez bouché depuis un an, déplore-t-elle, et mon œil droit voit moins bien qu’avant. » Il lui est même arrivé d’oublier comment elle s’appelait.
Pourtant, pour les deux femmes, ce quotidien infernal est loin d’être le pire aspect du covid long.
Retour à la case hystérie
Malgré tous ces symptômes, « mon médecin m’a dit que c’était de l’angoisse », souffle Alice. Il lui a fallu voir un neurologue et trois généralistes avant qu’on lui parle du « covid-long ». De même pour Agnès. Son généraliste tente de la convaincre, « depuis septembre dernier », qu’il s’agit d’une dépression. « J’ai eu droit au stress du confinement, puis au stress du déconfinement, puis il m’a parlé du pollen, puis du stress de la reprise du travail et maintenant, il veut absolument que je sois sous anti-dépresseurs. Quand je lui dis ‘Mais enfin ! Je me sens bien mentalement et j’ai des engelures sur les orteils. Ce n’est pas une blague’, il me répond que je nie mon mal-être profond. » Lors de la préparation du texte législatif, Patricia Mirallès a rencontré « une malade du covid-long qui avait ses règles depuis un an », confie-t-elle. « Son médecin lui a répondu : ‘oui mais avec tout ce qu’il vous arrive, c’est un coup de déprime’. »
La minimisation de la douleur féminine, systématiquement rapportée à une « exagération », note Viet-Thi Tran, s’additionne au retard général de la communauté médicale. L’OMS a reconnu l'existence du covid long depuis l’été dernier et a appelé à lancer des recherches sur le sujet. « Les patients ont besoin de trois choses : reconnaissance, rémission et recherche », a tweeté l’institution, en août 2020. La Haute Autorité de Santé a aussi publié, le 10 février 2021, à destination des soignant·es, une fiche « Réponses rapides dans le cadre de la Covid-19 : Symptômes prolongés suite à une Covid-19 de l'adulte – Diagnostic et prise en charge », accompagnée de fiches par symptômes ou spécialité, afin d’améliorer le diagnostic et la prise en charge. Agnès a montré les documents à son généraliste. Il n’a pas changé d’avis.
C’est donc auprès de groupes Facebook de malades – où l’on trouve aussi entre 80 et 82% de femmes, dans un échantillon de 12 000 internautes, rapportait The Lily – qu’Alice et Agnès se sont réfugiées. Elles y ont découvert que le sentiment d’être « présumée menteuse » (dixit Alice) est très largement partagé. « Vous n’êtes pas fou/folle malgré des mois de symptômes », peut-on lire, d’emblée, en guise d’avant propos de l’une de ces communautés. La non-écoute est telle qu’« on voit dans les messages que certains se tournent vers les médecines alternatives, observe Alice, avec tous les risques que ça comporte. » Agnès, elle, envisage de « consulter une généraliste sympa à Lille – à six heures et demi de chez moi ! – vers qui un autre malade m'a orientée, juste pour être écoutée. »
Le quotidien avec « un parpaing sur chaque épaule »
Des symptômes accrus pour les femmes, qui plus est, davantage ignorés. Le combo est déjà hard, mais il alimente encore un dernier cercle vicieux : la fatigue du travail domestique et de la charge mentale. Le docteur Viet-Thi Tran le voit dans les témoignages recueillis pour l’étude sur le covid long. « L’impact de la maladie est très lié aux activités quotidiennes. Pour les femmes, il est donc décuplé du fait de tout ce qu'elles prennent en charge. Les hommes comme les femmes témoignent des effets sur leur vie familiale. Mais là encore, ce sont les femmes qui le rapportent le plus. Certaines racontent qu’elles sont tellement fatiguées que leurs enfants ne les reconnaissent plus. » Agnès résume : « c’est comme si vous faisiez tout ce que vous faisiez déjà avant, mais avec un parpaing de 35 kilos sur chaque épaule. »
Avec l’adoption de la proposition de résolution par l’Assemblée nationale, Patricia Mirallès se veut optimiste. Elle souffre toujours de « brûlures permanentes aux épaules, aux poignets et aux coudes », a « encore un taux de sérologie énorme », n’a toujours pas d'appétit, ne peut plus reconnaître l’odeur du basilic et se doit se priver de foot, le sport qui l’animait (elle faisait même partie de l’équipe de l’Assemblée nationale), pour longtemps encore. Mais elle insiste : « même si on est fatiguées – je pense aux femmes, aux enfants mais aussi aux jeunes filles affectées – et qu’on vit des moments de solitudes très difficiles, j’aimerais dire qu’on va y arriver ensemble. » La com, gentiment mielleuse, fait sourire. Mais quand on voit que ce texte est né de son travail, malgré la maladie, et du soutien « transpartisan » d’une députée de l’opposition, elle aussi malade de covid long et présentatrice du texte (Laurence Trastour-Isnart, représentante Les Républicains de la sixième circonscription des Alpes-Maritimes), le message prend une autre ampleur. Celle de la résilience.
* Étude réalisée par la Communautés de Patients pour la Recherche (ComPaRe), toujours en recherche de témoignages. Si vous êtes concerné·e, vous pouvez y participer.